mercredi 20 août 2014

Salzbourg 2014 (1) - Généralités sur le programme lyrique


Ça y est, ou presque : la malheureuse « Ère Pereira » touche à son terme à Salzbourg, et même si rien n’indique que les deux prochaines années d’intérim seront beaucoup plus heureuses que les trois étés qu’il aura dirigés, cette fin précipitée est la moins mauvaise des solutions, et il n’est plus très utile de souligner à quel point sa nomination était une idée vouée à mal tourner dès son origine.
Ceci étant, cet été salzbourgeois aura été pour moi de très loin le meilleur de ce court règne, non pas tant grâce à une programmation sensiblement plus intelligente qu’en 2012 et 2013 que grâce à mes choix dans ce programme, et souvent plutôt dans les marges du programme que dans ce qui devait être les axes fondateurs du programme de Pereira. De manière caractéristique mais non surprenante, aucun des plus grands moments du festival n’est à mettre au compte de ce qui est pourtant censé être le joyau du festival, c’est-à-dire la programmation lyrique. Tout ce qui concerne l'opéra à Salzbourg n’est donc pas très positif, mais attendez la suite, c’est-à-dire les concerts.

Dalbavie, Charlotte Salomon, avec Marianne Crebassa (de face). Photo Salzburger Festspiele/Ruth Waltz


Entre Munich, Salzbourg et Bayreuth, j’ai pu voir cet été des opéras créés entre 1608 et 2014, ce qui représente une belle diversité qui mérite d’être souligné. Le hasard veut que les spectacles qui m’ont le plus enthousiasmé sont justement le plus ancien et le plus récent de ces opéras : comme pour beaucoup des spectacles de ma rétrospective estivale, je vous renverrai à ma critique Resmusica pour L’Orfeo de Monteverdi à l’Opéra de Munich, triple triomphe pour le metteur en scène David Bösch, le chef Ivor Bolton et le baryton Christian Gerhaher, et un spectacle sans aucune faiblesse qui me remplit d’aise rien qu’à y repenser ; et de même pour CharlotteSalomon de Marc-André Dalbavie, vu pour Resmusica le jour de sa première le 28 juillet : le bonheur est beaucoup moins complet cette fois, parce que l’œuvre est très imparfaite et la mise en scène de Luc Bondy encore plus. Pourtant, il y a quelque chose de très fort dans la rencontre entre Dalbavie et son sujet, cette jeune fille (réelle) morte à Auschwitz en 1943 après avoir produit quelques centaines de gouaches largement autobiographiques d’une force extraordinaire. Ce qui est beau dans l’opéra de Dalbavie, c’est qu’il lui rend le plus bel hommage possible en en faisant à nos yeux un être de chair et de sang, palpitant de vie, sans tomber dans le pathos de la victimisation. Une œuvre très imparfaite, née trop vite, mais qu’une révision radicale doit et peut sauver. Et j’avoue avoir par la même occasion découvert l’œuvre de Charlotte Salomon (dont vous pouvez découvrir ici toute l’œuvre, conservée au Musée historique juif d'Amsterdam), ce qui est un grand bonheur.
Le hasard a voulu que je voie en tout quatre des six opéras au programme de cette édition 2014 du Festival de Salzbourg : je voulais naturellement voir la création, mais le reste m’était assez indifférent ; le hasard du tirage au sort des demandes a fait qu’une place pour la première de Don Giovanni et pour Le Trouvère m’ont été attribuées, toujours dans la catégorie la plus basse (respectivement 16 et 26 €), et une place pour la générale de Fierrabras m’est tombée toute cuite dans les mains.
Mais avant de vous parler de ces spectacles (dans le message suivant), il faut que je vous parle des Derniers jours de l'humanité de Karl Kraus. Pas tant le spectacle (de théâtre, pas d'opéra) qu'a monté le festival cette année que quelques réflexions que suscite la lecture de la pièce, et qui peuvent s'appliquer à bien des égards au Festival de Salzbourg, à son public, à l'ère Pereira et notamment aux opéras de 2014 : suite à une belle crise à l'autrichienne*, on a eu recours à un metteur en scène de secours, qui a totalement raté son coup. La pièce de Kraus est une sorte de réquisitoire contre l'empire d'Autriche-Hongrie dans le cadre de la Première guerre mondiale, et plus précisément contre le règne de la bêtise qu'il voit à l’œuvre à tous les étages de la (bonne) société de son temps, bêtise dont la première caractéristique est l'admirable capacité à faire entrer toute réalité bien ou mal venue dans le carcan rassurant de la phrase toute faite, du bon sens convenu, de la maxime irréfutable qui assèche radicalement toute réflexion. Première guerre mondiale, donc en pleines commémorations : l'erreur fatale du spectacle aura été d'ancrer lourdement le spectacle dans un passé lointain, quand chaque scène ou presque de l'énorme texte de Kraus nous crie au visage son actualité. Kraus, c'est comme cet autre immense écrivain autrichien qu'est Thomas Bernhard : c'est l'art de critiquer non pas l'autre, l'ennemi, mais le proche, le voisin, l'immédiat. Inutile de dire que, dans la France d'aujourd'hui, un Kraus à la française nous fait cruellement défaut ; mais pour ce qui nous concerne, je n'ai cessé de lire avec les yeux de Kraus, cet été, toute la littérature officielle du festival, les critiques obligées du Trouvère (avec l'impression que certains achetaient par là leur liberté pour tout le reste du Festival), les comptes-rendus mondains des journaux, les discussions entre spectateurs, les élégances pas toujours réussies des grands de ce monde... Dangereux pour la paix du monde, ce Kraus, il vous fait venir de ces idées...

*Le metteur en scène Matthias Hartmann (qui avait monté Elektra à Bastille sous Mortier, par ailleurs) a été violemment débarqué du Burgtheater de Vienne, qui coproduisant le spectacle. Son départ fait suite à un scandale sur les finances de cette grosse institution publique ; chacun, naturellement, a accusé l'autre ; mon interprétation (et c'est en ça que c'est très autrichien), c'est qu'il y avait un cadavre dans le placard depuis longtemps, que tout le monde le savait, mais qu'un hasard malencontreux a fait qu'il n'a plus été possible de ne pas le voir (ou le sentir, si vous voulez).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Une petite râlerie ? Une pensée en l'air ? Une déclaration solennelle à faire ? C'est ici !

NB : Les commentaires sont désormais modérés en raison de problèmes de spam. Je m'engage à publier tous les messages qui ne relèvent pas du spam, même à contenu désagréable

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...