J'ai été victime, en ce dimanche électoral, d'un des colis suspects qui polluent la vie des Français depuis plusieurs années. Il était dans mon wagon de métro: un pauvre petit sac à dos d'une banalité effarante, et trop petit pour contenir une bombe. Ce blog n'est fait ni pour parler de moi, ni pour parler de politique, mais d'une part ce petit incident m'a fait réfléchir, d'autre part la culture, en ce qu'elle forme nos cadres de pensée, est forcément politique.
Oui, il y a un risque terroriste; oui, il est bon de contenir ce risque, qui pèse bien moins sur nous que le risque d'accident de la route. Le problème est que ce risque a envahi notre culture, nos mentalités.
Le 11 septembre 2001 a été une libération pour le monde occidental. On sentait bien, avant, qu'on n'était pas rassuré, mais on ne savait pas très bien de quoi avoir peur. Le communisme avait depuis longtemps fini d'inquiéter qui que ce soit (ou presque), et il avait aussi, il y a longtemps, représenté pour beaucoup un espoir. Tandis que là: un ennemi parfait, invisible, planétaire. Et arabe: de quoi faire ressortir, mine de rien, le racisme latent de la société française. Et tout cela dans un consensus presque idyllique.
La sécurité devient donc, logiquement, la valeur numéro un, et la devise française: sécurité, sécurité, sécurité. La sécurité envahit tout: des transports en commun à Internet, de l'alimentation (manger n'a jamais été aussi sûr, mais cela n'empêche pas) aux inévitables "banlieues" (l'important dans la peur des banlieues n'étant pas ce qui s'y passe -qui ne concerne que ceux qui y habitent- mais la crainte généralisée, et invraisemblable, que cela déborde).
Bien sûr, tout cela n'est pas sans influence dans le domaine de la culture institutionnelle, et notamment dans sa réception par le public, qui cherche dans sa consommation culturelle avant tout la sécurité. Les institutions de référence (Opéra de Paris, Comédie Française) sont plébiscitées, les institutions plus audacieuses comme la Cité de la Musique souffrent. Le retour au répertoire du XIXe siècle, comme Louise ou La Juive, le repli sur le répertoire national, la marginalisation croissante de la musique contemporaine participent du même mouvement.
Et pourtant, la culture c'est l'inverse de cette sécurité; si vous ne prenez pas le risque de voir un spectacle qui constitue un risque, si vous ne vous limitez qu'aux spectacles les plus sûrs (grandes oeuvres avec de grands noms), vous n'en risquez pas moins d'être déçus, mais en plus vous êtes à peu près sûrs d'éviter les bonnes surprises. Tous les spectateurs qui sont allés voir Les Bassarides de Henze au Châtelet (d'avant Choplin...) en ont été, je crois, très heureux, alors que personne ne connaissait cette oeuvre; combien ont été déçus par le niveau musical de productions de l'Opéra de Paris?
Une chose est sûre: la peur affaiblit, et on peut dire aujourd'hui que les terroristes ont largement rempli leur objectif d'avilir les sociétés occidentales. Si elles veulent sortir victorieuses et grandies de la crise dans laquelle elles se sont plongées elles-mêmes, ce sera par leurs valeurs et leur culture. La sécurité n'en fait pas partie.
NB pour les lecteurs étrangers: ce message est écrit de France, mais cela ne veut pas dire que ce n'est valable que pour la France. Il y a, bien sûr, des nuances nationales (l'Allemagne est moins touchée par ce fléau de la peur, les Etats-Unis le sont plus encore), mais l'essentiel est valable pour l'ensemble des pays dits "développés".
lundi 23 avril 2007
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