mercredi 21 mars 2012

Menu de chef - La Cité, spécial Kurtág

N'y allons pas par quatre chemins : le programme de la prochaine saison de la Cité de la Musique pour la saison prochaine est une catastrophe, tant il accumule les cycles passionnants et les concerts indispensables. Je vais faire dans un prochain message aujourd'hui ou demain un tour complet de ce qui mériterait le déplacement ; mais vous me permettrez de commencer plus personnellement par le cycle consacré à un musicien qui compte beaucoup pour moi, et depuis longtemps : György Kurtág.



 Kurtág, c'est un vieux souvenir pour moi : à peine arrivé à Paris pour mes études, papillonnant au beau milieu d'une offre culturelle qui m'était alors à peu près insaisissable, j'avais atterri un soir d'octobre 1994 à l'Opéra-Comique où un concert monographique du Festival d'Automne était consacré à un compositeur dont, cela va sans dire, je ne connaissais pas même le nom. György Kurtág, à l'époque, n'était il est vrai pas encore aussi connu qu'aujourd'hui, j'avais des excuses, mais c'était donc le pur hasard si je me trouvais là.
Je ne dirais pas que ce concert a changé ma vie, mais il s'est tout de même passé quelque chose. J'ai eu l'impression de quelque chose d'à la fois très sombre et totalement lumineux, et tout en ayant l'impression de n'avoir rien compris, il y avait quand même là quelque chose qui méritait d'être creusé. Coup de chance, György Kurtág fut invité peu après en résidence à la Cité de la Musique et au Conservatoire (en 1995 donc) ; il y eut des concerts, mais il y eut surtout une longue série de masterclass publiques de musique de chambre au Conservatoire. Des séances de 3 h qui en duraient 4, où Kurtág et son indispensable épouse Márta faisaient travailler de jeunes interprètes dans un très vaste répertoire où les oeuvres de Kurtág côtoyaient Bártok ou Beethoven, et où Kurtág, pas encore septuagénaire, n'occupait jamais la chaise qui lui était réservée. Ces séances ont changé ma vie ou du moins ma vision de la musique, et ce n'est pas trop de dire que Kurtág m'a tout appris. Je n'ai jamais eu l'honneur d'être son élève, mais il restera toujours mon maître.

Venons-en maintenant aux six concerts de la Cité, répartis du 19 au 26 septembre.

Solistes de l'Ensemble intercontemporain (19 septembre)


La dominante du cycle est chambriste, sans conteste. Les solistes de l'Inter sont toujours une fête ; on peut se demander comment ils vont aborder Bach, dont des transcriptions sont aussi au programme du concert, mais leur Kurtág est sans reproche. Au programme, un des grands classiques de Kurtág, l'Hommage à R. Sch., sans doute l'une de ses œuvres les plus souvent enregistrées (une dizaine de versions ?), courte série de miniatures où se rencontre les figures de l'imaginaire schumannien ; l'hommage est une attitude essentielle chez Kurtág, qui se nourrit toujours chez les compositeurs du passéavec un spectre très vaste. Et les Signes, jeux et messages, versions pour cordes des plus anciens Jeux pour piano (cf. infra), journal intime et work in progress.

Ensemble intercontemporain (20 septembre)

Seul concert d'ensemble du cycle, ce concert présente une œuvre récente de Kurtág, mise en musique de poèmes d'Akhmatova, déjà présentée à Garnier il y a un peu plus d'un an, et une oeuvre ancienne et plus rare, les Quatre caprices op. 9 qu'on n'entend presque jamais. Je regrette un peu l'absence d'autres œuvres orchestrales et d’œuvres chorales de Kurtág, dont des œuvres récentes qui n'ont pas encore été créées en France ; une audition globale des Messages op. 34 et 34a est notamment à souhaiter au plus vite à Paris. Et ce d'autant plus que le complément de programme, des pièces autour de L'Art de la Fugue en version orchestrale, ne m'emplit pas de joie.

Quatuor Keller (21 septembre)


Programme non original (on avait déjà pu l'entendre à la Cité il y a quelques années, et il existe même en DVD) mais indispensable - je ne manquerai pas de le revoir : c'est presque tout l’œuvre pour quatuor à cordes de Kurtág (moins la pièce la plus récente, Moments musicaux op. 44) qui est présenté ici, avec des extraits de L'art de la fugue cette fois plus pertinents entre les pièces. C'est superbe, d'abord parce que les œuvres de Kurtág sont fondamentales, ensuite parce que le Quatuor Keller est l'interprète de cœur du compositeur (voir leur CD Kurtág chez ECM !), ensuite parce que les Keller sont tout simplement un des meilleurs quatuors au monde.

Duo Kurtág (22 septembre)

Si vous ne connaissez rien à Kurtág et/ou à la musique contemporaine, c'est sans doute ce concert-ci qu'il vous faut en guise d'initiation. Voir György et Márta Kurtág ensemble au piano, c'est à la fois un régal musical et un instant d'émotion unique. Plus de 6 décennies de vie commune, de travail en commun : ça se voit dans la musique, sans voyeurisme. Ils jouent un programme qui est à peu près toujours le même (et qu'on peut retrouver sur un disque ECM, à nouveau), qui figurait au programme du concert de 1994 comme à celui de Garnier 2010, et que j'ai vu à plusieurs reprises. On y entend une sélection (toujours trop courte à mon goût) de ce journal intime plein de surprises qu'est Jeux (Játekok), paru depuis les années 70 et toujours en cours, et de sublimes transcriptions de pièces de Bach.
Seule inquiétude : à 86 ans, la santé peut jouer des tours...

Masterclass (23 septembre)

10 h-18 h, et c'est gratuit en plus : venez au festin de l'intelligence et de la musique. J'ai déjà parlé des dons extraordinaire de Kurtág, ou plutôt des Kurtág - là encore, on n'aura garde d'oublier Márta - pour la pédagogie. Préparez-vous - si la santé suit - pour un grand moment de musique.

Wiener Klaviertrio (25 septembre)

Ceux-là, je ne les connais pas, mais s'ils sont là, c'est certainement que Kurtág, qui surveille soigneusement les interprètes qui s'emparent de sa musique, les a adoubés. Le concert comprend notamment la création française d'une œuvre de 2007, par les interprètes de la création. Le trio se scindera pour les deux autres pièces de Kurtág, l'une au violoncelle seul, l'autre entre piano et violon - une pièce assez rare, assez ancienne (1979) que je me réjouis d'entendre en concert. Pour le reste ? Bach, évidemment !

Pierre-Laurent Aimard (26 septembre)

Là encore, rendez-vous incontournable avec un interprète de coeur, Pierre-Laurent Aimard, qui joue Kurtág depuis toujours - avant même qu'il ait été découvert au-delà du rideau de fer (il y a eu un disque Radio France où il expliquait quelques-uns des Játekok, hélas indisponible depuis longtemps). Il est toujours intéressant de pouvoir comparer sa propre approche de pianiste avec celle des Kurtág eux-mêmes dans ce vaste recueil. Et Aimard est sans doute un des rares pianistes devant lequel je ne m'enfuis pas quand il aborde Bach au piano.

La suite de la Cité bientôt...

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