Depuis le temps que je veux faire un article synthétique sur les atouts et les difficultés des reprises... La reprise des Troyens mis en scène par Herbert Wernicke à Salzbourg en 2000, dont la première à l'Opéra Bastille a eu lieu hier soir à Bastille, aurait pu être une occasion, mais il va falloir patienter; je ne parlerai donc que de cette reprise-là.
Cette reprise était d'autant plus périlleuse que la production n'avait pas été reprise, à Salzbourg ou ailleurs, depuis 2000, et qu'entre temps Wernicke, terrassé par une crise cardiaque en 2002, n'était plus là pour défendre lui-même son travail. Disons-le clairement: ses assistants s'en sont tirés avec les honneurs, bien loin de tant de reprises molles qu'on a connues ces dernières années.
De quoi s'agit-il ici? Tout simplement d'un des grands chefs-d'oeuvre de la mise en scène d'opéra de ces dix dernières années, d'une cohérence et d'une efficacité théâtrale qui ne surprennent pas chez Wernicke, mais n'en sont pas moins admirables. Wernicke a choisi la monumentalité, avec un décor d'une grande simplicité mais également d'une grande beauté, et un statisme assumé qui vise à mettre en évidence les grandes lignes de la partition et du drame. Ne nous y trompons pas: chez Wernicke, ce statisme est bien un choix, pas un signe d'impuissance. Quiconque connaît sa prodigieuse Calisto de Cavalli (bientôt disponible en DVD) , nourrie à la commedia dell'arte, sait qu'il était tout aussi capable de l'inverse. Dans ce statisme, la violence apparaît à nu; une des scènes les plus admirables de ce spectacle est celle où les Troyens viennent entourer Cassandre, pétrifiée dans sa douleur, de leurs armes qu'ils croient désormais inutiles, avant que les Troyennes ne jettent dédaigneusement des fleurs sur le cercle formé par ces armes: rarement on aura vu sur une scène d'opéra pareille incarnation visuelle de la solitude et de la douleur.
Bien sûr, Paris avait déjà vu plusieurs productions récentes des Troyens, notamment celle donnée pour l'ouverture de l'Opéra Bastille en 1990 (production de Pierluigi Pizzi que je n'ai pas vue, mais qui ne semble pas avoir laissé un souvenir impérissable) et la récente production du Châtelet pour l'année Berlioz: loin de moi l'idée de contester la réussite musicale de ce dernier spectacle, encore que je ne partage pas le délire autour de Susan Graham et Anna Caterina Antonacci, plus bonnes filles que tragédiennes (ce qu'est, incontestablement, Deborah Polaski qui chante Cassandre ET Didon à Bastille). Scéniquement, le spectacle invertébré et souvent amateuriste de Yannis Kokkos était cependant indéfendable, sauf à ne jurer que par un académisme rance qui satisfait il est vrai beaucoup de monde dans le public lyrique.
Il est donc bien dommage qu'une partie du public parisien ait prouvé son incompétence théâtrale en huant le travail tellement supérieur de Wernicke (huer un mort, quel bon goût). Gerard Mortier m'a souvent déçu dans les productions qu'il a importées de ses postes antérieurs comme dans celles qu'il a créées pour Paris: je ne puis que le remercier chaleureusement pour cette magnifique réussite qui fait honneur à l'Opéra de Paris.
jeudi 12 octobre 2006
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