vendredi 27 avril 2007

À nos morts

Mstislav Rostropovitch est mort, et je lui rends bien volontiers hommage, pour son talent propre, son engagement constant en faveur de la musique contemporaine, son courage politique. Et pour une fois on parle de musique classique à la radio (y compris sur France Info, c'est dire).
Il y a un peu moins d'un an mourait György Ligeti, le compositeur qui incarne à mes yeux les années 1960-2000 de la même manière qu'Igor Stravinsky pour le demi-siècle précédent. Pas forcément le plus grand, parce que l'art n'a rien à voir avec une logique de classement, mais une sorte d'incarnation, d'essence, en toute indépendance et sans dogmatisme.
Quand Ligeti est mort, personne n'en a parlé et les salles de spectacle parisiennes ne lui ont toujours pas fait l'honneur minimal d'un concert d'hommage. C'est la vieille histoire: un interprète, on l'a sous les yeux, se présenter aux yeux des spectateurs est l'essence de son métier. Un compositeur travaille dans son coin, il n'y a rien à voir (j'ai le souvenir des saluts maladroits de Kurtag dans les années 90, ou de Berio venant saluer après Outis au Châtelet, ébouriffé et mal à l'aise). Donc on s'en moque. Désolé, mais pour ma part j'aurai toujours plus de d'admiration et de respect pour un compositeur que pour un interprète.

Après réflexion, je viens d'entendre que MM. Chirac et Donnedieu de Vabres (ministre français de la culture) ont rendu hommage à Rostropovitch, des hommages qui sonnent comme des insultes de leur part. Après tout, Ligeti a peut-être eu plus de chance.

lundi 23 avril 2007

La culture de la peur

J'ai été victime, en ce dimanche électoral, d'un des colis suspects qui polluent la vie des Français depuis plusieurs années. Il était dans mon wagon de métro: un pauvre petit sac à dos d'une banalité effarante, et trop petit pour contenir une bombe. Ce blog n'est fait ni pour parler de moi, ni pour parler de politique, mais d'une part ce petit incident m'a fait réfléchir, d'autre part la culture, en ce qu'elle forme nos cadres de pensée, est forcément politique.
Oui, il y a un risque terroriste; oui, il est bon de contenir ce risque, qui pèse bien moins sur nous que le risque d'accident de la route. Le problème est que ce risque a envahi notre culture, nos mentalités.
Le 11 septembre 2001 a été une libération pour le monde occidental. On sentait bien, avant, qu'on n'était pas rassuré, mais on ne savait pas très bien de quoi avoir peur. Le communisme avait depuis longtemps fini d'inquiéter qui que ce soit (ou presque), et il avait aussi, il y a longtemps, représenté pour beaucoup un espoir. Tandis que là: un ennemi parfait, invisible, planétaire. Et arabe: de quoi faire ressortir, mine de rien, le racisme latent de la société française. Et tout cela dans un consensus presque idyllique.
La sécurité devient donc, logiquement, la valeur numéro un, et la devise française: sécurité, sécurité, sécurité. La sécurité envahit tout: des transports en commun à Internet, de l'alimentation (manger n'a jamais été aussi sûr, mais cela n'empêche pas) aux inévitables "banlieues" (l'important dans la peur des banlieues n'étant pas ce qui s'y passe -qui ne concerne que ceux qui y habitent- mais la crainte généralisée, et invraisemblable, que cela déborde).
Bien sûr, tout cela n'est pas sans influence dans le domaine de la culture institutionnelle, et notamment dans sa réception par le public, qui cherche dans sa consommation culturelle avant tout la sécurité. Les institutions de référence (Opéra de Paris, Comédie Française) sont plébiscitées, les institutions plus audacieuses comme la Cité de la Musique souffrent. Le retour au répertoire du XIXe siècle, comme Louise ou La Juive, le repli sur le répertoire national, la marginalisation croissante de la musique contemporaine participent du même mouvement.
Et pourtant, la culture c'est l'inverse de cette sécurité; si vous ne prenez pas le risque de voir un spectacle qui constitue un risque, si vous ne vous limitez qu'aux spectacles les plus sûrs (grandes oeuvres avec de grands noms), vous n'en risquez pas moins d'être déçus, mais en plus vous êtes à peu près sûrs d'éviter les bonnes surprises. Tous les spectateurs qui sont allés voir Les Bassarides de Henze au Châtelet (d'avant Choplin...) en ont été, je crois, très heureux, alors que personne ne connaissait cette oeuvre; combien ont été déçus par le niveau musical de productions de l'Opéra de Paris?
Une chose est sûre: la peur affaiblit, et on peut dire aujourd'hui que les terroristes ont largement rempli leur objectif d'avilir les sociétés occidentales. Si elles veulent sortir victorieuses et grandies de la crise dans laquelle elles se sont plongées elles-mêmes, ce sera par leurs valeurs et leur culture. La sécurité n'en fait pas partie.

NB pour les lecteurs étrangers: ce message est écrit de France, mais cela ne veut pas dire que ce n'est valable que pour la France. Il y a, bien sûr, des nuances nationales (l'Allemagne est moins touchée par ce fléau de la peur, les Etats-Unis le sont plus encore), mais l'essentiel est valable pour l'ensemble des pays dits "développés".

mardi 17 avril 2007

Le Châtelet nous surprend

Oui, je suis surpris de voir la nouvelle saison du Châtelet. Je n'aurais pas cru que ce théâtre tomberait encore plus bas que cette saison, mais c'est fait. Annoncer une aussi pauvre saison (uniquement sur Internet pour l'instant, quant à la brochure...), qui plus est au moment où la vulgarité (Thaïs de Massenet avec Renée Fleming, pour ceux qui...) y règne déjà en maître, c'est bien audacieux.
Disons-le: j'ai trop vu de magnifiques choses dans ce théâtre pour admettre cela de gaieté de coeur. Qu'avons-nous donc pour l'année prochaine ? Deux spectacles de musique du monde, intitulés "opéras" on ne sait pourquoi (en tout cas, ce n'est ni des opéras, ni de la musique de Chine ou du Sahel...); deux opérettes de bas de gamme (Véronique et une zarzuela); 50 représentations de West Side Story (qui osera dire enfin que c'est de la musiquette à deux sous?); une création mondiale, mais d'un opéra confié à un compositeur de musique de film, qui produira donc sans doute de la soupe (le simple fait que Placido Domingo et l'Opéra de Washington soient porteurs du projet le montre).
Et UN, je dis bien UN opéra: Padmavati de Roussel, puisque je vous rappelle qu'il faut sauver le patrimoine FRANCAIS, NATIONAL (enfin c'est ce que disent certains...). Cela dit je ne connais pas cette oeuvre, qui est peut-être très bien; pour l'anecdote (car elle n'y est pour rien), elle est à l'origine d'un des premiers ratages de l'Opéra Bastille, à l'époque de Pierre Bergé (le plus nuisible personnage de la vie musicale française): une production avaient été prévue, les décors commandés et commencés - et on a tout arrêté, d'un seul coup. Bilan des courses: 1,5 million de francs pour rien...

L'autre problème, c'est évidemment les concerts: on se réjouit évidemment de retrouver Felicity Lott en récital et Marc Minkowski pour un concert Rameau - mais c'est tout! Pas de musique contemporaine, pas de baroque, pas de grands orchestres, quelle pitié!

La seule bonne nouvelle vient du côté de la danse: si on fuira la Compagna Nacional de Danza et son racoleur chorégraphe Nacho Duato, on se précipitera pour voir le ballet de Habourg, qui dansera un des grands ballets récents de son directeur-inspirateur-démiurge, l'un des plus géniaux chorégraphes d'aujourd'hui, John Neumeier. Et pourquoi pas le ballet de Lorraine...

Cette petite note positive mise à part, on a donc affaire à une saison vulgaire et populiste. J'ai bien dit populiste, pas populaire: le public visé, c'est cette bourgeoisie inculte qui se répand partout. Autrefois la bourgeoisie voulait justifier sa suprématie sociale par une supériorité culturelle: il suffit de voir ce qu'est devenu le journal Le Monde, avec la multiplication des pages Auto, Mode et Voyages au détriment de la rubrique Culture, pour voir où nous en sommes... Et ce n'est pas une bonne nouvelle pour le reste de la société!

Toutes mes excuses pour ce message un peu trop parisien...

mercredi 11 avril 2007

Répertoire (1)

J'ai déjà suffisamment dit du mal sur La Juive pour ne pas recommencer un mois plus tard avec Louise, une oeuvre sans doute encore plus pauvre musicalement que celle-ci - mais, à vrai dire, un petit peu moins ennuyeuse qu'elle, parce qu'elle est plus variée (encore que l'exaltation pour touristes de Paris est particulièrement agaçante).
Je préfère donc parler un peu de répertoire. La définition est simple: le répertoire, c'est ce qui est actuellement joué (dans une maison d'opéra ou plus largement dans le monde lyrique en général). Il y a, évidemment, des degrés de présence dans le répertoire, et même si cela n'étonne personne qu'on joue La Femme sans ombre de Strauss ou tel opéra de Haendel, ils ne sont pas aussi centraux dans le répertoire que les grands Mozart, les grands Verdi ou, hélas, les "grands" Puccini.
Sur les quelque 30 000 opéras qui ont été écrits depuis les origines de l'opéra (chiffre très approximatif), on aura du mal, même en cherchant large, à dépasser quelques centaines, le coeur de répertoire, lui, ne dépassant pas la centaine de titres.
Le répertoire actuel pose donc plusieurs problèmes:
  • Il est trop étroit et favorise beaucoup trop le plaisir de la reconnaissance (celui des enfants qui préfèrent manger des frites et des pâtes parce que c'est ce qu'ils connaissent) sur celui de la découverte, qui est le vrai plaisir culturel. Bien sûr, le public est en bonne partie cause de cette paralysie, mais aussi le système de production qui amène les chanteurs à trop voyager, ce qui limite d'autant leur possibilité d'apprendre de nouveaux rôles, et qui favorise des productions très lourdes financièrement et matériellement et manque donc de souplesse (produire une oeuvre rare coûte aussi cher que produire une Tosca, pour des retombées bien moindres).
  • Il est peu représentatif de l'ensemble du corpus lyrique: la faute en est particulièrement au XIXe siècle qui domine sans aucune justification qualitative la scène mondiale; il est frappant que même les deux "redécouvertes" (pitoyables) de Gerard Mortier à Paris cette saison (La Juive et Louise, donc) appartiennent aussi à ce siècle. Si on veut redécouvrir le répertoire, il existe bien d'autres champs à parcourir: on ne conaît presque rien de l'opéra italien de la 2e moitié du XVIIe siècle (vérifiez dans votre mémoire et votre discothèque); l'Opéra n'a jamais joué des opéras de la magnifique école de Hambourg (vers 1690-1730), avec des compositeurs extraordinaires comme Keiser et Telemann; et bien sûr il y a tout un travail à faire sur l'opéra du XXe siècle, qui disparaît trop vite du répertoire après sa création alors que certains mériteraient sans aucun doute de figurer au répertoire. Mais, me direz-vous, le patrimoine NATIONAL, l'opéra FRANÇAIS, qui devraient être une mission pour l'Opéra de Paris? D'abord, très franchement, je ne crois pas à cette soi-disant mission, que je trouve nauséabonde (bien dans le ton de notre campagne électorale...). Ensuite, si le nationalisme artistique devient une valeur plus importante que la qualité des oeuvres, il y a bien d'autres oeuvres qu'on pourrait remonter plutôt que ces vieilles lunes: ne parlons même pas de l'opéra baroque, où les lacunes restent immenses (sans même parler de Campra, que dire de Lully, que l'Opéra ne joue pas du tout?); mais après tout, il existe tout un répertoire des années 20 à 60 (de ce siècle), avec des oeuvres qui à l'époque ont été des flops plus ou moins marqués il est vrai, mais dont certaines mériteraient peut-être qu'on aille voir? Qui s'y colle?
  • Enfin, vous l'aurez compris, il est pour moi évident que le répertoire actuel ne répond pas à des critères de qualité, mais à une sorte de popularité par héritage qui n'a de justification que par elle-même. Les choses évoluent parfois dans le bon sens, quand on voit qu'aussi bien Faust de Gounod qu'Aida de Verdi sont en train de glisser lentement hors du répertoire et qu'en échange certains opéras de Haendel (pas toujours les meilleurs: Ariodante et Rinaldo prennent trop de place par rapport à Rodelinda ou Agrippina), mais c'est encore bien trop lent. Le problème est que cet immobilisme contribue fortement à enfermer l'opéra sur lui-même, dans la mesure où l'amour d'un lyricomane pur pour Tosca va être difficile à communiquer pour quelqu'un qui ne l'est pas et qui risque fort de voir que le roi est nu, c'est-à-dire que l'histoire est stupide et la musique d'un sentimentalisme vulgaire...
Je continuerai à parler de répertoire, ce qui explique que ce message porte un numéro 1: mais ce ne sera peut-être pas pour tout de suite. Je sais que mes messages sont trop longs pour la blogosphère...

samedi 7 avril 2007

Kabuki

NB : comme vous le constaterez, ce message est le premier à être illustré d’une photo personnelle, prise en l’occurrence précisément lors de la représentation concernée.

Du Kabuki à l’Opéra Garnier : on n’avait jamais vu ça. À tel point que, la nostalgie du pays natal s’ajoutant au prestige (qui m’étonne toujours, mais passons) des dorures néobaroques du lieu, la salle était truffée de Japonais et de Japonaises, dont un bon nombre en kimono.

Mais les bizarreries ne s’arrêtent pas là : ce spectacle, tout d’abord, est inclus dans la programmation de ballets de l’Opéra en tant que « Compagnie invitée », alors qu’on voit mal le rapport avec le ballet (classique ou contemporain) occidental, le Kabuki étant très peu dansé, et qu’il existe une série ad hoc dans la programmation de l’Opéra, Frontières (série d’ailleurs disparue l’an prochain). Ensuite, il paraît que la scène de Garnier est plus petite de 40% que la scène où la famille Ichikawa exerce ses talents dans son pays natal : pourquoi diable n’a-t-on pas alors donné ce spectacle à Bastille, qui aurait été bien plus appropriée malgré son manque de glamour ?

DSCF1590

Mais halte aux récriminations : bien sûr qu’il était intéressant, même dans ces conditions, de découvrir ce répertoire qui nous est si inconnu. Il faut cependant se méfier de nos réflexes, quand il s’agit de recevoir un tel spectacle : la temporalité n’est pas la même, le rapport entre le texte et la musique, entre la narration (toujours prise au sein d’ensembles narratifs plus vastes) et l’atmosphère ne sont pas les mêmes. Sinon on tombe dans la world music, digestion par la bonne conscience occidentale d’autres modes de pensée musicaux auxquels elle ne comprend rien ; mais la musique japonaise, avouons-le, est moins immédiatement digestible que la musique africaine, par exemple : une sorte de récitatif (peu) accompagné, où la valeur musicale semble ne pouvoir être dissociée de la valeur narrative et poétique.

J’ai donc bien du mal à commenter ce que j’ai vu, mais je n’en suis pas moins heureux de l’avoir vu. La différence principale avec l’opéra occidental, a fortiori l’opéra contemporain des deux pièces du XIXe siècle présentées à Garnier, c’est la nature totalement différente des émotions que ces deux genres entendent susciter : faible palette d’émotions fortes en Occident, large éventail d’émotions ténues et miroitantes en Orient. Des valeurs comme la grâce, l’intelligence, la bonne éducation, occupent une place importante dans le Kabuki, conformément à notre image folklorique du Japon « d’avant » (et sans doute la nostalgie de ce Japon-là est-elle la première justification de la survivance du Kabuki) ; mais la présence de la menace venue des forces de la nature dans les deux pièces est troublante : l’ivrognerie du sage conseiller de la première pièce rejoint ici le monstre qui se cachait dans la belle princesse de la seconde pièce.

vendredi 6 avril 2007

L'agenda du ministre

Il faut consulter, sur le site du Ministère de la Culture (http://www.culture.gouv.fr/), la page "agenda du ministre".
On peut y lire notamment:

"jeudi 5 avril
22h00 Soirée célébrant les 30 ans des Grosses Têtes* à la Tour Eiffel

samedi 7 avril
20h30 Spectacle de Nicolas Canteloup**, au Centre international de congrès Vinci de Tours"

Vive la culture!



*Une des émissions de radio les plus vulgaires de France.
** Humoriste pas beaucoup plus fin.

mercredi 4 avril 2007

Opéra de Paris: prochaine saison (2)

BALLET

On n'a pas pu éviter un mouvement de recul en voyant la nouvelle saison du Ballet de l'Opéra de Paris: deux ballets classiques en tout et pour tout, pour la dernière troupe de danse classique de France, c'est bien peu, surtout quand l'un des deux est Paquita, peu stimulante reconstitution d'un ballet qui n'était sans doute pas inoubliable. L'autre est Casse-Noisette, absent du répertoire depuis 2001; on ne peut que s'en réjouir, en espérant un grand moment de danse classique, même si je ne connais pas la version de Noureev.
Après réflexion, on constate que cette saison contemporaine s'explique par un choix assumé de la direction, celui de consacrer une saison au XXe siècle. Cela me paraît tout à fait admissible, dès lors qu'il s'agit d'une seule saison et qu'on peut espérer ensuite, notamment sous la direction de Nicolas Joël*, un retour à un meilleur équilibre.
Ce qui est surprenant au fond, c'est que cette saison contemporaine comporte aussi peu de créations: une seule en fait, confiée au chorégraphe américain Wayne McGregor, dont je n'ai rien vu; elle est couplée avec une oeuvre intéressante, Le Songe de Médée de Preljocaj, oeuvre difficile d'accès sans doute mais qui pénètre loin dans les entrailles du mythe de Médée.
L'autre nouveauté n'est pas une création, mais l'entrée au répertoire de deux des ballets les plus connus de Mats Ek, dont l'Opéra a déjà vu les inoubliables Appartement (DVD) et Giselle (pas DVD, mais une merveilleuse vidéo avec la créatrice Ana Laguna circule): il s'agit ici de A sort of... et de La Maison de Bernarda (même chose que Giselle); ma préférence va au second, narratif, mais les deux sont au même programme.

Une autre création appartient, elle, appartient autant au domaine de l'opéra qu'à celui de la danse, la "symphonie dramatique" Roméo et Juliette de Berlioz chorégraphiée par Sasha Waltz. La chorégraphe allemande est une figure de proue de la nouvelle danse allemande, et son travail est intéressant et d'une grande beauté, sans doute plus de beauté que de profondeur d'ailleurs. Il était en tout cas tout à fait justifié qu'elle fasse ainsi ses débuts à l'Opéra de Paris (d'autres seraient bienvenus, à commencer par Anne Teresa de Keersmaeker).
Dans le même domaine, le ballet reprend Orphée et Eurydice de Gluck vu par Pina Bausch: si cette chorégraphie n'a pas la force unique de son Sacre du Printemps, elle constitue une bonne mise en scène de l'opéra de Gluck...

Parmi les reprises, deux sont consacrées à des chorégraphes maison, les étoiles Kader Belarbi et Nicolas Le Riche. Le premier a réussi avec Wuthering Heights l'un des plus beaux ballets narratifs des dernières décennies, d'une intensité et d'une cohérence parfaites, qui plus est sur une musique magnifique de Philippe Hersant (ça change des éternels Glass/Cage...) et une scénographie inoubliable (cet arbre...). On peut rêver que cette reprise soit l'occasion de publier la vidéo du ballet tournée lors de la création...
L'oeuvre du second, Caligula, est plus fragile, et ballettomanes comme critiques n'avaient pas été tendres lors de sa création. Cette fragilité me semble au contraire être une qualité, et j'avais été frappé lors de la création du silence et de l'attention du public ("grand public", donc) à la proposition de Nicolas Le Riche. S'il reste moins d'images fortes que pour Wuthering Heights, je sens encore l'émotion des solos de la Lune ou de ceux de Mnester, qui avait bénéficié de la présence magnétique de Laurent Hilaire.

Ces deux ballets, d'une certaine façon, se tiennent dans la descendance du grand maître du ballet narratif de ces trente dernières années, John Neumeier**: on pourra donc les comparer avec profit à La Dame aux camélias, entrée récente au répertoire mais ballet trentenaire, repris ici une fois de plus: le ballet est de toute beauté, avec ces pas de deux presque infinis, mais on espère que la troupe arrivera à une interprétation plus idiomatique et plus collective que jusqu'à présent.

Le contemporain se voudra réconcilié avec le classique en une soirée mixte Noureev/Balanchine/Forsythe: il est bien entendu idiot de présenter des extraits de Raymonda, mais on se réjouira du retour de Forsythe; quant au Balanchine, Les Quatre tempéraments, il n'est pas vraiment le plus passionnant de son auteur.

Enfin, l'Opéra vide ses fonds de tiroir en reprenant, pour la dernière fois on l'espère, Signes de Carolyn Carlson [DVD], ballet contemporain pour lectrices de Femme actuelle, avec sa spiritualité zen à deux sous.

Pour ne pas terminer sur cette mauvaise note, n'oublions pas le spectacle de l'Ecole de Danse: après une édition 2007 dominée de très haut par Napoli de Bournonville mais alourdi par deux autres pièces plutôt lourdes, l'édition 2008 se penchera sur l'histoire du ballet de l'Opéra avec un ballet d'un de ses maîtres de ballet des années 20/30, Leo Staats, puis un Roland Petit -pas trop vieillot, espérons-le- et une oeuvre plus contemporaine dont je ne sais rien.
Et bien sûr la venue du Bolchoi, avec trois programmes: l'espoir est que la troupe russe réussisse enfin à prouver qu'elle est autre chose qu'une troupe d'athlètes présentant toujours les mêmes spectacles poussiéreux...

*dont j'ai dit le plus grand mal en tant que directeur d'opéra, mais qui aura certainement à coeur de revitaliser l'héritage classique du ballet, sans fermer la porte à l'indispensable contemporain.
** Notons tout de suite que sa troupe, le Ballet de Hambourg, présentera une de ses dernières créations, Mort à Venise, au Châtelet en avril 2008.

lundi 2 avril 2007

Opéra de Paris: la prochaine saison (1)

Des présentations de la saison de l'Opéra, vous en trouverez partout; voici néanmoins la mienne, avec commentaires. Pour les détails, vous pouvez aller voir sur le site de l'Opéra, vers lequel j'ai mis un lien.
La saison de Gerard Mortier est centrée autour du XXe siècle, avec une place importante aussi pour Wagner, en tant que précurseur universelle. Je m'en réjouis, mais j'avoue attendre toujours avec impatience qu'une saison mette le baroque au centre...
Je ferai un autre message pour le ballet.

Opéra
Les commentaires sont présentés ainsi:

Compositeur: Oeuvre [DVD si cette production est disponible]
Chef d'orchestre/Metteur en scène
Chanteurs remarquables s'il y a lieu (cela ne veut pas dire que les autres seront forcément mauvais)
Commentaire

REPRISES
Strauss: Capriccio [DVD]
Haenchen/Carsen
Kringelborn
Oeuvre très littéraire, dans un cadre XVIIIe, qui nécessite une bonne sensibilité musicale; belle production assez classique, tirant parti du cadre de l'Opéra Garnier. La distribution est de bon niveau, et heureusement Renée Fleming, qui figure sur le DVD, n'est plus là.

Donizetti: L'Elisir d'Amore
Pidò/Pelly
Comédie sympathique mais vraiment peu profonde; production très agréable et distribution sans grand relief.

Puccini: Tosca
Luisotti/Schroeter
Mélo réservé aux amateurs du genre; production qui se veut moderne mais est surtout plate, et désormais irrémédiablement usée par les très nombreuses reprises. Plusieurs chanteurs intéressants dans les deux distributions (Naglestad, Valayre, Galouzine, Ramey).

Haendel: Alcina
Spinosi/Carsen
Un des meilleurs opéras de Haendel, avec une histoire troublante et riche et une musique qui ne faiblit jamais. La distribution est de bon niveau, mais l'intérêt principal est la merveilleuse mise en scène de Robert Carsen, dont je ne manquerai pas de reparler. Un des plus grands spectacles de la dernière décennie.

Strauss: La Femme sans ombre
Kuhn (?)/Wilson
Oeuvre au symbolisme un peu plus chargé qu'il ne faudrait, peu dramatique, heureusement "allégée" par une mise en scène cette fois très pertinente de Robert Wilson. La distribution semble incertaine, a fortiori si Gustav Kuhn dirige cette production.

Hindemith: Cardillac
Ono/Engel
Ventris, Workman
Oeuvre courte mais très ennuyeuse, avec un livret sans intérêt et une musique terne. La production d'André Engel repose uniquement sur de gros décors; elle est totalement dépourvue de vie et de finesse.

Rossini: Il Barbiere di Siviglia [DVD]
Piollet/Serreau
La production banale et sans idée de Coline Serreau ne suffisait pas: il fallait encore y mettre une distribution parmi les plus ternes qu'on ait vues (Maria Bayo en Rosine!)... Il y a mieux à faire ailleurs!

Gluck: Iphigénie en Tauride
Bolton/Warlikowski
Delunsch
En voyant ce spectacle en juin 2006, je me suis rendu compte que cette musique tournée vers une efficacité dramatique un peu primaire ne me faisait pas grand chose. La production, qui est plus une installation d'art contemporain qu'un moment de théâtre, n'arrange pas les choses. La distribution gagnera certainement au retour de Mireille Delunsch dans un de ses grands rôles, à place des deux chanteuses pâlottes de 2006.

Bellini: I Capuleti e i Montecchi
Pidò/Carsen
Oeuvre d'intérêt moyen, avec une production qui n'est pas la plus réussie de celles de Robert Carsen. Le tout est simplement un prétexte pour tourner un DVD avec la starlette du moment, Anna Netrebko. Là encore, vous pouvez aussi aller vous promener.

Verdi: Don Carlo
Currentzis/Vick
Secco, Guryakova
Un des opéras intéressants de Verdi; j'ai vu cette production il y a trop longtemps pour en avoir un souvenir précis, mais cela ne devait pas être trop mal. Distribution intéressante.

Mozart, Les Noces de Figaro [DVD] reprise aux Amandiers à Nanterre
Cambreling/Marthaler
Pour démocratiser l'opéra, Mortier envoie une production qu'il aime à Nanterre, où les jeunes de banlieue se précipiteront sans nul doute sur les places à 80 € (tarif unique). Par ailleurs une des productions les plus stupides de l'ère Mortier: les Noces de Figaro réduites à du théâtre de boulevard. Ne nous y trompons pas, les bourgeois conservateurs adorent.

REPRISES de productions que je n'ai pas (encore) vues
Verdi: La Traviata

Oren/Marthaler
Secco, Van Dam
Oeuvre peu profonde, à forte tendance lacrymale. On peut aimer si on veut. La production de C. Marthaler, probablement transposée dans la RDA des années 60, risque fort de faire grincer des dents.

Charpentier:Louise
Davin/Engel
Je vais voir cette production demain. En attendant il n'y a qu'un Charpentier, et il n'est pas prénommé Gustave mais Marc-Antoine. Il a écrit un opéra extraordinaire, Médée. Voilà le Charpentier qu'il faut donner à l'ONP.

NOUVELLES PRODUCTIONS

Dukas: Ariane et Barbe-Bleue
Cambreling/Viebrock
Polaski, Palmer
Oeuvre totalement inconnue de moi; je crains pour la production, confiée à la décoratrice habituelle de C. Marthaler.

Wagner: Tannhäuser
Ozawa/Carsen
Wagner, c'est toujours indispensable, mais Tannhäuser n'est pas mon préféré. La distribution n'est pas exaltante, mais on peut attendre un grand spectacle de la part de R. Carsen.

Verdi: Luisa Miller
Zanetti/Deflo
Oeuvre à peu près sans intérêt, et distribution dans la moyenne. Mortier assure ses arrières avec une production a priori classique qui ne choquera personne.

Stravinsky: The Rake's Progress
Gardner/Bondy
Spence, Summers
Oeuvre magnifique, qui ne se livre pas forcément au premier coup d'oeil. On ne sait ce que fera Bondy, mais l'ensemble est assez excitant.

Wagner: Parsifal
Haenchen/Warlikowski
Ventris, Meier
Deux merveilleux chanteurs rachèteront, on l'espère, la production probablement autiste d'une fausse valeur chère à Mortier... Evidemment, on a là un des plus extraordinaires opéras de répertoire!

Berg: Wozzeck
Cambreling/Marthaler
Oeuvre indispensable, qui n'a pas été assez donnée jusqu'à présent à l'ONP. Malheureusement M. Marthaler n'a pas l'outillage nécessaire pour aborder la dramaturgie d'une grande finesse de l'oeuvre de Berg. Distribution intéressante.

Dallapiccola: Il Prigioniero
Zender/Pasqual
Quoi de plus intéressant que d'aller voir une des oeuvres phares de l'avant-garde musicale et dramatique?

Haas: Melancholia Création mondiale
Pomarico/Nordey
Peut-on aimer l'opéra sans être excité par une création? Je ne connais pas ce compositeur, mais vive l'audace!

© Valery Gergiev™

On sait que Valery Gergiev, le chef le plus occupé de la planète, le Poutine de la musique, dirige trop pour que toutes ses apparitions soient d'un bon niveau, et que sa carrière est plus formée de conquêtes et de stratégies de pouvoir que de passions artistiques. Valery Gergiev, avant d'être un chef d'orchestre, est une marque commerciale. Pendant longtemps, Paris n'était pas un marché prioritaire; c'est désormais le cas, et c'est dans ce cadre qu'il faut voir le concert qu'il a donné hier à la Salle Pleyel avec l'un de ses orchestres, le London Symphony Orchestra.
A la décharge de Gergiev, l'orchestre (qui ne fait de toute façon pas partie des meilleurs du monde) était particulièrement peu satisfaisant, peut-être aussi faute de préparation. Les magnifiques Symphonies d'instruments à vent de Stravinsky en étaient particulièrement brouillonnes, même si les Debussy (Prélude à l'après-midi d'un faune et La mer) voyaient l'orchestre un peu plus sûr de lui. Le pire était donc à venir, avec un Sacre du Printemps qui comptera certainement parmi les pires massacres de cette oeuvre. On commence très fort avec le solo de basson au début: faux, archifaux, et pas en rythme de surcroît. Le reste est à l'avenant: l'approche de Gergiev est brutale, tonitruante, sans doute parce que c'est le meilleur moyen de se gagner les faveurs du public tout en masquant les problèmes. De temps en temps une nuance inattendue, un ralentissement un peu gluant; aucune notion de progression dramatique, ni de mystère, et des instrumentistes trop peu préparés pour pouvoir suivre...
Triste concert, pauvre Stravinsky. Consolons-nous cependant: l'année prochaine sera à Paris aussi une année Boulez, qu'on a vu souvent diriger ces oeuvres avec précision et intelligence. De moins en moins voyageur le grand âge venant, et donc toujours plus à Paris, il offrira ainsi au public une occasion à ne pas manquer d'entendre cette musique qu'il a tant aimé sous la lumière simple de la vérité musicale.
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