Le Deutsches Theater avec le décor d'Oncle Vania (photo Musicasola) |
Et je n'ai pu m'empêcher de penser à une situation similaire, il y a plus de 10 ans de cela : on jouait au théâtre de l'Odéon Arlequin serviteur de deux maîtres de Goldoni, en dialecte vénitien sans surtitres ; là aussi, le metteur en scène venait de mourir quelques mois auparavant : c'était Giorgio Strehler. Et je me souviendrai toujours du moment, à la fin du spectacle, où Arlequin, lors des saluts, ôtait son masque pour nous laisser en tête à tête avec l'acteur Ferruccio Soleri, lui à qui Strehler disait : "C'est extraordinaire, plus tu vieillis et plus ton Arlequin rajeunit". Et dans le visage de cet homme qui jouait le rôle depuis 25 ans, qui avait lors de ces représentations près de 70 ans, mais qui avait joué un Arlequin bondissant, insaisissable, qui incarnait en quelque sorte le bonheur de la vie qu'on n'arrive jamais à capturer, dans le visage de ce vieil acteur soudain révélé, on ne pouvait s'empêcher de lire la tristesse du deuil. Strehler avait travaillé maintes fois son spectacle, qui avait pris au fil des décennies bien des visages : dans cette ultime version, une sorte d'abstraction mélancolique était venue gommer la vie bouillonnante, et volontiers bruyante, de la commedia dell'arte. Il reste, heureusement, de nombreuses vidéos de son travail, malheureusement peu diffusées : là est le vrai Strehler, méfiez-vous des imitations.
