jeudi 1 septembre 2011

Salzbourg 2011 - Les concerts (fin)

Eh non, je n’en ai pas fini avec Salzbourg : outre les deux grandes séries programmées par Markus Hinterhäuser évoquées dans le message précédent, il me reste à évoquer les séries traditionnelles, qui ne dépendent qu’à peine du programmateur en place, remplissent pour certaines les caisses du Festival et lui assurent sa résonnance médiatique. Ce sont d’abord les 5 concerts (doublés) du Philharmonique de Vienne : j’ai déjà évoqué le premier concert de cette année, celui de Pierre Boulez ; l’estime que j’ai pour cet orchestre m’a conduit à éviter ses autres concerts, mais je voudrais quand même mentionner un concert que je n’ai pas vu (mais que j’aurais pu voir si je l’avais souhaité) : voilà ce qui fut joué les 7 et 8 août dernier :
En Autriche aussi, le 1 % culturel a aussi frappé. Sculptures des escaliers du Grosses Festspielhaus



Richard Strauss : Lieder ; Scène finale d’Arabella ; Une Symphonie alpestre

Renée Fleming, soprano
Orchestre Philharmonique de Vienne
Christian Thielemann

Ça, c’est vraiment fabuleux : un orchestre que je n’aime pas joue sous la direction d’un chef que je déteste des œuvres que je trouve épouvantables, avec en soliste une chanteuse que je déteste. Tant de perfection dans l’art de prendre mes goûts à rebrousse-poil, il faut bien dire qu’on ne voit pas ça tous les jours : ça semble tellement fait sur mesure que j’aurais peut-être dû y aller, pour voir ce concert au second degré…
Plus sérieusement, je n’ai pas manqué les inévitables Mozart-Matinées du week-end, qui sont des points obligés de mon programme salzbourgeois et me permettent de faire provision de Mozart orchestral pour toute l’année qui suit. J’aime à la folie ce Mozart naturel, simple, sans la profondeur métaphysique que se croient obligés d’y mettre les « grands chefs » et les « grands orchestres » ; le niveau de ces concerts est variable, mais l’expérience montre qu’on en trouve toujours un enthousiasmant par été. Cet été, ce sera sans aucun doute celui dirigé par le violoniste Thomas Zehetmair, malgré l’idée saugrenue de jouer un bizarre concerto transcrit pour hautbois et fort peu intéressant musicalement (même Albrecht Mayer, la seule star du hautbois, n’y peut rien) : Zehetmair a les coudées franches, son Mozart est allant, ne pèse jamais, mais nous livre des trésors de sonorités mozartiennes où chaque pupitre sait enivrer (l’Orchestre du Mozarteum, il faut dire, est un délice).
Les deux autres matinées que j’ai vues étaient donc moins réussies (je les ai néanmoins chroniquées pour Resmusica), mais du moins elles ne déparaient pas : celle d’Ivor Bolton, malgré le violon parfaitement incolore de Julia Fischer, souffre un peu de la monotonie sonore qui est souvent le défaut de Bolton, mais sans que le discours ne se noie dans la confusion comme c’est parfois le cas ; celle de Trevor Pinnock souffre presque du défaut inverse, un discours extrêmement clair mais du coup dépourvu de la nécessaire souplesse. Et on finit sérieusement par se demander pourquoi cette surexposition aux concertos mineurs de Mozart, au détriment des concertos pour piano tellement plus passionnants et finalement pas tous si connus que cela : doit-on vraiment faire le tour de TOUTES les violonistes jeunes et jolies ?
Pour le reste, comme si la programmation Mahler ne suffisait pas, je me suis consacré surtout au magnifique programme de musique de chambre : tant pis pour les récitals de piano, les concerts d’orchestres invités, tant pis même pour le lauréat du Prix annuel des jeunes chefs (après l’excellent David Afkham, c’est le letton Ainārs Rubiķis qui l’a emporté, et j’espère bien réussir à l’attraper au vol un de ces jours) ; non, c’est Viktoria Mullova, le Quatuor Zehetmair (oui, encore Zehetmair), Pierre-Laurent Aimard, Ian Bostridge et quelques autres qui ont attiré mon attention. Mullova, qui jouait plusieurs sonates de Beethoven, ne m’a à vrai dire convaincue qu’après l’entracte, dans la Sonate à Kreutzer, mais son accompagnateur Kristian Bezuidenhout, en toute discrétion, lui a en quelque sorte volé la vedette depuis son pianoforte.
Marina Piccinini, Mark Steinberg, Mitsuko Uchida, Barbara Sukowa, Clemens Hagen, Anthony McGill (photo Silvia Lelli)

Ian Bostridge, lui, était invité pour un Dichterliebe de Schumann, couplé (pourquoi pas) avec le sublime Pierrot Lunaire de Schoenberg : son accompagnatrice était Mitsuko Uchida, et même si on ne peut dispenser Bostridge de ses choix artistiques douteux (des tempos trop souvent pressés, une diction trop agressive), il est tout de même urgent de lui conseiller de ne plus tenter d’accompagner du Lied – elle m’avait déjà gâché un récital de Magdalena Kožena dans les mêmes lieux. Dans Pierrot, retour de Barbara Sukowa après les Gurre-Lieder pariso-strasbourgeois : cette fois, pas de problème de sonorisation, et un investissement halluciné qui m’a assez convaincu – mais moins que la très belle flûtiste (je parle de son jeu !) Marina Piccinini, qui sait tirer tous les bénéfices de l’instrumentation diabolique et géniale de Schoenberg (sa biographie trouvée sur Internet indique qu’elle est aussi « a 36th generation Shaolin Fighting Monk », mais je ne sais pas si ça a une influence sur son jeu).
Mais le concert que je retiendrai pour finir, c’est celui donné conjointement par le quatuor Zehetmair (op. 131 et 135 de Beethoven) et Pierre-Laurent Aimard (Sonate Concord, Mass. de Charles Ives), réunis à la fin de ce déjà plantureux concert pour le mouvement lent du quintette de Schumann. Pourquoi diable unir ainsi le piano d’Ives et les cordes de Beethoven, se sera sans doute demandé maint visiteur : la réponse, et c’est là ce qui fait le génie de programmateur de Markus Hinterhäuser, est à chercher dans la musique, la logique hautement personnelle et anticonformiste d’Ives formant un écho très riche à la construction rhapsodique, hors de toute convention, de l’opus 131, tandis que le quatuor op. 135, qui reprend de manière ambiguë et humoristique la thématique du Destin capitale chez Beethoven, entre en harmonie parlante avec les citations beethoveniennes de la sonate. Voilà, je crois, ce qu’on attend d’un concert : qu’il vous fasse progresser, qu’il vous apprenne quelque chose sur la musique par le seul biais de la musique elle-même (et non par le genre de pédagogie à grand spectacle façon Jean-François Zygel, qui n’impressionne que ceux qui ont renoncé à penser par eux-mêmes). Pour cela aussi, merci, M. Hinterhäuser.

Et voilà, j’en ai fini avec Salzbourg 2011 ! Bientôt un bilan complet de la saison écoulée, la plus intense de ma vie de mélomane...

1 commentaire:

  1. Hébé !

    a) "seule star du hautbois" : tu n'aimes pas François Leleux ? Sacrilège ! Blasphème !

    b) "elle est aussi « a 36th generation Shaolin Fighting Monk », mais je ne sais pas si ça a une influence sur son jeu" : bah, ça a sûrement une influence sur la dynamique de l'ensemble, j'imagine que ses confrères évitent de la contrarier..

    c) euh,moi j'aime bien Zygel :-)

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