samedi 29 mars 2008

A quoi sert la mise en scène ? (1) - Parsifal ou le temps théâtral

Même si je n’ai pas envie de transformer ce blog en série de comptes-rendus de représentations, il me semble que la récente mise en scène de Parsifal par le metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski, par ses qualités comme par ses défauts, constitue un bon point de départ pour une réflexion sur ce qu’on attend de la mise en scène (lisible, je l'espère, y compris pour tous ceux qui n'ont pas vu ce spectacle). Les huées parfois violentes, mais toujours accompagnées d’une

Le premier niveau, quand on ne suit pas le metteur en scène dans son travail de réinterprétation complète de l’œuvre, est une mise en scène contemporaine relativement classique, qui fonctionne fort bien: l’utilisation de l’espace scénique est magistrale (non, la scène de Bastille n’est pas trop grande!), et le décor (notamment l’amphithéâtre du Graal, qui forme ensuite la façade du château de Klingsor) est magnifique; j’ai beaucoup aimé le petit jardin potager de l’acte III, qui montre de façon saisissante et simple la désagrégation complète du monde du Graal par rapport à l’acte I. Je rattacherais aussi à ce niveau de lecture le jeu avec l’enfant et l’Accompagnateur, ce jeu entre l’innocence et le regard à la fois blasé et compassionnel de celui (celle) qui a tout vu; c’est en même temps, pour moi, le regard que jette Wagner sur les mythes ressassés sur lesquels il travaille, ces vieux mythes à la fois naïfs, triviaux, et sublimes. Le mythe, c’est cela, une vieille chose un peu poussiéreuse mais qui nous fascine précisément parce qu’on n’est jamais très bien sûr de la comprendre. Ce premier niveau de lecture fonctionne bien, sur une tonalité évidemment plus sombre que l’ancienne (méritante) production de Graham Vick, mais de manière à la fois musicale et extrêmement poignante souvent.

Vient alors le 2e niveau de lecture, celui de la profusion des symboles construisant une interprétation extrêmement subtile. Ce niveau supplémentaire n’est pour moi, sauf exception, pas gênant, mais il ne m’est pas utile et pour tout dire m’intéresse assez peu; il me semble impossible de tout percevoir et de se concentrer en même temps sur le texte et la musique, que la mise en scène doit venir éclairer (quitte à en souligner les doutes, les interprétations divergentes, etc.). Au moins, à ce que j’en ai compris, et à ce qu’en ont écrit ceux qu’il passionne - ce que je comprends tout à fait -, ce travail interprétatif a-t-il le grand mérite de se confronter profondément avec l’œuvre, non pas dans le sens qu’il présenterait une interprétation entièrement conforme aux intentions parfois très ras de terre de Wagner (c’est d’ailleurs parfaitement assumé), mais parce qu’il travaille sur les thèmes fondamentaux de l’œuvre. Cela paraît évident, cela ne l’est pas : on peut simplement illustrer ces thèmes, c’est ce que font beaucoup de metteurs en scène, c’est ce qu’avait fait, avec talent, Graham Vick. Warlikowski, lui, prend ces thèmes non comme des extraits d’un Journal officiel à appliquer à la lettre, mais comme des problèmes – ce qu’ils sont. La rédemption, la faute, la spiritualité, la chair ne nous apparaissent plus de la même manière qu'en 1882 ; ce qui est resté, pourtant, c'est la bataille quotidienne avec ces thèmes.

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Ce que je peux contester dans le travail présenté ce mois à l'Opéra Bastille n'est donc ni l'interprétation de l'œuvre par le metteur en scène, ni le degré de respect ou d'irrespect qu'il manifeste vis-à-vis de l'œuvre (l'irrespect le plus grand qu'on puisse manifester à une œuvre, c'est parfois de vouloir lui rester fidèle, voyez Un Bal masqué version Gilbert Deflo ou Les Noces de Figaro version Jean-Louis Martinoty, deux pensums que le public parisien aura la grande chance de pouvoir revoir l'an prochain). Ce qui continue à ne pas me plaire chez Krzysztof Warlikowski, c'est son rapport au théâtre, à l'espace et au temps théâtral, même atténué ici par la mise en place du premier niveau de lecture dont je parlais. La construction, le rythme et la progressivité de l'événement théâtral sont pour lui secondaires par rapport à l'interprétation et au réseau signifiant qu'il met en place. Il y a, bien sûr, un parcours dans le travail du metteur en scène, mais ce parcours est en quelque sorte indépendant du parcours propre de l'oeuvre et présuppose une connaissance complète des enjeux de celle-ci; il n'y a pas chez lui de logique de la découverte, alors que Wagner travaille intensément sur l'entrée progressive dans un monde, dans une histoire : par les monologues de Gurnemanz par exemple, qui place dès le lever du rideau le spectateur dans une position d'apprenant à la façon des jeunes chevaliers qui entourent le vieux maître; par le parcours personnel de Parsifal, qui est un chemin de la connaissance. Il me semble que le travail de Warlikowski, si intéressant qu'il soit en l'état, trouverait une forme plus appropriée en se déconnectant de la forme théâtrale, à la façon peut-être d'une exposition d'art contemporain, avec vidéos et installations.

NB: je ne commente pas ici l'excellente interprétation musicale. N'importe qui peut le faire et le fait, et le name-dropping est un sport qui m'intéresse peu.

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