lundi 24 octobre 2011

La Source : un triomphe que l'Opéra ne méritait pas

Brigitte Lefèvre se vante, paraît-il, d'être une rassembleuse de talents qui viennent assister les chorégraphes et l'aider à donner le meilleur d'eux-mêmes : son efficacité est redoutable ici, et d'autant plus grand le mérite du chorégraphe Jean-Guillaume Bart d'avoir su résister à une si redoutable conjoncture. Et d'avoir ainsi livré le nouveau grand ballet classique dont la troupe avait si furieusement besoin.


Non seulement Brigitte Lefèvre a su fournir à l'ancienne étoile de l'Opéra des comparses parfaitement incapables d'assurer les fonctions assez modestes qui leur étaient attribuées, mais en plus il a fallu qu'elle s'immisce elle-même dans le jeu, en particulier pour raccourcir autant que possible ce ballet (comme si le public ne pouvait supporter plus de deux heures de danse...) : Clément Hervieu-Léger, (très mauvais) acteur de la Comédie-Française, a hérité du titre de dramaturge ; il n'avait peut-être pas besoin de Mme Lefèvre pour échouer à ce point à raconter une histoire cohérente et efficace, mais elle n'a pu que l'encourager dans cette mauvaise voie.
Quant à son collègue Eric Ruf (bien meilleur acteur que lui, cela dit), il n'avait pas laissé de mauvais souvenirs comme décorateur dans sa maison d'origine, avec par exemple un Cyrano de Bergerac plein d'invention et de rythme. Son ignorance totale de la danse l'a malheureusement placé devant des exigences auxquelles il ne s'attendait pas (il paraît que la compétence, dans ce bas monde, peut parfois être quelque chose d'utile), si bien qu'il s'est réfugié dans un concept d'une biblique simplicité : des cordages et des toiles en lambeaux viennent rappeler les combles de l'histoire du théâtre dont La Source a dû être exhumée, et ces cordages suffisent apparemment à ses yeux à évoquer par surcroît le milieu aquatique et la forêt qui sont les éléments naturels de l'histoire. Comme beaucoup d'idées de ce genre, celle-ci n'est pas mauvaise, mais elle n'est pas bonne non plus, et elle échoue à accompagner l'action : le premier acte, où en dehors d'un lever de tulle bien inutile il ne se passe rien, en souffre particulièrement.

Mais ce qui est étrange, c'est que ces deux défauts qui pourraient emporter le spectacle sur leur passage ne sont finalement pas si gênants, en tout cas pour la vision relativement superficielle qu'on a forcément du spectacle au cours de cette première et pour l'instant unique représentation. Si la chorégraphie de Jean-Guillaume Bart m'enthousiasme autant, c'est sans doute d'abord parce qu'elle tranche radicalement avec les sottises athlétiques à la mode, à la façon de ce dont nous abreuvent sans discontinuer le Mariinsky et le Bolchoi. La Source, c'est l'anti-Flammes de Paris, et ce n'est pas son moindre mérite. La sobriété de la chorégraphie, la modestie d'un chorégraphe qui renonce à la tyrannie de l'inédit, ont de quoi en rebuter plus d'un ; mais le résultat est ce qu'on attend d'un tel ballet classique nourri du goût du XIXe siècle pour un Orient fantasmé : une féérie qui enchante sans éclat, sans même tant de kitsch (les costumes de Christian Lacroix, un peu encombrants sans doute, se laissent oublier, contrairement à l'atroce aménagement intérieur qu'il a conçu pour torturer les voyageurs du TGV Est), mais avec une fluidité de mouvement qui laisse pantois. Jean-Guillaume Bart danseur était une merveille de style et d'intelligence du mouvement dont on parle encore avec émotion ; ceux qui n'ont pas eu la chance de le voir danser peuvent désormais se rattraper en allant prendre des leçons d'élégance dans son travail chorégraphique.

Sans doute commenterai-je un peu plus en détail cette chorégraphie à l'avenir, quand ma mémoire visuelle limitée aura réussi à l'appréhender un peu plus solidement ; mais ce n'est pas entièrement par ma faute que je ne puis en dire plus : car en plus d'Eric Ruf et de Clément Hervieu-Léger, Brigitte Lefèvre a tenu à mettre des bâtons dans les roues du chorégraphe en lui imposant une distribution en dépit du bon sens, qui perturbe sérieusement la vision du spectateur tant elle est incapable de tirer profit du talent du chorégraphe qu'elle a la chance de côtoyer.
Mme Lefèvre, figurez-vous que vous avez de bonnes danseuses, malgré tout. Elle, par exemple. Vous ne la connaissez pas, elle s'appelle Myriam Ould-Braham.
Ludmila Pagliero n'est certes pas techniquement à la peine dans la partition efficace mais pas si virtuose ; pourtant, son manque de charisme, son incapacité à construire un personnage, sa nullité d'actrice laissent pantois. Le seul mérite qu'on puisse lui reconnaître est qu'elle ne fait même pas semblant de comprendre ce qu'elle danse. Le problème est encore compliqué par le fait qu'Isabelle Ciaravola, contrairement à elle danseuse fort estimable, est cette fois entièrement aux abonnés absents : la fin de carrière qui approche, mais il n'y a certainement pas que cela. Il en découle que les deux personnages, la fée et la sultane, deviennent un peu interchangeable et qu'on n'est pas toujours sûr de savoir qui danse à l'instant présent (ce qui ne facilite pas la compréhension de l'histoire...).
Karl Paquette, étoile à tout faire d'une compagnie où les hommes sont immatures, blessés ou les deux à la fois, ne fait lui aussi pas beaucoup mieux qu'assurer, avec même d'étonnantes difficultés dans le partenariat ; même lui parvient à nuire aux plus beaux morceaux chorégraphiques de la pièce, comme ce beau manège lent à la fin du premier acte où il ne parvient pas à créer une continuité entre les pas prévus.
Quant au corps de ballet, c'est la débandade :  à l'exception des elfes et en partie des nymphes solistes, il n'y a ni discipline, ni esprit de corps, ni souci de style. Mme Lefèvre semble très heureuse d'être le capitaine d'un vaisseau qui coule...
La seule exception de la soirée est Matthias Heymann, qui fait l'unanimité dans un rôle conçu il est vrai sur mesure : sans doute n'est-il pas capable de faire autre chose que ce rôle solitaire d'elfe bondissant (ce qui est un peu gênant pour une étoile), mais il le fait divinement.

Le public semble faire le même constat que celui qui se dégage de l'ensemble de la sphère internet : extrêmement froid pour les solistes à l'exception de qui vous savez, il ne fait sa première ovation que devant le rideau baissé, après que chaque soliste est venu saluer, et la renouvelle pour le chorégraphe, qu'on espère revoir souvent - comme ce ballet - sur la scène de l'Opéra. Dans ces conditions, il eût été parfaitement incongru que, comme le voulait la rumeur, Ludmila Pagliero soit nommée étoile à la fin du spectacle : cette médiocre danseuse de corps de ballet ne nous aura pas été épargnée, certes, mais du moins l'honneur de la maison est un peu protégé.
La fin des applaudissements donne donc lieu à un double soulagement : ouf, Ludmila Pagliero n'est pas nommée ; mais surtout ouf, enfin une création du Ballet de l'Opéra qui ne soit pas un four inexcusable ! Nul doute que, d'ici à la prochaine reprise, Jean-Guillaume Bart aura à cœur de remettre l'ouvrage sur le métier et d'effacer les maladresses que les circonstances lui ont imposées, et on tiendra alors un vrai chef-d’œuvre.

2 commentaires:

  1. tu n'etait pas au th de la ville ? c'est proprement halucinant ce que s'y passe !  terrifiant aussi...
    tous ceux qui gueulent n'ont evidemment pas vu la piece, mais il ne savent meme pas de quoi ca parle.
    je veux ne pas croire que tout soit orchestre, mais ce que l'on voit sur place -- surtout en sortant du theatre --  c'est assez clair.
    quel cirque terrifiant ( au 21e siecle et a paris !)

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  2. Je vois le spectacle au 104 le week-end prochain. Peut-être dans des conditions plus calmes, j'espère... C'est sûr, l'improbable agressivité de ces gens, si minoritaires soient-ils, est effrayante, mais le plus effrayant, ce sont les réactions des lecteurs sur le site du Monde ou d'autres similaires, qui d'un côté condamnent ces idiots (facile), mais de l'autre soulignent bien lourdement qu'au fond c'est bien fait pour ces "pseudo-artistes"...

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