mardi 7 septembre 2010

Le crépuscule des idoles, ou comment s'en débarrasser

Quoi de neuf à l'opéra ? Eh bien... Placido Domingo, Ruggero Raimondi, Edita Gruberova... Et c'est tout ? Ah non, j'oubliais : Alain Duault, bien sûr ! Que de fraîcheur, que d'audace, que de dynamisme !


Vous l'avez deviné : je vais vous parler du récent Rigoletto produit par la RAI et diffusé ce week-end en mondiovision. Et vous l'avez sans doute aussi deviné : je ne l'ai pas vu, ce qui est notoirement la meilleure qualification possible pour en parler. Le Dieu auquel on rend un culte dans ce projet, ce n'est pas un compositeur, c'est un chanteur, l'omniprésent Placido Domingo. Bien sûr, il ne faudrait pas dire que s'il se met à aborder des rôles de baryton (Boccanegra récemment, ici Rigoletto - mais sans public !), c'est parce que sa voix est à l'agonie : non, il faut conserver le mythe de l'indestructible Placido. Son statut dominant dans le monde lyrique, il le doit certainement à beaucoup de qualités réelles, mais il le doit surtout à sa participation à l'une des plus lamentables entreprises de dévoiement culturel, les fameux Trois ténors. Sans doute, ce n'était pas pire que les bêtises de Roberto Alagna (Luis Mariano ou les "créations" de ses frères), ou l'album Mexico de Rolando Villazon (qui a lui aussi de bonnes raisons de faire oublier l'état de sa voix lyrique). Mais il ne faut pas non plus se laisser aveugler : sans cette aventure commerciale, sa notoriété ne serait pas ce qu'elle est (on peut comparer avec Jonas Kaufmann, qui n'a certes pas le même répertoire, mais a un talent et une intelligence audible incomparable, avec pourtant une notoriété bien moindre).

Dans le domaine de la mode, une marque continue au-delà de la mort de son créateur ; dans le domaine de l'opéra, on ne peut pas pérenniser une marque quand la voix n'est plus là : ainsi s'explique la pathétique survie médiatique de Domingo, comme celle de Ruggero Raimondi ou, dans un tout autre style, celle d'Edita Gruberova, accueillie récemment en triomphe lors d'un invraisemblable récital parisien.

 Je l'avoue : aucun de ces trois chanteurs ne m'a jamais beaucoup intéressé, sur scène comme en conserve. Mais ce n'est rien à côté de ce qu'ils sont devenus. J'ai écouté l'un des nombreux Simon Boccanegra donnés par Domingo ces derniers mois, et j'ai écouté avec plus encore d'intérêt et de stupéfaction le concert de louanges que n'ont pas manqué d'entonner ses thuriféraires : je peux comprendre qu'on privilégie l'émotion à la justesse, mais il y a des limites, surtout quand en plus j'ai bien du mal à détecter la moindre émotion, sinon celle que donnent les ruines au touriste consciencieux. Le contraste entre ces aboiements mal maîtrisés et le chant immensément cultivé, intelligent et sensible de sa partenaire Anja Harteros n'aurait pu être plus grand.

Il en va de même pour les deux autres chanteurs cités : si la carrière de Raimondi est en dents de scie depuis un bon moment, celle d'Edita Gruberova est florissante dans les quelques villes qui veulent bien d'elles, et j'ai bien assez à mon goût été témoin du culte que lui vouent les "mélomanes" de Munich. Un journal autrichien a même parlé d'école de style à propos de sa récente Norma salzbourgeoise. Oui mais voilà, elle aussi est une grande spécialiste des compromis avec la justesse, des vocalises savonnées, des attaques basses (tiens, les attaques basses : j'aurais pu évoquer aussi un autre monument effrité, une certaine Jessye Norman...). Un tel culte n'a plus rien à voir avec l'amour de la musique, beaucoup plus avec les phénomènes qui entourent des stars aussi profondes que Claude François ou Michael Jackson : l'important, ce n'est pas (plus) ce qu'on entend.
Rigoletto a Mantova
Avec la Rai, la vulgarité est toujours gagnante : un opéra très bête, des vieilles stars, des vieilles pierres, et on croit faire de l'art...

Certains lecteurs au cœur large se demanderont peut-être pourquoi je prends tant de peine à dire du mal de ces braves gens : en soi, c'est vrai, ils ne me gênent pas plus que je ne sais quelle starlette d'aujourd'hui, ou que l'élection à l'Académie Française de grands intellectuels comme Jean-Loup Dabadie ou Valéry Giscard d'Estaing. Ce qui me gêne en revanche beaucoup, c'est d'abord l'image lamentable et fausse que de tels spectacles, que la télévision française devrait mépriser, donnent de l'opéra, en reproduisant les clichés les plus datés. Qui n'aurait vu en matière d'opéra que la Mireille de Nicolas Joel, les retransmissions régulières du Festival d'Orange et ce Rigoletto aurait bien des raisons de penser que ce n'est qu'une histoire de vieilles barbes dans des décors et costumes poussiéreux, qu'à l'opéra les histoires sont de toute façon idiotes et que le chant lyrique a quelque chose du beuglement d'un quelconque bétail enroué.

Et puis, quelle tristesse de voir de tels monuments décatis cacher les cohortes innombrables d'interprètes ô combien plus passionnants qu'ils ne l'ont jamais été. Ce n'est pas du jeunisme : quand Franz Mazura, à 80 ans, chantait encore Schigolch (dans Lulu de Berg), c'était bouleversant, superbe, étincelant d'intelligence. La question n'est pas l'âge, mais l'intelligence, la musicalité, l'intelligibilité, et quand même un petit peu l'état de la voix. De tous ces points de vue, et pour qu'on ne m'accuse pas de ne rien aimer parce que je dis du mal de 4 (quatre !) chanteurs, voici quelques noms de chanteurs en activité très supérieurs à tous les Norman, Gruberova, Domingo ou Raimondi du monde :

Sandrine Piau, Juliane Banse, Ian Bostridge, Elina Garanca, Jonas Kaufmann, Waltraud Meier, Angela Denoke, Dorothea Röschmann, Christoph Prégardien, Magdalena Kozena, Anja Harteros, Lawrence Zazzo, Anne-Sofie von Otter, Stéphane Degout, Charlotte Hellekant, Luca Pisaroni, Christine Schäfer, Mireille Delunsch, John Tomlinson, Rosemary Joshua, Christian Gerhaher, Gérard Lesne, Silvia Tro Santafé, Toby Spence, Topy Lehtipuu, Nikolai Schukoff, Mariusz Kwiecien, Diana Damrau, Michael Volle, Evgeny Nikitin, Malena Ernman, René Pape, Anatoli Kotscherga, Genia Kühmeier, Nina Stemme, Piotr Beczala, et caetera, et caetera,et caetera,et caetera,et caetera...

J'espère que ça vous suffira...

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vendredi 3 septembre 2010

L'opéra est-il une république bananière ?

95 % ? 96 % 97, 98, 99, 100 %, bientôt 101, 102, 103 % : jusqu'où ira-t-on ?

Vous l'avez remarqué, j'imagine : chaque fois qu'une maison d'opéra ou un festival de premier plan font le bilan de leurs saisons, les taux de remplissage des salles qu'ils affichent fièrement ont toujours, ces dernières années, des allures de résultats électoraux façon bloc soviétique. On se bat aujourd'hui pour afficher un pour cent de plus que l'an passé, bientôt, à moins de franchir la barre des 100 %, on se battra pour des dixièmes.

Bien sûr, il y a un côté positif là-dedans : mieux vaut, c'est évident, que les salles soient pleines ; mieux vaut que les subventions publiques, là où elles existent, soient utilisées pour des spectateurs que pour des salles vides. Après tout, le temps où l'opéra était le comble du ringard, le divertissement des bourgeois les plus flétris, le refuge des bien-pensants n'est pas si loin, et il ne faut pas oublier que si l'Opéra de Paris, au début des années 70, ou le festival de Salzbourg vingt ans plus tard sont tombés dans les mains de ces dangereux révolutionnaires qu'étaient Rolf Liebermann et Gerard Mortier, c'est qu'ils étaient à l'article de la mort et que leurs tutelles ne savaient plus à quels saints se vouer : les crises du passé pourraient revenir. Que les salles d'opéra soient aujourd'hui pleines, c'est une bonne chose, bien sûr. Mais ce n'est pas qu'une bonne chose. Le patient a les joues bien pleines et bien roses, mais des examens complémentaires s'imposent.

lundi 30 août 2010

Salzbourg 2010, suite et fin

Avant de vous laisser tranquille avec Salzbourg, et en attendant la publication du programme complet en novembre, quelques petites remarques diverses pour finir.

I. Quand, même, un tout petit peu de théâtre
Je ne vais pas m'étendre sur Angst (La Peur) d'après Stefan Zweig, mis en scène par Jossi Wieler : très beau spectacle soutenu par des acteurs exceptionnels. J'aurais voulu vous montrer une image du magnifique décor d'Anja Rabes, qui entretenait des liens très subtils et très intéressants avec la pièce : hélas, le Festival ne nous fournit pas de photos permettant de voir l'ensemble du décor (c'est d'ailleurs souvent le cas, comme si seules les stars de la scène ou du chant méritaient d'être vues.  Vous n'aurez donc qu'une photo beaucoup plus neutre, avec la merveilleuse actrice hollandaise Elsie de Brauw ; ça aura au moins le mérite de rappeler que Salzbourg, c'est aussi du théâtre...


Il y a d'ailleurs un sous-festival de jeunes compagnies du monde entier, le Young Directors Project, qui a ceci d'intéressant pour les non-germanistes que les pièces sont données avec des sous-titres allemands et anglais. Je n'ai rien vu cette année, mais la pièce qui a gagné le concours afférent est française : il s'agit de Notre terreur par la compagnie D'Ores Et Déjà autour du metteur en scène Sylvain Creuzevault. La pièce sera reprise au Théâtre de la Colline à Paris en septembre : je rattraperai l'occasion manquée...

II. Vivre à Salzbourg : luxe, calme et chambres d'hôte

jeudi 26 août 2010

Salzbourg 2010 : les concerts (2)

III. Musique de chambre à tous les étages : Brahms et les autres

Markus Hinterhäuser est un malin : la musique de chambre, ça ne vend pas, c'est bien connu ; donc, pour en mettre quand même le plus possible dans son programme de concert, il a inventé la série Szenen, consacrée chaque année à un compositeur de l'époque romantique (Schumann-Szenen, Liszt-Szenen...), mais l'éclairant de tous les côtés, du baroque au contemporain. Cette année, c'est Brahms qui est à l'honneur : je ne vais détailler les nombreux concerts proposer, seulement signaler quelques coups de coeur :

mercredi 25 août 2010

Protestation

Actuellement, le président de la République française et son gouvernement mènent des opérations infâmes, contraires aux droits de l'homme et condamnés par des hommes et des femmes de tous les horizons sociaux, de toutes les sensibilités politiques et religieuses et de tous les pays du monde. Justifier les infractions aux droits de l'homme, dont le développement dans ce pays est discret mais constant depuis 2002, par un souci d'efficacité dans la lutte contre la criminalité, c'est la définition même de la barbarie. Quand en outre les victimes de ces exactions sont pour la très grande majorité innocents des actes dont on les accuse collectivement, et quand ceux qui les ordonnent connaissent cette innocence mais instrumentalisent les peurs animales de leurs concitoyens, ces exactions deviennent impardonnables.

La suite des critiques salzbourgeoises va venir très vite, mais je tenais à joindre ma protestation à celles déjà exprimées.

lundi 23 août 2010

Salzbourg 2010 : les concerts (1)

J'ai parlé dans le message précédent de Salzbourg côté opéra, en sachant bien que c'est en général tout ce qu'en retiennent les Français, en parfaite conformité d'ailleurs avec les mondains. Mais Salzbourg, ce n'est pas qu'un festival d'opéra, je dirais même que c'est en minorité un festival d'opéra : il y aussi du théâtre (je n'ai vu qu'une pièce, mais remarquable, j'en parlerai plus tard), et il y a surtout plus de cinquante programmes de concerts différents : ce n'est pas les Proms (qui durent plus longtemps, d'ailleurs), mais on n'en est pas si loin dans l'étendue de l'offre proposée. Orchestre, musique de chambre, récitals, tout y est, à l'exception regrettable du baroque. Suivez le guide...

vendredi 20 août 2010

Salzbourg 2010 : les opéras

Jürgen Flimm, au cours des quatre années peu enthousiasmantes de son mandat-éclair à la tête du plus grand festival du monde, n'a pas tout raté : en 2008, il avait présenté une magnifique Rusalka mise en scène par Jossi Wieler et tout aussi réussie musicalement que scéniquement, et l'Eugène Onéguine (Daniel Barenboim/Andrea Breth) qui avait ouvert son mandat en 2007 était paraît-il une belle réussite (mais je ne l'avais pas vue et n'ai pas non plus vu le DVD). En 2010, désolé : si je n'avais pas envie que vous continuiez à lire cet article, je dirais qu'il n'y a rien à voir.

D'ailleurs, c'est un peu injuste : d'abord parce que la création de Wolfgang Rihm Dionysos, handicapée par une mise en scène plate (eh oui, Pierre Audi...), valait vraiment qu'on y laisse traîner une oreille (j'en ai parlé longuement là). Ensuite parce que le spectacle le plus attendu des mélomanes peut difficilement être qualifié d'échec.

C'est de Lulu que je veux parler : sous la direction de Marc Albrecht, c'est Vera Nemirova qui mettait en scène avec des décors du peintre Daniel Richter. Le facteur glamour, indispensable à Salzbourg pour de l'opéra, était fourni par Patricia Petibon : disons-le franchement, je n'en attendais pas grand-chose, et ce que j'ai entendu ne m'a pas du tout convaincu. Bien sûr, à chaque fois qu'une chanteuse ose affronter Lulu, pour peu qu'en plus elle ait le jeu de jambes adéquat, on crie au miracle : ce qui fut fait pour Mademoiselle Petibon. Maintenant, si on a le malheur de s'intéresser un peu à la partition, les choses changent : ce qui frappe, c'est surtout qu'elle chante tout le spectacle ou presque dans un état de crispation qui montre avant tout que le rôle n'est pas du tout acquis. Les quelques pitreries qui sont sa marque de fabrique n'y changent rien, d'autant plus qu'elles la conduisent souvent à en oublier la partition - quant à l'accent français parfois très prononcé, il est peut-être charmant aux yeux des germanophones, mais il me gêne beaucoup.
Je vous épargne le reste : un fragment du seul décor correct. © Salzburger Festspiele / Monika Rittershaus


mardi 17 août 2010

Salzbourg 2011 : l'opéra

Oh certes, j'ai souvent dit que l'opéra, à Salzbourg, ce n'était pas l'essentiel, et croyez-moi, ce n'est pas l'édition 2010 qui m'aura fait changer d'avis (mais oui, j'en reparlerai !). Cela dit, comme un blog allemand bien informé a la bonne idée de donner des informations un peu plus détaillées que celles dont on disposait jusqu'alors pour l'édition 2011, je m'en vais un peu vous commenter lesdites informations...

Commençons, comme il se doit, par les informations sans intérêt :
-À Salzbourg, on ne joue pas les opéras de Mozart parce qu'on pense qu'ils sont intéressants, mais parce que c'est rentable : Claus Guth aura donc l'insigne honneur de reprendre son cycle Da Ponte - Les Noces de Figaro créées en 2006 et déjà reprises en 2007 et 2009 (!), très bon spectacle dans un genre "contemporain modéré" ; Don Giovanni, créé en 2008 et redonné cette année, médiocre et agité ; Così fan tutte, créé en 2009, dont Guth lui-même a reconnu l'échec, mais qu'il va essayer de sauver par une nouvelle mouture (tous sont disponibles en DVD, Les Noces depuis longtemps, les deux autres depuis cet été). L'élément le plus intéressant, ce sont les chefs : je parlerai plus tard de Yannick Nézet-Séguin, jeune chef canadien qui a dirigé cette année Don Giovanni ; les deux autres noms sont plus intéressants : Robin Ticciati, jeune chef prometteur qu'on avait pu entendre en Mozart-Matinee en 2009 ; et surtout une vieille connaissance, Marc Minkowski. En soi, ce dernier nom n'a rien de surprenant : depuis Mortier, c'est un habitué du festival, un des rares Français à y faire carrière, et ce avec pas mal de succès à son actif. MAIS... jusqu'à présent, le Philharmonique de Vienne avait gardé le monopole de ces opéras à Salzbourg, or une confrontation Minkowski/Vienne semble totalement irréaliste (à cause de la fermeture d'esprit des Viennois, je tiens à le dire tout de suite). DONC : bonne surprise, un Mozart débarrassé de la pesanteur de cet orchestre (cf. critique de Don Giovanni à suivre...).

-On le savait depuis longtemps : le pudding indigeste de Hofmannsthal et Strauss intitulé La femme sans ombre fait son retour au festival. On peut garantir que la recette originale n'y sera pas allégée : c'est Christian Thielemann qui dirigera, et le très chic et très vide Christof Loy mettra en scène.

-Mais le sommet du conservatisme est évidemment atteint par le Muti annuel. Au moins, Riccardo Muti ne massacrera pas comme il a l'habitude des œuvres qu'il ne comprend pas, comme Orphée et Eurydice de Gluck cette année. Ce sera Macbeth de Verdi, une oeuvre pas spécialement salzbourgeoise mais qui est au coeur du répertoire de Muti. Mise en scène du chef de fil des réactionnaires du théâtre allemand, Peter Stein.

Venons-en maintenant à LA production intéressante, mais alors, pour le coup, vraiment intéressante, tellement que j'éprouve le besoin d'entretenir le suspense le temps que vous cliquiez :

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