vendredi 8 janvier 2010

Admirations (6) - Jonas Kaufmann, au-delà du contre-ut

On aura peut-être remarqué que ce blog n'est pas vraiment un monument à la gloire des rois du contre-ut, culte qui est même volontiers vu avec quelque désapprobation en ces lieux. Ce n'est pas la tessiture que je n'aime pas, mais l'espèce de suprématie reconnue à une petite fraction de ses possesseurs, spécialistes d'une fraction du répertoire lyrique qui passe on ne sait pourquoi comme l'essence de l'opéra. Des grands artistes dotés d'une voix de ténor, il y en a, par dizaines : Ian Bostridge, Philip Langridge, Toby Spence, Paul Agnew, Jean-Paul Fouchécourt, Robert Tear, John Mark Ainsley, Christoph Prégardien, Anthony Rolfe-Johnson, Graham Clark, Lawrence Brownlee, Heinz Zednik... J'en oublie sans doute beaucoup.

Lohengrin : Jonas Kaufmann, Anja Harteros - Bayerische Staatsoper

 Et puis, il y a Jonas Kaufmann. Un de ces chanteurs à l'intelligence souveraine, mais doté d'une voix qui l'autorise à chanter aussi le grand répertoire classique des Pavarotti, Domingo et autres Alagna, et ayant le bon goût de n'en point abuser. J'ai découvert ce chanteur pour ma part lors de sa Traviata parisienne en juin 2007 : je n'avais jamais entendu quelque chose comme cela, cette volonté tenace de ne pas céder à la routine, de vraiment prendre en compte le texte - par la diction, mais bien au-delà de la diction -, d'être plus au service de l'oeuvre qu'il défend que des goûts immédiats du public. Certains le lui en avaient voulu, comme ils lui en veulent encore, notamment pour son timbre inhabituellement sombre pour un ténor : la vraie raison, pourtant, des oppositions que rencontre ce chanteur exceptionnel, c'est sa technique qui, pour une raison ou pour une autre, fait frémir les orthodoxes - sans compter qu'étant Jonas Kaufmann, il n'est pas Pavarotti, ce qui est autant un truisme qu'un crime irrémissible.

Heureusement, la carrière du ténor allemand ne semble pas souffrir de ces ratiocinations : il est vrai que sa gorge, pour l'instant - et après plus de quinze ans de carrière - a le mauvais goût de tenir bon, grâce à l'intelligence de choix de carrière qui ont retardé son arrivée au sommet, mais aideront certainement à l'y maintenir. Certes, il n'aborde pas que des rôles selon mon cœur (était-il nécessaire de chanter Werther, comme il va le faire ce mois-ci à l'Opéra de Paris, qui plus est dans une mise en scène qu'on nous annonce à nouveau comme considérablement vieillotte ?) ; mais il prend aussi le temps de reprendre le rôle du Fils de roi dans Königskinder de Humperdinck à Zurich (un authentique chef-d'œuvre méconnu, j'y serai), sans parler des Troyens qu'il abordera dans deux saisons à Londres : un vrai parcours personnel, qui navigue constamment entre des choix individuels et le grand répertoire (Carmen prochainement à Munich). Et qui, en l'occurrence, réunit dans une même admiration les connaisseurs pointilleux (à quelques exceptions près) et le grand public, les lyricomanes bruts de décoffrages et les intellos.

Il faut toujours être économe sur les superlatifs. Ici, on peut pourtant bien en glisser un ou deux : on n'avait jamais entendu ça, même sur les vieilles cires censées contenir tout ce qui manque aux chanteurs d'aujourd'hui. Cette aisance à franchir l'orchestre sans jamais forcer, cette appropriation des rôles (a-t-on déjà vu un Lohengrin aussi complexe, aussi humain, aussi exempt d'angélisme ?), cette audace dans le choix des nuances..

Photo : Lohengrin à Munich, avec Anja Harteros (mise en scène : Richard Jones)


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Il reste de très nombreuses places pour le concert de l'un des meilleurs orchestres du monde, l'Orchestre du Festival de Budapest, sous la direction d'Ivan Fischer (Salle Pleyel, ce samedi 9 janvier) !
Ivan Fischer est pour moi d'ores et déjà un très grand chef, et je crois fortement qu'il sera dans dix ou quinze ans ce que sont les Jansons, Abbado ou Haitink aujourd'hui, une légende de la direction orchestrale !
Au programme : Wagner et Stravinsky.

2 commentaires:

  1. hé bien, ... OUI !!! Il a eu raison de chanter Werther !!! -> voir l'opéra en entier sur arte live web à cette adresse : http://liveweb.arte.tv/fr/video/Werther_a_l_Opera_Bastille/
    C'est du grand art. Tout y est. Et il était malade, en plus... ça ne se voit pas ^^
    Et je préfère largement une mise en scène "vieillotte" (?) à une inspiration divine que ne peut percevoir que l'auteur de la mise en scène...
    son passage sur la scène de Bastille restera dans les mémoires... et je n'irais pas voir les prochains Werther que l'Opéra ne manquera pas de donner, puisqu'ils ont acheté la production...
    Puisse la carrière de ce magnifique chanteur se poursuivre longtemps encore !!!

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  2. Ma foi nous sommes fin 2014 et pour le moment, sa carrière nous a permis encore de le découvrir dans des rôles aussi incroyables que réussis...

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