mercredi 4 avril 2007

Opéra de Paris: prochaine saison (2)

BALLET

On n'a pas pu éviter un mouvement de recul en voyant la nouvelle saison du Ballet de l'Opéra de Paris: deux ballets classiques en tout et pour tout, pour la dernière troupe de danse classique de France, c'est bien peu, surtout quand l'un des deux est Paquita, peu stimulante reconstitution d'un ballet qui n'était sans doute pas inoubliable. L'autre est Casse-Noisette, absent du répertoire depuis 2001; on ne peut que s'en réjouir, en espérant un grand moment de danse classique, même si je ne connais pas la version de Noureev.
Après réflexion, on constate que cette saison contemporaine s'explique par un choix assumé de la direction, celui de consacrer une saison au XXe siècle. Cela me paraît tout à fait admissible, dès lors qu'il s'agit d'une seule saison et qu'on peut espérer ensuite, notamment sous la direction de Nicolas Joël*, un retour à un meilleur équilibre.
Ce qui est surprenant au fond, c'est que cette saison contemporaine comporte aussi peu de créations: une seule en fait, confiée au chorégraphe américain Wayne McGregor, dont je n'ai rien vu; elle est couplée avec une oeuvre intéressante, Le Songe de Médée de Preljocaj, oeuvre difficile d'accès sans doute mais qui pénètre loin dans les entrailles du mythe de Médée.
L'autre nouveauté n'est pas une création, mais l'entrée au répertoire de deux des ballets les plus connus de Mats Ek, dont l'Opéra a déjà vu les inoubliables Appartement (DVD) et Giselle (pas DVD, mais une merveilleuse vidéo avec la créatrice Ana Laguna circule): il s'agit ici de A sort of... et de La Maison de Bernarda (même chose que Giselle); ma préférence va au second, narratif, mais les deux sont au même programme.

Une autre création appartient, elle, appartient autant au domaine de l'opéra qu'à celui de la danse, la "symphonie dramatique" Roméo et Juliette de Berlioz chorégraphiée par Sasha Waltz. La chorégraphe allemande est une figure de proue de la nouvelle danse allemande, et son travail est intéressant et d'une grande beauté, sans doute plus de beauté que de profondeur d'ailleurs. Il était en tout cas tout à fait justifié qu'elle fasse ainsi ses débuts à l'Opéra de Paris (d'autres seraient bienvenus, à commencer par Anne Teresa de Keersmaeker).
Dans le même domaine, le ballet reprend Orphée et Eurydice de Gluck vu par Pina Bausch: si cette chorégraphie n'a pas la force unique de son Sacre du Printemps, elle constitue une bonne mise en scène de l'opéra de Gluck...

Parmi les reprises, deux sont consacrées à des chorégraphes maison, les étoiles Kader Belarbi et Nicolas Le Riche. Le premier a réussi avec Wuthering Heights l'un des plus beaux ballets narratifs des dernières décennies, d'une intensité et d'une cohérence parfaites, qui plus est sur une musique magnifique de Philippe Hersant (ça change des éternels Glass/Cage...) et une scénographie inoubliable (cet arbre...). On peut rêver que cette reprise soit l'occasion de publier la vidéo du ballet tournée lors de la création...
L'oeuvre du second, Caligula, est plus fragile, et ballettomanes comme critiques n'avaient pas été tendres lors de sa création. Cette fragilité me semble au contraire être une qualité, et j'avais été frappé lors de la création du silence et de l'attention du public ("grand public", donc) à la proposition de Nicolas Le Riche. S'il reste moins d'images fortes que pour Wuthering Heights, je sens encore l'émotion des solos de la Lune ou de ceux de Mnester, qui avait bénéficié de la présence magnétique de Laurent Hilaire.

Ces deux ballets, d'une certaine façon, se tiennent dans la descendance du grand maître du ballet narratif de ces trente dernières années, John Neumeier**: on pourra donc les comparer avec profit à La Dame aux camélias, entrée récente au répertoire mais ballet trentenaire, repris ici une fois de plus: le ballet est de toute beauté, avec ces pas de deux presque infinis, mais on espère que la troupe arrivera à une interprétation plus idiomatique et plus collective que jusqu'à présent.

Le contemporain se voudra réconcilié avec le classique en une soirée mixte Noureev/Balanchine/Forsythe: il est bien entendu idiot de présenter des extraits de Raymonda, mais on se réjouira du retour de Forsythe; quant au Balanchine, Les Quatre tempéraments, il n'est pas vraiment le plus passionnant de son auteur.

Enfin, l'Opéra vide ses fonds de tiroir en reprenant, pour la dernière fois on l'espère, Signes de Carolyn Carlson [DVD], ballet contemporain pour lectrices de Femme actuelle, avec sa spiritualité zen à deux sous.

Pour ne pas terminer sur cette mauvaise note, n'oublions pas le spectacle de l'Ecole de Danse: après une édition 2007 dominée de très haut par Napoli de Bournonville mais alourdi par deux autres pièces plutôt lourdes, l'édition 2008 se penchera sur l'histoire du ballet de l'Opéra avec un ballet d'un de ses maîtres de ballet des années 20/30, Leo Staats, puis un Roland Petit -pas trop vieillot, espérons-le- et une oeuvre plus contemporaine dont je ne sais rien.
Et bien sûr la venue du Bolchoi, avec trois programmes: l'espoir est que la troupe russe réussisse enfin à prouver qu'elle est autre chose qu'une troupe d'athlètes présentant toujours les mêmes spectacles poussiéreux...

*dont j'ai dit le plus grand mal en tant que directeur d'opéra, mais qui aura certainement à coeur de revitaliser l'héritage classique du ballet, sans fermer la porte à l'indispensable contemporain.
** Notons tout de suite que sa troupe, le Ballet de Hambourg, présentera une de ses dernières créations, Mort à Venise, au Châtelet en avril 2008.

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