samedi 27 février 2010

2010-2011, une saison à l'Opéra de Paris

La saison n'est pas encore officiellement publiée, mais déjà on sait presque tout. Je ne veux pas ici faire le bilan de la première saison de Nicolas Joel à l'Opéra de Paris (attendons encore un peu, même si on peut déjà annoncer la couleur), mais les informations cumulées du passé récent et de l'avenir plus ou moins proche peuvent facilement susciter pas mal de commentaires.
Il reste, bien sûr, pas mal d'incertitudes, comme ce Ring pas encore commencé, mais dont la continuation occupera une partie importante des forces de l'Opéra la saison prochaine. La piste française ouverte avec pompe, prétention, pertes et fracas semble étonnamment déjà s'essouffler : certes, Manon de Massenet ne vaut pas grand-chose, mais au moins elle est cette fois seule à labourer le champ de la médiocrité nationale, et il faut bien de quoi nourrir le star-system (en l'occurrence Natalie Dessay).

Les raretés ne manquent pas, mais elles ne dévient quant à elle pas de la ligne du parti : après le médiocrissime Andrea Chénier (un spectacle dégradant pour l'institution qui n'a pas eu honte de le programmer et pour les spectateurs qui l'ont subi), voilà Francesca da Rimini de Zandonai ; après La Ville morte, Mathis le Peintre de Hindemith, dont le néo-classicisme convenu m'a toujours épouvantablement ennuyé : on voit bien la vision du XXe siècle qui se dégage ici, entièrement tournée vers le passé, dans des langages musicaux résolument hostiles à toute forme nouvelle. La reprise de L'Amour des trois oranges de Prokofiev participe de cette même esthétique, et même la création de l'année, confiée au très sage compositeur français Bruno Mantovani (sur la poétesse Anna Akhmatova) ne devrait pas effrayer les oreilles les plus frileuses.
Cette paresse intellectuelle a son pendant dans le domaine baroque : cette fois, on a bien droit à une nouvelle production, mais c'est encore Jules César de Haendel qui sera à l'affiche (l'œuvre a déjà été donnée à Garnier dans la production signée par Nicolas Hytner en 1987 et redonnée en 1997 et 2002, puis au Théâtre des Champs-Élysées en 2006, sans parler d'innombrables versions de concert, dont le récent show de la salle Pleyel [Bartoli/Scholl/Christie]). Pour ne rien arranger, la production sera signée Laurent Pelly, honorable artisan dont on n'attend à vrai dire pas grand-chose de plus qu'une illustration bien faite et divertissante d'une œuvre qui mérite une approche bien plus inventive.

Pour le reste, on ne sort pas des sentiers battus : les reprises annoncées sont en partie sympathiques mais convenues (Ariane à Naxos, production de Laurent Pelly), en partie désespérées (comment imaginer que quiconque pourra tirer un quelconque profit artistique de l'antédiluvienne Tosca autrefois attribuée à Werner Schroeter, ou de la Luisa Miller de Gilbert Deflo ?) ; seule la reprise-prétexte de la Katia Kabanova de Janáček mise en scène par Christoph Marthaler, production salzbourgeoise de l'époque Mortier que Nicolas Joel avait accueillie à Toulouse, sans doute pas le meilleur spectacle de Marthaler, vient témoigner petitement de la vitalité du théâtre musical en Europe (comme beaucoup de lyricomanes, Joel part du principe qu'on peut faire tout ce qu'on veut du répertoire XXe, à condition qu'il ne manque pas une crinoline ou un uniforme dans le grand répertoire).
Le pire est cependant atteint avec le viol délibéré d'un grand artiste mort, Giorgio Strehler, dont les Noces de Figaro créées en 1973 seront reconstituées - autrement dit un nom prestigieux, des décors et costumes refaits, et rien de ce qui faisait le fond du travail de Strehler : il est parfaitement idiot de penser qu'un assistant va pouvoir faire revivre, à partir de quelques notes par-ci par-là, l'état d'esprit que ce génie faisait naître par des semaines de répétitions acharnées... Mais rassurez-vous, on ne s'arrêtera pas là, puisque Jérôme Deschamps entre à l'Opéra-Comique dans la même démarche ultra-conservatrice avec la reconstitution du célèbre Atys de Lully monté en 1987 par Villégier (lequel, au moins, est encore à peu près vivant).

Voilà, c'est à peu près tout... Non, il manque encore en ouverture de saison un Vaisseau fantôme dont j'ignore le metteur en scène (mais le plus mauvais des grands opéras de Wagner ne peut guère susciter beaucoup d'enthousiasme a priori), une reprise d'un Così qui pourrait bien être celui du décorateur improvisé metteur en scène Ezio Toffolutti, un des spectacles les plus ennuyeux que j'aie pu voir (millésime 1996 quand même, et déjà vieux alors), et deux ou trois détails sans intérêt...
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En attendant, les premières parutions officielles de saisons 2010/2011 commencent à arriver : le premier à avoir ouvert le bal en Europe est l'Opéra d'Amsterdam, comme toujours ; même si je n'aime pas du tout son directeur Pierre Audi, il est difficile de ne pas y trouver une ou deux choses intéressante, comme la reprise d'une production mozartienne de Jossi Wieler et Sergio Morabito, ou les rares Soldats de Bernd Alois Zimmermann. On attendra encore quelques jours pour avoir une confirmation officielle des rumeurs parisiennes ; mais on peut déjà s'attendre à ce que Paris, capitale mondiale (ou presque) des grands concerts symphoniques, reste une saison de plus une sous-préfecture lyrique...
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