mercredi 12 janvier 2011

Les chemins de la modernité (1) - La Russie au bord du chemin

La Cité de la Musique a consacré le week-end dernier une série de concerts à la musique russe du XXe siècle, en relation avec l'exposition Lénine, Staline et la musique (que je n'ai malheureusement pas pu voir), et j'en profite pour entamer une nouvelle série consacrée à ce tournant du XXe siècle qui continue à nous marquer profondément : ce sentiment que quelque chose a changé à partir de Mahler, de Schoenberg, de Stravinsky, et qui est la naissance de quelque chose de nouveau que nous appelons encore un siècle après la modernité - à chacun de se battre avec ce concept tentaculaire et quelque peu filandreux.


Commencer cette série par la Russie ne peut guère se justifier autrement que par cette actualité immédiate. La contribution de la Russie à cette naissance de la modernité, on a pu le constater récemment, est avant tout celle de Russes installés à l'étranger, autour des Ballets russes dont nous avons récemment fêté le centenaire - ou comment une entreprise mondaine à but tout à fait lucratif a bouleversé le monde des arts... avant de retomber, dès les années 1920, dans le conformisme mondain.
Et en Russie même ? C'est un peu terrible, mais la conclusion que j'ai retirée de ce week-end est encore plus tranchée que les préjugés que je pouvais avoir avant d'y aller : Chostakovitch vivat, regnat, imperat. On connaît l'explosion moderniste des arts en Russie immédiatement après la Révolution, et avant le tour de vis stalinien. On cite souvent en exemple Alexander Mossolov comme représentant de cette brève éclaircie artistique : sans doute son premier quatuor, par comparaison avec ce qui va suivre, se permet-il des couleurs qui seront bien vite interdites, mais ses audaces (son talent ?) sont toutes relatives par comparaison avec l'Europe occidentale, et le mouvement de son deuxième quatuor donné comme exemple par le quatuor Danel de cette musique mise au pas montre bien la brutalité du tournant réactionnaire qui succède à cette timide modernité.
D'où le caractère incontournable de la figure de Chostakovitch, maître isolé que les œuvres sans relief de ses élèves jouées au cours du week-end ne fait que grandir encore. Chostakovitch, pourtant, même dans ses œuvres les plus personnelles, est bien loin des innovations de la musique occidentale, en partie faute de les connaître peut-être, mais aussi par goût, un peu à la manière de Britten en Occident - c'est le talent qui fait tout, le contenu du discours plutôt que sa forme. Pour Chostakovitch, la Cité de la Musique avait bien fait les choses : deux concerts du Quatuor Borodine, qui reste magnifique dans ce répertoire qui est sa tradition, et un concert d'oeuvres pour voix et piano qui permettaient de retrouver les interprètes d'un remarquable disque dont voici la pochette :
Face à Chostakovitch, que dire ? Weinberg, Tishchenko, Silvestrov : quand bien même certains d'entre eux ont eu maille à partir avec le régime, on ne peut que constater à quel point la chape de plomb de la dictature a eu pour effet de tuer durablement toute invention, toute vie de la vie musicale. Seul l'amusant Concerto grosso n° 1 d'Alfred Schnittke pouvait faire lever l'oreille - mais on peine à croire qu'il ait été composé à la fin des années 70 et non dans les années 30. Après tout, c'est toujours mieux que ce qu'offre la Russie actuelle, qui se met en tête de nous vendre le bon vieux Rodion Chedrine (Chtchedrine), époux de l'étoile Maia Plissetskaia, compositeur pour elle d'une très pénible Carmen Suite, ancien Président de l'Union des Compositeurs d'Union Soviétique : on aimerait savoir qui finance la vaste tournée entreprise par Martha Argerich et Micha Maisky pour créer partout en Europe (y compris à Paris) sa dernière œuvre...

1 commentaire:

  1. c'est très intéressant ! Je passe bientôt le brevet d'histoire des arts avec comme sujet arts et totalirisme et je parle du lien entre art et histoire !!!!!! je risque de revenir sur ce site !!!

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