mardi 29 juin 2010

A quoi sert la mise en scène (6) - La fille de la flaque d'eau

Eh oui, c'est comme ça à l'Opéra de Paris : on ne peut plus se payer une vraie dame, et quant à un Lac, mon Dieu, à quoi rêvez-vous* ? Les productions d'opéras sérieux de Rossini ou de ses contemporains belcantistes sont rares sur les scènes parisiennes, alors que Gerard Mortier avait eu l'audace de monter L'elisir d'amore, cette pochade désespérément vide ; par malheur, il faut cette fois que ce soit Nicolas Joel qui ait la bonne idée de tenter une résurrection scénique, celle de La Donna del Lago, et ce quatre ans après la précédente tentative - Semiramide au Théâtre des Champs-Elysées - qui s'était achevée par le naufrage d'une mise en scène ridicule que j'avais eu la bonne idée de ne pas m'infliger.

Ce spectacle n'est pas un ratage, et Nicolas Joel n'est pas malchanceux ou simplement incompétent : c'est un manifeste, Nicolas Joel sait parfaitement ce qu'il fait, et c'est bien cela qui est grave. Le spectacle de Lluis Pasqual ne mérite pas qu'on s'y attarde, si ce n'est pour remarquer que, si on avait déjà eu quelques doutes sur le talent actuel du metteur en scène, on peut lui accorder quelques circonstances atténuantes : le décorateur Ezio Frigerio ne déclare-t-il pas qu'il n'a pas l'habitude de concevoir le décor en collaboration avec le metteur en scène et qu'il n'avait pas l'intention de changer à son âge ? On avait bien remarqué, lors de la Mireille de sinistre mémoire, que ses décors semblaient indifférents aux besoins du théâtre : tant qu'à faire, autant en avoir la confirmation de la bouche du coupable... Il faut d'ailleurs un certain temps pour se rendre compte qu'à certains moments du spectacle le décor bouge : on devine que M. Frigerio a eu l'intuition qu'il faudrait quand même individualiser les différents tableaux, mais son décor quasi-unique est si pesant qu'il ne reste que l'intention.

C'est bien cela qu'il faut souligner : si cette production a reçu un accueil aussi négatif, ce n'est pas parce que c'est une mise en scène classique, c'est parce que c'est une mise en scène ridicule. Je vois suffisamment de danse classique pour savoir apprécier aussi la toile peinte ; il aurait suffit de quelques toiles peintes donnant des atmosphères différentes, marquant d'une certaine façon le passage du temps, pour rendre le spectacle un peu plus supportable, et sans doute Lluís Pasqual aurait-il pu revenir sur sa grève du zèle pour esquisser une forme de direction d'acteurs. Mais non, Frigerio a choisi cette architecture énorme, très certainement coûteuse, pour la plus grande douleur des spectateurs et des contribuables.
Joyce di Donato et le fameux pupitre, sur la fameuse trappe, avec ces fameuses projections censément marines

Du coup, le commentateur désespéré n'a rien de mieux à faire que de recenser les éléments les plus ridicules du spectacle. Dès le début du spectacle, on est gâtés : l'"esquif" du début de l'opéra, qui sort d'une trappe au beau milieu de la scène, a un potentiel de ridicule déjà considérable, mais la projection de motifs de vagues pour signaler qu'on est sur l'eau vient faire exploser ce ridicule : on espère que la production sera filmée, elle a tout pour devenir ce qu'on appelle culte dans certains milieux. Il est important de savoir également que de la même trappe sort tout un attirail qui constitue l'élément le plus vivant du spectacle : outre le pupitre qui apparaît à la fin du rondo final, il faut absolument mentionner le rocher qui n'a d'autre fonction que de permettre aux chanteuses de s'installer confortablement pour chanter : voilà un décorateur qui songe au confort de ses chanteurs, comme c'est bien !

Au chapitre du ridicule, il faudrait aussi mentionner les danses (les danseurs ont renoncé à venir saluer parce qu'ils prenaient les huées méritées par la production) et les costumes de Franca Squarciapino : je suis sûr qu'il y a quelque part au fond d'un obscur département français un modeste artisan qui est le dernier au monde à fabriquer encore des cottes de maille à la main, et c'est pour le soutenir que Nicolas Joel a monté cette production (vous croyiez que c'était pour les chanteurs ? Ah, naïfs que vous êtes), un parfait sujet pour Jean-Pierre Pernaut !

Il faut quand même que je vous parle rapidement des chanteurs, même si tout le monde l'a déjà fait : bien sûr, une belle distribution dominée par Juan Diego Florez, mais tout ce petit monde, sous la baguette professionnelle mais un peu endormie de Roberto Abbado, est lui aussi un peu anesthésié par l'architecture mortifère de M. Frigerio...

Finalement, la critique la plus acérée de ce spectacle vient d'un des chanteurs impliqués dans ce spectacle (vous savez, ces chanteurs qu'on nous décrit volontiers comme hostiles aux metteurs en scène modernes et n'aspirant qu'à pouvoir chanter tranquillement en rang d'oignon ?) : lors de son récital récent au Théâtre des Champs-Elysées, la mezzo a introduit son bis - le rondo de cette même Donna - en disant qu'il serait donné "dans le même staging qu'à l'Opéra" : que reste-t-il à boire à Nicolas Joel de cette coupe dont il a déjà avalé la lie ?

* Cela dit, ça fait déjà longtemps que les nuisibles prétentieux de l'AROP utilisent pour recevoir le séant de leurs "mécènes" des chaises dorées bas de gamme qui sont à un mobilier aristocratique ce qu'est une couronne de galette des Rois aux Joyaux de je ne sais quelle couronne... Au moins, lesdits nuisibles prétentieux ont eu droit à une version scénique réduite pour cause de grève : Eric Woerth, une fois de plus, aura d'une certaine façon rendu service à ses amis riches !


Rossini
La Donna del Lago/ La Dame du Lac

Roberto Abbado                Direction musicale                                                                       
Lluís PasqualMise en scène
Ezio Frigerio Décors
Franca SquarciapinoCostumes

Juan Diego Florez                Giacomo V (Uberto di Snowdon)
Simon Orfila                        Duglas d’Angus
Colin Lee                            Rodrigo di Dhu
Joyce DiDonato                   Elena
Daniela Barcellona               Malcolm Groeme
Diana Axentii                       Albina
Jason Bridges                      Serano
Orchestre et choeur de l’Opéra national de Paris

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samedi 26 juin 2010

Les charmes de l'âge mur - Trois danseurs d'aujourd'hui comme d'hier

Eh non, vous ne verrez plus Laurent Hilaire, ou Kader Belarbi, ou Wilfried Romoli. Au-delà d'un certain âge, il faut croire, un danseur ne vaut plus rien. Hier, ces danseurs étaient géniaux, inoubliables ; aujourd'hui, l'Opéra les met à la retraite, ne les réinvite que pour des rôles sans intérêt (Romoli dans le très convenu Siddharta de Preljocaj, Michael Denard dans différents rôles non dansés) - et le pire : ces danseurs ne semblent pas même se rendre compte qu'ils auraient bien de quoi faire éclater leur talent au-delà de la limite administrative.

Deux spectacles récents à Paris ont fait éclater cette évidence : le talent des danseurs ne s'éteint pas quand leur virtuosité diminue. Le plus médiatique des deux spectacles réunissait une star mondiale, Mikhail Barychnikov, et l'égérie d'un des plus grands chorégraphes du XXe siècle, le Suédois Mats Ek, génie méconnu de la danse contemporaine. Les quelques moments d'Ana Laguna dansant Mats Ek, dans ce spectacle, sont à peu près ce qu'on peut voir de plus accompli dans l'appropriation d'une écriture chorégraphique par un interprète, et ce sans qu'il soit besoin d'une virtuosité spectaculaire qu'Ana Laguna n'a certainement plus. Pour moi qui n'ai jamais vu danser Mikhail Barychnikov au temps de sa splendeur, les pièces qu'il avait commandé pour ce spectacle n'ont en revanche pas été d'un grand secours : la pièce d'Alexander Ratmansky, au moins, a le mérite de la légèreté, tandis que celle du Français Benjamin Millepied, toute entière orientée vers une réflexion sur le passage du temps chez le danseur, se noie dans les clichés - Millepied n'est pas soliste au New York City Ballet pour rien, cette troupe héritière de Balanchine dont la récente tournée parisienne avait frappé par le caractère extrêmement désuet de son répertoire "contemporain".

L'autre spectacle que j'ai eu un grand plaisir à voir récemment est celui de Susanne Linke, chorégraphe contemporaine de Pina Bausch, mais longtemps occultée pour des raisons qu'il ne m'appartient pas d'analyser. J'ai fait une critique détaillée de ce spectacle, je ne vais donc pas y revenir en détail ici : tout au plus faut-il souligner ici une fois de plus quel bonheur donne Susanne Linke au spectateur, du haut de ses 66 ans, avec son tonus inépuisable et surtout cette capacité à faire du moindre mouvement de la main, du moindre frémissement de son visage félin le véhicule d'un kaléidoscope d'émotions. Si on ne sortait pas aussi heureux de ce spectacle, on aurait bien envie de maudire tous ces automates décérébrés dont nous abreuve Brigitte Lefèvre à l'Opéra*...

Des expériences pour faire vivre la danse au-delà des qualités primaires de la jeunesse, il y en a, il y en a eu, on espère qu'il y en aura encore - on pense ici à Pina Bausch, qui avait transmis son Kontakthof "à des messieurs et dames de plus de 65 ans" (un DVD en témoigne), et surtout à Jiří Kylián, qui avait créé à côté de la compagnie principale du Nederlands Dans Theater (NDT I) et de sa compagnie de jeunes danseurs (NDT II) une troupe de danseurs plus âgés et proches de lui, mais l'expérience s'est arrêtée dans des circonstances apparemment peu heureuse (NDT III ; leur dernière pièce, Birthday, est disponible en DVD, mais s'étale à plat ventre dans la facilité, hélas). Mais il y a des moments dans le développement des arts où le soutien institutionnel est indispensable : il a fallu créer un Ballet de l'Opéra bis dans les années 1980 pour imposer la danse contemporaine à l'Opéra de Paris (c'était le GRCOP) ; pourquoi ne pas le faire aujourd'hui - à Paris ou ailleurs - pour ces artistes extraordinaires dont on piétine aujourd'hui le talent quand ils ne s'appellent pas Baryshnikov ?

* Je ne cite pas de noms ici, mais avec un peu de perspicacité, vous les retrouverez ici...

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mardi 22 juin 2010

De la superficialité de Günter Krämer... et du public parisien

Eh oui, vous aviez eu droit, si je me souviens bien, à pas moins de trois messages pour ce spectacle historique et inoubliable qu'était Mireille en début de saison, vous ne vous en tirerez pas avec un seul pour La Walkyrie !

Mes pérégrinations virtuelles m'ont amené vers la critique du journal viennois Die Presse (Wilhelm Sinkovicz, plus inspiré que d'habitude), et je m'en voudrais de ne pas vous traduire ce joli passage d'ironie mordante :

De fait, cette Walkyrie ressemble à la tentative d'un metteur en scène allemand pour confirmer pleinement tous les préjugés des Français sur les manières (et l'art théâtral) allemands. Autrement dit : Krämer déchiffre l'écheveau de l'intrigue (ou du moins les éléments les plus visibles en surface) pour des spectateurs à l'entendement difficile. Sieglinde reçoit Siegmund bien en avance avec un baiser ; elle ne se contente pas de regarder en direction du tilleul [sic] où Wotan a enfoncé l'épée victorieuse, mais le désigne plusieurs fois de façon ostentatoire. Après tout, ce n'est qu'un Germain primitif, pas un garçon sensible qui comprendrait un regard ou un murmure léger.
Des murmures légers, il y en à foison chez Wagner (...). Mais pendant qu'une douce mélodie commence à fleurir au violoncelle solo, Sieglinde doit composer avec la montagne de cadavres avec laquelle Krämer recouvre la scène pendant le prélude. Comme ça, tout le monde comprend qu'on n'est pas à la fête foraine, mais qu'il s'agit d'une comédie sérieuse avec une certaine profondeur.

Voilà, c'est bien dit ! Mais je voudrais ajouter autre chose tout de même : le public parisien a hué apparemment violemment le metteur en scène lors de la première, ce qui n'est certainement pas injustifié si on considère la piètre figure que fait le spectacle de Krämer en comparaison de la profusion de grandes mises en scène wagnériennes en Europe ces dernières années, mais un peu sévère sans doute par rapport aux autres spectacles pondus par Nicolas Joel cette saison. Ce qui me met particulièrement mal à l'aise, cependant, c'est l'accueil du public face aux aspects musicaux du spectacle, et notamment le triomphe remporté par Philippe Jordan. Je le sais bien, il ne faut jamais dire du mal du public, qui a toujours raison, et caetera, et caetera, et caetera. En même temps, si vous cherchiez du consensus mou, vous ne seriez pas ici, non ?
La réaction du public face à Philippe Jordan est exactement la même que celle rencontrée par Christoph Eschenbach lors du précédent Ring (Châtelet 2005/2006) - ce n'est donc pas si grave : quand il s'agit du Ring, le public parisien perd soudainement tout esprit critique, et le premier tâcheron venu devient un génie. On hue Sylvain Cambreling ou Teodor Currentzis qui perturbent les habitudes du lyricomane de base, mais on fait un triomphe à une lecture scolaire sans ampleur (Jordan) ou à une improbable combinatoire de tempos et d'effets dynamiques arbitraires (Eschenbach). J'en tire deux conclusions :

  • Tout d'abord, qu'il est temps que le Ring entre vraiment dans les moeurs du public parisien, pour qu'il cesse d'être une curiosité exotique pour devenir ce qu'il est, un chef-d'œuvre qui mérite qu'on ne s'arrête pas à un divertissement superficiel.
  • Ensuite, qu'il y a quand même un problème avec le public parisien. Pas entièrement de sa faute, certes : quand on nourrit un public de spectacles décérébrés (les comédies musicales du Châtelet tout autant que les Joelleries ou les Deschampismes), ça ne va pas favoriser son esprit critique, c'est évident. Cependant, et comme j'ai un peu de mal à accepter l'idée que ce pays renonce, sous la houlette de son Président, aussi radicalement à l'intelligence et à la culture (pas de culture sans esprit critique...), je l'avoue, ça n'est pas sans me faire quelque peine. Voilà.
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lundi 21 juin 2010

Pelléas séduit, le Ring s'endort

Que faire quand un Ring commence mal ? En 2005 au Châtelet, la direction de Christoph Eschenbach, le Wotan de Jukka Rasilainen, la mise en scène trop ennuyeuse pour être ne serait-ce qu'esthétique de Robert Wilson se présentaient dans toute la splendeur de leur nullité dès les premières scènes de l'Or du Rhin, et la suite ne faisait que confirmer. Le Ring de l'Opéra de Paris n'a peut-être pas aussi mal commencé, mais on ne peut pas dire que le premier volet ait convaincu que ce soit pour l'orchestre, pour les voix ou pour la mise en scène, ce qui est particulièrement regrettable quand on voit la floraison de grandes mises en scène wagnériennes partout en Europe - le DVD, avec les comparaisons qu'il permet, est ici cruel.
Le second volet - La Walkyrie, donc - apporte au moins un soulagement : la mise en scène de Günter Krämer est certes nulle, mais elle l'est cette fois au sens mathématique du terme ; quelques petites idées sont compensées par quelques petits ridicules, là où dans L'Or du Rhin les idioties pullulaient. Il ne suffit pas d'un effet de miroir et d'une jolie robe rouge (pour Fricka) pour faire une mise en scène ; et mettre des figurants partout, ça prouve que la droite n'est pas aussi hostile aux emplois aidés qu'elle le prétend, mais Krämer a tort de croire que ça occupe au moins l'attention du spectateur.

Quant à la Chevauchée qui a fait les choux gras de la presse - et visiblement profondément choqué deux vieilles dames devant moi -, l'idée n'est pas mauvaise, mais la réalisation est calamiteuse : les Walkyries sont chargées d'amener à Wotan des héros morts, et les montrer en train de les remettre sur pied, en toute inconscience de la souffrance (les plaies) et du corps (d'où la nudité), c'est évidemment pertinent. Mais à aucun moment M. Krämer ne semble se préoccuper de la musique : personne ne lui a demandé d'illustrer ce passage trop connu en collant à son rythme, mais de là à s'en abstraire complètement sans tenter de créer des relations, c'est pousser la négligence un peu loin !

La mise en scène faisant ici profil bas par rapport au volet précédent, la distribution étant également bien plus satisfaisante (y compris le couple Robert Dean Smith/Ricarda Merbeth, si insupportable dans La ville morte), c'est ici le problème de la direction de Philippe Jordan qui se trouve cruellement mis en évidence. J'avais parlé de Petit suisse pour L'or du Rhin, je ne sais quel produit laitier pourrait cette fois venir à mon secours pour décrire l'inconsistance de son travail pour la représentation de dimanche. Loin de moi toute hostilité de principe à Philippe Jordan : j'ai eu le plaisir de le voir diriger, à Berlin, un magnifique Bal masqué d'une enivrante beauté sonore qui ne manquait pour autant pas de théâtre (magnifique autant que ce nanar qu'est Un bal masqué peut l'être, évidemment), et son Chevalier à la rose de 2006 était très prometteur. Mais toutes les promesses ne sont pas faites pour être tenues.

La recherche d'une sorte de beauté sonore immédiate semble être une marque de fabrique du jeune chef, et on sent bien qu'il est à la recherche d'une sonorité impalpable, très éthérée : le problème, c'est d'une part qu'il ne la trouve pas (mais alors pourquoi s'obstine-t-il ?), d'autre part qu'il lui fait une confiance tellement excessive qu'il néglige l'articulation de cette musique. Combien de fois ai-je cru pendant un pianissimo de l'orchestre que le chef s'était endormi et que la musique n'allait pas reprendre ensuite ? Une mise en scène sans intérêt mais pas gênante, on pourrait encore s'en accommoder ; mais que peut devenir un Ring musicalement aussi lymphatique ?

Pendant ce temps, l'Opéra-Comique - dont j'ai dit tant de mal ici - a de son côté renoncé, au moins le temps d'un spectacle, à me plonger dans un sommeil profond. J'ai toujours eu un a priori positif, cruellement déçu ces derniers temps, pour Philippe Jordan ; ce n'est pas le cas pour John Eliot Gardiner, chef très surestimé dans le domaine lyrique (ses Troyens, notamment, mais aussi la plus récente Carmen ont reçu des triomphes critiques totalement immérités) : mais les présupposés sont faits pour être détrompés. Pour ce Pelléas, Gardiner réussit enfin à faire vivre son orchestre, à tel point qu'on aurait bien tort de s'arrêter à quelques couacs des cuivres ou à une certaine verdeur des cordes. On n'en oublie pour autant pas les deux Pelléas magnifiques que les Parisiens ont pu admirer en moins de 10 ans, Sylvain Cambreling à Bastille en 2004 (dense, noir, intense), Bernard Haitink avenue Montaigne en 2007 (éthéré, impalpable, mystérieux - juste ce que P. Jordan essaie de faire en vain dans La Walkyrie) - mais aux standards habituels de l'Opéra-Comique, c'est remarquable.

Quand en plus on a droit à une belle mise en scène de Stéphane Braunschweig, on aurait bien tort de se plaindre (au TCE, c'était Martinoty, très oubliable...) : un des rares vrais metteurs en scène de ce pays, intelligent et compétent, même si on rêverait peut-être de quelque de plus surprenant, sans doute. On se dit que si Nicolas Joel avait un peu de sens commun, c'est vers ce genre de mises en scène, qui ne choquent pas les plus conservateurs tout en séduisant le grand public, qu'il se dirigerait, plutôt que du vieux Regietheater mal digéré alternant avec du carton-pâte mal fichu...

Je ne souhaite pas commenter toute la distribution, avec ses forces (Nathalie Stutzmann, qui fait de sa Geneviève une démonstration d'intelligence musicale et textuelle) et ses faiblesses (un Arkel indigne, comme on n'entend pas ça tous les ans ; Marc Barrard en Golaud, lourd et mal chantant) ; mais il faut signaler un véritable événement (de ceux qu'on a attendus en vain à l'Opéra cette saison), le miracle de la Mélisande de Karen Vourc'h. Je ne connaissais pas vraiment cette chanteuse, et je n'assure aucune garantie sur d'autres rôles ; toujours est-il qu'avec une voix qui n'entre pas dans les canons classiques, et avec qui plus est une finesse scénique qu'on ne rencontre pas tous les jours, elle dégage une émotion qui m'a médusé. Comment fait-elle ? Je ne sais, mais ce qui en sort, c'est tout simple : c'est Debussy tout pur, comme un langage entièrement naturel, avec une lumière irradiante et chaude. C'est cela aussi qui fait son triomphe : loin des Mélisande sombres, victimes du sort et promises à la destruction, une Mélisande toute en jeunesse, toute en fraîcheur. Merci Karen !


Wagner
La Walkyrie/Die Walküre

Philippe JordanDirection musicale
Günter KrämerMise en scène
Jürgen Bäckmann       Décors
Falk BauerCostumes
Diego LeetzLumières
Otto PichlerChorégraphie

Robert Dean Smith Siegmund
Günther Groissböck Hunding
Thomas Johannes Mayer Wotan
Ricarda Merbeth Sieglinde
Katarina Dalayman Brünnhilde
Yvonne Naef Fricka
Marjorie Owens, Gertrud Wittinger, Silvia Hablowetz, Wiebke Lehmkuhl, Barbara Morihien, Helene Ranada, Nicole Piccolomini, Atala Schöck, Gertrud Wittinger, Les Walkyries

Debussy
Pelléas et Mélisande

Direction musicale, Sir John Eliot Gardiner
Mise en scène et scénographie, Stéphane Braunschweig
Costumes, Thibault Vancraenenbroeck
Lumières, Marion Hewlett

Pelléas, Phillip Addis
Mélisande, Karen Vourc'h
Golaud, Marc Barrard
Arkel, Markus Hollop
Geneviève, Nathalie Stutzmann
Yniold, Dima Bawab
Un médecin, Luc Bertin-Hugault
Un berger, Pierrick Boisseau

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mardi 15 juin 2010

Admirations (7) : Jan Fabre

Quelle espèce d'animal est-ce donc que ce Jan Fabre ? Descendant de l'entomologiste Jean-Henri Fabre (d'où les scarabées et hannetons qui parcourent son œuvre), chorégraphe, écrivain, et (surtout ?) "plasticien" comme on dit, c'est-à-dire auteur d'une œuvre visuelle sur tout support, des dessins sur papier (souvent au Bic, sinon avec des substances corporelles diverses) à la sculpture monumentale, voilà bien quelqu'un qui résiste avec opiniâtreté aux classements, et qui ne laisse pas indifférent. Son exposition au Louvre, dans les salles de peinture flamande, avait ulcéré les uns et enthousiasmé les autres, dont je suis, tant son jeu tentaculaire avec le monde plein de mort, de sang, de volupté perverse qui est celui des peintres flamands créait des résonances profondes chez le spectateur, contraint de revoir les peintures sous une lumière décapante qui leur ôtaient la couche de crasse de la culture conformiste et bourgeoise.

Dire que Jan Fabre, entre autres, est un chorégraphe, c'est toujours un peu étrange. Au fond, ce que cela nous dit, c'est que la danse contemporaine aujourd'hui est bonne fille : qui veut échapper à la tyrannie des diktats associés au mot théâtre (narration, personnages, texte) dit qu'il fait de la danse ; qui veut faire de jolis spectacles qui plaisent bien aux branchés qui lisent Technikart aussi. Les spectacles de Jan Fabre ont leur public, mais aussi leurs mécontents, ces spectateurs éternellement abonnés au Théâtre de la Ville et éternellement enclins à partir en cours de spectacle. Je ne sais pas qui est ce public, je sens simplement, instinctivement, que j'en fais partie beaucoup plus que je ne fais partie du camp d'en face. J'avais fait une critique du dernier spectacle de Fabre donné place du Châtelet, cette Orgie de la tolérance qui avait été, je trouve, si mal compris par une grande masse des critiques : on y avait vu une dénonciation systématique et manichéenne des maux du monde d'aujourd'hui, là où il dénonçait, avec ironie et verve, la tyrannie des bien-pensants, ceux qui précisément construisent leur identité sur ce genre de dénonciations stéréotypées et en font une arme de pouvoir. Sans doute ce spectacle n'a-t-il pas été compris, notamment par ceux qu'il attaquait, mais je ne suis pas sûr que ce moraliste subtil s'en inquiète outre mesure. L'Avare n'a jamais faire rire personne plus que les Harpagon d'hier et d'aujourd'hui...

Art politique, art moral, art complexe : quoi de plus utile aujourd'hui ?

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vendredi 11 juin 2010

La semaine du grand répertoire (sauf à la fin)

Après tout, pourquoi pas, une fois de temps en temps ? Les hasards de mes déplacements ont voulu que je me trouve en Bavière avec un programme lyrique pas vraiment conforme à mes habitudes. Jugez-en plutôt : Carmen, Lucia di Lammermoor, Nabucco, L'Enlèvement au sérail. Il s'agit certes d'œuvres que j'aime (point de Puccini là-dedans, et un Verdi de jeunesse dont la rigueur formelle n'est pas pour me déplaire), mais tout de même, une dose aussi concentrée de grand répertoire est bien inhabituelle pour moi.
Les soirs, il est vrai, se suivent et ne se ressemblent pas. On n'ose plus disqualifier un spectacle en le traitant de provincial (surtout quand l'Opéra de Paris... mais j'en parlerai une autre fois) : dans le cas du Nabucco de Nuremberg, l'envie m'en démange pourtant furieusement. La seule idée de mise en scène est de situer l'œuvre dans l'univers noir et blanc des films muets, comme pour obliger le spectateur à n'y voir qu'un péplum grandiloquent, et que dire des chanteurs (notamment l'Abigaille impossible de Gabriella Morigi), de l'orchestre, du chœur ? Pourtant, le lendemain, le passage de la seconde ville de Bavière à la troisième montre que l'infrastructure typiquement allemande du théâtre municipal disposant d'une troupe permanente n'est pas condamnée à cette caricature de provincialisme bouvardetpéchuchetique.
Sans doute les chanteurs qui affrontaient ce soir-là à Augsbourg les difficultés de Lucia di Lammermoor seraient-ils déplacés sur une grande scène internationale ; dans le cadre intime de cette scène de taille moyenne, dans une production simple et efficace, ils donnent au spectateur plus de plaisir qu'une distribution plus prestigieuse sur bien des grandes scènes internationales. Vaut-il mieux voir cet opéra à Augsbourg avec cette distribution inconnue mais consciencieuse et volontaire ou dans une grande capitale avec les mêmes vieux routiers du circuit international ? Quand se pose la question financière, la réponse est simple : mieux vaut aller à Augsbourg ou équivalents et avoir les chanteurs littéralement sous son nez plutôt que de se percher en haut de l'amphithéâtre du Royal Opera.

Il y a tout de même une chose que les grandes maisons seules peuvent fournir, et c'est le mérite - mais le seul - de la Carmen donnée en ce moment par l'Opéra de Munich : Elina Garanca, Jonas Kaufmann. Oh, bien sûr, rien n'est jamais assuré, et si la mise en scène intéressante de Martin Duncan* n'avait pas été la motivation première de ma venue, il y aurait eu de quoi être franchement agacé par L'enlèvement au Sérail musicalement indigne proposé quelques jours plus tôt par la même maison (l'Osmin sans voix de Peter Rose et la direction molle, lente et laide de Johannes Debus sont tout particulièrement à recommander). Et la mise en scène de cette Carmen, qui date de 1992 et n'a sans doute jamais été bonne, est devenu d'une pauvreté insigne (les mouvements du chœur au début de l'acte IV franchissaient ainsi allègrement les limites de l'amateurisme), sans parler de dialogues massacrés. Mais voilà, il y avait ce couple extraordinaire, qui suffit à rendre la représentation passionnante.
Carton-pâte authentique : Carmen à l'Opéra de Bavière
 Non, ce n'est pas le mot : pas passionnante. Il y manque à vrai dire beaucoup : l'absence de mise en scène a tendance à réduire Carmen à ce qu'elle n'est pas, une série de tubes certes efficace, mais sans cohérence, d'autant que le chef - Karel Mark Chichon, Monsieur Garanca -, avec tout son dynamisme et son excellente maîtrise de l'orchestre maison, ne peut guère rivaliser avec la direction de Marc Minkowski au Châtelet il y a quelques années en matière de maîtrise de la grande forme.
Donc, pas passionnante, mais gratifiante : rarement on aura eu en Don José un ténor aussi ennemi de l'effet, aussi soucieux de n'utiliser que la partition, rien que la partition pour émouvoir le spectateur, aussi déchiré entre force et faiblesse. Rarement Carmen aura autant renoncé à la sauvagerie de la gitane pour accepter de faire de Carmen ce qu'elle est avant tout : un mystère plus qu'une conquérante.
On était venu pour une fête du chant, on l'a eue (Micaëla était chantée par Genia Kühmeier, comme au Châtelet, et ça ne gâche vraiment rien). Mais surtout, on a eu une fête de l'intelligence, et une fête de la musicalité. Quand on défend comme je le fais l'importance d'une mise en scène ambitieuse à l'opéra, on s'entend souvent reprocher de négliger le chant (alpha et oméga du lyricomane de base) : point du tout, quand il est vraiment mis au service de la musique et d'un théâtre intérieur à défaut d'être présent sur la scène. Il y a tout un monde dans le chant : quel dommage alors de le limiter aux charmes primaires d'une jolie voix...

Ah oui, pour finir : le lendemain, Medea in Corinto de Giovanni Simone Mayr dans la même maison. Une partition absolument nulle, dont l'absence au répertoire est amplement justifiée. Oui, parce que vous savez, l'opéra, c'est les chanteurs, soit ; mais c'est quand même, avant tout, l'œuvre d'un compositeur. Malheur à qui l'oublie.

*Lequel Martin Duncan, on le rappelle, travaillera en France la saison prochaine, avec Les fiançailles au couvent de Prokofiev, à Toulouse et à l'Opéra-Comique.

PS : Le programme de la Comédie-Française pour la prochaine saison vient de paraître (à télécharger ici en PDF). La vie culturelle parisienne se réduirait-elle à Jérôme Deschamps et Laurent Pelly, Pelly et Deschamps, Deschamps et Pelly ?

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vendredi 4 juin 2010

Bayadère encore

La première nouvelle de la série de Bayadères que j'ai vues ces dernières semaines à l'Opéra Garnier (avec des places à 6 ou 7 euros...), c'est que j'aime toujours autant ce ballet. J'avais bien un peu oublié la médiocrité redoutable de la musique de Minkus, qui n'est vraiment agréable que pendant une toute petite partie du ballet, mais à part quelques petits moments d'agacement j'ai réussi pour l'essentiel à passer outre et à prendre beaucoup de plaisir à ce que je voyais. Par rapport aux prévisions que j'avais faites dans un message précédent, pas mal de choses se sont vérifiées, d'autres moins : sans vouloir entrer dans les détails, voici quelques remarques au passage.

Si je devais élire une reine parmi les danseuses qui se sont produites dans les rôles principaux, ce serait certainement Clairemarie Osta, dont la Nikiya divise les esprits de façon très intéressante. Le reproche qui lui est fait est de ne pas donner assez de relief à sa Nikiya. C'est vrai, sa Nikiya n'est pas spectaculaire, ce qui n'étonne pas chez une danseuse qui n'a jamais cherché à l'être ; mais dans cette interprétation minimaliste, il y a des merveilles cachées, qui n'intéressent souvent pas beaucoup ceux pour qui le Bolchoi et le Mariinsky restent l'alpha et l'oméga de la danse classique*. Aucune danseuse n'exprime mieux qu'elle ce silence de la Bayadère, qui est le nœud du rôle : même amoureuse, même distinguée par un choix princier, Nikiya reste une inférieure, une humiliée, dépossédée de sa voix et de son corps. À cela s'ajoute l'ambiguïté constitutive de l'Acte des ombres, rêverie nourrie à l'opium du malheureux Solor : entre l'enfermement dont elle était victime de son vivant et cette supériorité mystérieuse du monde de l'au-delà, où souffrance et compassion ne sont peut-être pas abolies. Aucune danseuse ne sait retenir sa technique pour la mettre au service de l'œuvre avec autant d'intelligence scénique que Mlle Osta.

Face à ce miracle de pureté, on aura surtout retenu une interprétation bien différente, celle toute en sensualité d'Aurélie Dupont, de préférence à une prestation étonnamment éteinte de la grande Agnès Letestu ou à Dorothée Gilbert dont je vais reparler. Aurélie Dupont, dans son partenariat idéal avec Nicolas Le Riche, semble en pleine renaissance, après quelques saisons en demi-teinte : pourvu que ça dure, parce que, dans une interprétation plus traditionnelle que celle de Mlle Osta, on peut difficilement faire mieux, avec cette chaleur que les stars russes sont loin de pouvoir toujours égaler.

Nicolas Le Riche, donc : lui aussi a dominé les débats chez les hommes, avec une concurrence il est vrai légèrement moins relevée. Comme pour Aurélie Dupont, j'avais souvent relevé ces dernières années un manque de tension, d'engagement, d'envie chez ce danseur au talent ravageur : ouf, on en est sorti pour cette Bayadère, et la comparaison avec le jeune Mathias Heymann dans le même rôle (Solor, donc) était une démonstration irréfutable que ce qui fait un grand danseur n'est pas seulement la technique. Les sauts de Mathias Heymann sont époustouflants, sa légèreté sans égale, mais il donne l'impression que tout cela est sans importance, que le ballet n'est qu'un prétexte et qu'il aurait pu, à la place, caser une variation du Corsaire ou de Don Quichotte. Avec Nicolas Le Riche, au contraire, comme autrefois avec Laurent Hilaire, c'est tout le contraire : la technique est la porte ouverte sur un personnage, sur une expérience humaine.

Le troisième personnage de ce trio amoureux, la belle Gamzatti, aura été par comparaison bien mal traitée : on ne comprend pas pourquoi Brigitte Lefèvre n'a pas fait confiance à de jeunes danseuses qui auraient su faire vivre le personnage bien mieux que les pensums qu'elle nous a infligés. N'en déplaise à un commentateur d'un de mes précédents messages qui avait défendu cette danseuse, la fosse des Mariannes de l'expressivité a été atteinte à mes yeux par Ludmila Pagliero, triste danseuse sans personnalité, sans idée du personnage, sans capacité à construire quoi que ce soit avec les pas qu'on lui a appris (ce qui vaut aussi pour la 1ère variation des Ombres qu'elle a interprétée de façon tout aussi endormie). Dans un rôle qui nécessite une bonne maîtrise de la pantomime, ces défauts étaient particulièrement regrettables. J'ai par bonheur échappé à Mélanie Hurel dans ce rôle (merci, je connais déjà, ça me suffit), mais pas à Emilie Cozette : l'étoile imméritée de la troupe s'est relativement bien sortie de ce rôle, avec une technique souvent brutale et peu élégante, mais avec un jeu scénique convaincant à défaut d'être sobre, qui fait de Gamzatti une manipulatrice sans foi ni loi : on peut, après tout, s'en satisfaire.

Reste Dorothée Gilbert, que j'ai vue en Nikiya et en Gamzatti : dans les deux cas, j'ai été surpris (comme beaucoup) par une technique moins brillante et solide que je ne l'aurais cru, et gêné par un jeu souvent caricatural, qui a le mérite d'être divertissant, mais est parfois plus proche du toon que de la pantomime. Dorothée Gilbert, le Roger Rabbit de la danse classique... Mais point trop n'en faut : évidemment, on a là une interprétation digne, qui ne dépare pas. Mais pour devenir une danseuse majeure, il y a encore beaucoup de travail pour conquérir ces détails qui font tout.

Parmi les nombreux petits rôles, je ne vais pas distribuer de mauvais points (euh... si, Mélanie Hurel en 2e ombre, tout de même, avec cette façon caricaturale d'entamer ses sauts le nez en avant et de faire ses tours selon un axe toujours plus improbable), mais pas mal de bons points :
  • La danse indienne, franchement (comme la danse arabe dans Casse-Noisette...), tout le monde s'en moque. Oui, sauf quand Sabrina Mallem s'en mêle... Il y a eu certes aussi l'épatante Sarah Kora Dayanova dans le même rôle : abondance de biens ne nuit pas, à un tel niveau, mais je donne la palme à Mlle Mallem pour avoir réussi à exister en tant qu'interprète dans ce morceau étrange avec un chien de tous les diables.
  • La danse manou ? Bon, n'exagérons pas, on ne peut rien en faire, même pas vraiment la gâcher. Motus donc.
  • Et l'Idole dorée ? Cette variation, dont Noureev fait un étrange mélange de hiératisme minéral et de virtuosité bondissante, n'a pas trop convaincu ici : aucun danseur n'a réussi à trouver ici le ton juste ;  celui qui s'en est le plus approché est sans doute Alessio Carbone, tandis que Mathias Heymann ne parvenait pas, avec toute sa virtuosité, à construire sa variation de façon efficace, si bien que - comble - sa danse ne paraissait même pas si virtuose que cela.
  • Restent les variations des Ombres : il faut d'abord se plaindre du manque de curiosité de Mlle Lefèvre, qui a fait danser ces variations par un petit nombre de danseurs déjà expérimentés au lieu de s'en servir pour faire progresser les jeunes danseurs. On a bien eu droit à Mlle Dayanova (éblouissante) dans la première, à Mathilde Froustey et Charline Giezendanner dans la seconde, mais on a subi en échange des Pagliero et des Hurel à foison.
Mais ne nous laissons pas emporter par ces critiques de détail : l'atmosphère globale reste celle d'une grande satisfaction, grâce à un corps de ballet qui avait répété, qui a réussi à trouver un liant qui lui a parfois manqué, qui est tout sauf morne. Avec quelques danseurs d'exception dans les rôles principaux et certains seconds rôles secondaires, cette Bayadère est l'une des séries de ballet classique les plus satisfaisantes des dernières années de la direction Lefèvre : sans Brigitte Lefèvre, nul doute que ça ne pourra qu'aller mieux !


* Cf. la récente nomination comme étoiles du Bolchoi de Natalia Ossipova et Ivan Vassiliev, qui représentent idéalement cette tendance destructrice qui veut faire de la danse classique un show commercial efficace au détriment de la complexité, du caractère codé, de la polysémie du répertoire. Au lieu de réfléchir à ce qui fait la puissance réelle de ce répertoire, de mieux comprendre les structures des oeuvres héritées, d'essayer de faire revivre le sens au-delà des geste, à la manière de ce qui a été fait pour la musique baroque ces cinquante dernières années.

PS : ceux qui voudraient lire ici une critique de la Walkyrie qui vient d'avoir sa première à l'Opéra Bastille devront attendre encore : je n'y vais que le 20 juin. Si vous ne l'avez pas encore fait, vous pourriez déjà lire ce que j'avais écrit sur l'Or du Rhin dans la même maison...

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