Autre concert-disque, celui donné ce samedi par Sandrine
Piau à Versailles – pas au château, mais au Théâtre Montansier. Il y avait une
bonne raison de râler, c’est que la salle était plus qu’à moitié vide, entre
autres parce qu’un autre concert ramiste avait lieu en même temps à 300 m de là
dans la chapelle royale (le requiem bricolé à partir de la musique de Castor). Et puis le concert était un peu
court, tout de même. Mais voilà : il faut le redire, Sandrine Piau est un
miracle. Intelligence, musicalité, virtuosité, sens du style, diction, avec une
voix désormais plus corsée mais pas alourdie : voilà une grande artiste au
sommet de ses moyens, dans un répertoire qui lui va comme un gant, dommage que
tout le monde n’y coure pas (ça vaut cent fois mieux que toutes vos Bartoli ou
Netrebko, ces froids produits du marketing). J’espère au moins que son prochain
récital parisien (Haendel et al. au TCE, le 13 avril) trouvera un public plus conforme
à son talent.
Je ne sais pas si un disque sortira des Boréades données en tournée par les Musiciens du Louvre, que j’ai
vues à Versailles quelques jours plus tôt, mais ce serait souhaitable, tant le
seul enregistrement CD a vieilli (surtout la direction de Gardiner, moins les
interprétations visionnaires de Jennifer Smith et Philip Langridge). Les
chanteurs n’ont pas démérité (j’aime bien le timbre de Julie Fuchs, moins ses
vocalises pas très précises), mais c’est vraiment Marc Minkowski et son
orchestre qui font l’événement : Les
Boréades, évidemment, c’est une musique incroyable qui exige la perfection,
mais on ne devait vraiment pas en être loin ce jour-là. Cette fusion
extraordinaire des vents dans l’orchestre, cette capacité à varier de danse en
danse et de reprise en reprise l’atmosphère et les couleurs… Dommage que
Minkowski perde trop de temps dans le répertoire du xixe, pour des œuvres souvent de peu d’importance :
il est tellement fait pour ce répertoire-là. Oui, vraiment, espérons un disque.
Castor,
évidemment, c’est autre chose, parce que c’est enfin une production scénique et
que la première n’a lieu que ce soir (au Théâtre des Champs-Élysées, donc,
jusqu’au 21 – coproduction avec Saint-Étienne). Devant une fois de temps en
temps rentrer chez moi, je n’ai pu assister qu’à la répétition générale, ce qui
veut dire que je ne commenterai pas les prestations des chanteurs (je peux au
moins vous assurer que vous auriez bien tort de vous attendre au pire !).
Pour l’orchestre, par contre, aucune précaution oratoire : la notoriété d’Hervé
Niquet n’a pas bénéficié de l’aide considérable que leurs carrières
discographiques chez de grands éditeurs ont assuré à Rousset, Christie ou
Minkowski, mais il ne leur est en rien inférieur – et vraiment, voilà une bonne
raison d’aimer la musique : il serait bien idiot de tenter de donner la
médaille d’or du meilleur ramiste à l’un ou à l’autre, nous n’avons qu’à nous
réjouir d’entendre tous ces merveilleux orchestres qui se complètent à
merveille. Je n’avais jamais vu Niquet diriger une production scénique, je
crois, et j’en déduis que nous avons là un vrai, beau chef de théâtre, dont les
options sont peut-être moins souvent extrêmes que celles de Minkowski, mais qui
soutient tout aussi admirablement le chant et l’élan dramatique de la musique.
On n’aurait qu’à lui reprocher les coupures qu’a subi la partition, pour un
spectacle qui dure moins de 2 h 30 (je sais bien que la version de 1754 est
nettement plus courte que celle de 1737, mais je ne crois vraiment pas qu’il y
ait moins de 2 h de musique !).
Production scénique, donc : c’est Christian Schiaretti qui s’en charge, et il choisit de faire de la tragédie de Rameau comme un pastiche de ce qu’aurait pu faire un metteur en scène (ou du moins un décorateur et son costumier) qui aurait mis en scène cette œuvre à l’époque de la construction du TCE : des tuniques à la grecque, une Grèce idéalisée, aux formes pures qui reproduisent en partie l’architecture du théâtre. Ce n’est pas forcément la perspective qui me parle le plus (comme j’aimerais qu’un Warlikowski s’y mette ! Les Boréades, tiens !), et il y avait un manque de précision dans les gestes et les regards dont j’espère qu’il sera résolu pour ce soir. Mais tout de même, quand tant de mises en scène de ces dernières années se contentent de vaguement disposer les chanteurs au milieu d’un « beau » décor, on ne peut quand même pas nier qu’il y a un travail et une cohérence qui sont au service de l’œuvre, quitte à jouer par moments de l’étrangeté de cette musique et de cette dramaturgie (il va de soi que certains costumes militaires ont une dimension parodique, qui introduit une distance sans pour autant détruire : voyez comme cela est étranger, mais voyez comme cela nous touche). Schiaretti semble vouloir opposer au collectif la douleur et les angoisses des individus – voyez Télaïre après la mort de Castor, le passage de la lumière aux ténèbres (« Pâles flambeaux ») est je trouve vraiment poignant. Cette gestuelle stylisée - très loin du hiératisme conceptuel de Wilson, que j'estime de moins en moins ! - met à distance, sans doute, mais elle est en cela le miroir de l’œuvre de Rameau, cette sophistication, cette artificialité de la tragédie lyrique qui s'oppose aux moments d'humanité et aux joyaux musicaux qu'elle abrite.
Vraiment, chers mélomanes parisiens, ne manquez pas cette
musique sublime, dans une production qui ne heurtera pas les traditionnalistes
sans qu’on puisse pourtant dire qu’elle manque de théâtre : il reste des
places, ne vous en privez pas. Pour les autres, je ne sais plus où ce sera retransmis,
mais une captation diffusée sur Internet est prévue…