Il n'est pas sur le devant de la scène en ce moment en France, même s'il l'a été il y a peu (avec (A)pollonia à Avignon puis Chaillot, où le nombre de "cherche-place" devant le théâtre était significatif de l'intérêt que suscite désormais son travail), et le sera prochainement à nouveau (Un tramway nommé désir à l'Odéon au printemps) : le metteur en scène polonais, que le coup de projecteur donné par Gerard Mortier à l'Opéra de Paris sur son travail a fait connaître en France au-delà des spécialistes de théâtre, n'en est pas moins un artiste fondamental de notre temps, et cela seul justifie que j'en parle (ce qui se passe actuellement à l'Opéra de Paris, ce mélange de revendications réactionnaires et de conformisme mou, laisse du temps pour parler de choses plus intéressantes).
Voilà bien un artiste qui ne cherche pas à se faire aimer, et qui ne correspond guère a priori à mes attentes d'un théâtre des hommes, que j'aime volontiers narratif (à condition de donner de la narration la définition la plus vague possible, très éloignée de l'action chère au théâtre de boulevard), qu'incarnent pour moi idéalement Jossi Wieler, Johan Simons (il faudrait que je parle de Johan Simons, le grand incompris de l'ère Mortier), ou en France Stéphane Braunschweig. Je ne suis pas chez moi dans les spectacles de Warlikowski, on me pousse quand je voudrais m'arrêter, on me laisse mariner quand je voudrais aller voir plus loin, on y est mal assis, il fait trop chaud, il fait trop froid, bref on n'a pas son confort, et il y a de quoi râler.
Simplement, à force d'avancer cahin-caha en mettant en évidence mes talents de râleur, je me suis rendu compte que je n'avais jamais été là où il m'emmenait, que ces territoires inédits étaient fascinants, bref qu'un peu d'inconfort était le prix d'une extension vertigineuse du monde connu.
Chez Warlikowski, pas de narration, ou en tout cas pas de structuration par la narration : des histoires, il y en a, et même plus qu'une dans chaque spectacle, des histoires connues, qui sont en nous, et qui surgissent comme autant de fragments connus nous servant à appréhender le chaos d'un monde jamais vraiment familier.
Il y a trente ou quarante ans, on aimait le théâtre psychologique, primairement freudien, où le méchant finissait par trouver le traumatisme d'enfance qui expliquait tout, ce qui le guérissait dans l'instant. Warlikowski traque l'âme humaine d'une toute autre façon : loin d'y rechercher une rationalité, loin d'y définir la frontière entre le pathologique et la normalité, il plonge le spectateur dans une réalité brisée, multiple, qui dépasse l'entendement. Son art fait de la profusion, du kaléidoscope, de la superposition les chemins d'une appréhension du monde qui ne vise pas à l'expliquer. Il n'y a pas de solutions dans les spectacles de Warlikowski, pas d'objectivité ; le spectateur n'est pas pris par la main pour un parcours rassurant et sans risque. Ce théâtre du monde, où le chaos des fantasmes vient heurter parfois violemment nos certitudes et nos habitudes de spectateurs de théâtre, retrouve par là l'humanité que la profusion des images et de la technique pourrait masquer : c'est en nous que le regard pénètre.
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On peut lire une interview croisée très intéressante de Warlikowski et d'Olivier Py sur le site de Télérama (pour une fois qu'il y a quelque chose d'intéressant là-dedans...) : on se rend vite compte des limites du discours très convenu du metteur en scène français face à la force de l'imaginaire de son collègue polonais...
Je signale au passage que deux spectacles de Warlikowski sont disponibles en DVD, tous deux avec des sous-titres français, Krum de Hanok Levin et La Tempête de Shakespeare, édités par le valeureux Institut National de l'Audiovisuel polonais. Je les ai commandés pour ma part sur le site polonais merlin.pl, qui m'a livré de façon très satisfaisante (et pour un prix de vente assez dérisoire). L'usage d'un traducteur automatique est à vrai dire indispensable pour ceux qui, comme moi, ne comprennent pas un mot de polonais.
Je dois avouer malheureusement que je n'ai eu le temps de regarder que La Tempête (Burza) : un spectacle formidable que j'aurais rêvé de voir sur scène. On remarquera notamment le traitement, d'une subtilité et d'une intelligence, du personnage de Caliban.
Photos: Parsifal à l'Opéra de Paris (décors de Malgorzata Szczesniak), photo Ruth Walz.
Et, en guise de post-scriptum, le minaret de la grande mosquée de la ville irakienne de Samarra (IXe siècle).
mercredi 9 décembre 2009
Admirations (5) - Krzysztof Warlikowski
Mais au fond, de quoi ça parle ?
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C'est exactement mon ressenti --que tu decris tres bien!-- pendant des spectacles de Warlikowski, et c'est precisement ca ce que je cherche d'un bon theatre : qu'il derange, mais pas d'une facon triviale ou vulgaire, voire gratuite ; Warli a cette facon particuliere de nous secouer et en sortant du theatre on se sent comme si on avait perdu un peu nos marques -- ensuite on met du temps pour retourner chacun dans son propre equilibre mental. Ce n'est pas etonnant que tant des gens sortent troubles et qu'ils ralent.
RépondreSupprimerLe premier Warli "Iphigenie en Tauride" etait particulierement fascinant et super-courageux !
Merci pour l'URL de ce site polonais. Ce n'est pas indique que c'est soustitre mais si tu le dis...
Quant à la comparaison des deux metteurs en scène évoquée ci dessus, il n'y a rien de plus juste et je ne vois même pas comment un parallèle a pu être établi entre eux....
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