lundi 11 février 2013

Urgent - Reigen de Boesmans, enfin de l'opéra de qualité à Paris


Donc, l'opéra contemporain, c'est ennuyeux, abscons, pas écrit pour les voix, et en général l'orchestre casse les oreilles. Et les oeuvres, une fois qu'elles sont créées, on n'en entend plus parler, alors à quoi bon ?

Si c'est ce que vous pensez, mais aussi si vous savez bien que tout ceci est faux, allez donc au conservatoire ce soir ou mercredi à 19 h. Comme chaque année, les étudiants du conservatoire de Paris montent une production d'opéra dans la très agréable Salle d'art lyrique, construite comme le reste du Conservatoire et de la Cité de la Musique par Christian de Portzamparc - j'en avais déjà parlé sur ce blog, avant que les mises en scène d'Emmanuelle Cordoliani m'en dégoûtent provisoirement. Cette fois, plutôt qu'un grand classique, le CNSM a choisi un opéra contemporain, Reigen de Boesmans, sur un livret de Luc Bondy adaptant de très près la pièce d'Arthur Schnitzler ; créée en 1993, adaptée en version de chambre par Fabrizio Cassol en 2000, récemment donnée à l'Amphithéâtre Bastille dans cette même version que donne aussi le CNSM, l'opéra n'est certes pas un nouveau Wozzeck, un nouveau Moïse et Aron, mais figurez-vous que c'est un chef-d’œuvre quand même, et un chef-d’œuvre qu'on parvient parfaitement à goûter dès la première écoute (c'était mon cas).
Mon bonheur lors de la première samedi soir vient largement de l'écriture subtile et lyrique de Boesmans, jusque dans cette version réduite qui me rappelle souvent l'orchestration scintillante de son autre chef-d’œuvre Julie (disponible en DVD !) que j'aime depuis sa création. La pièce de Schnitzler elle-même, d'ailleurs, n'est pas sans points communs avec Mademoiselle Julie de Strindberg, et cela réussit bien mieux à Boesmans que Gombrowicz - par comparaison, la perversité d'Yvonne princesse de Bourgogne (créé à Paris en 2009) est tellement présente à la surface des choses qu'il n'y plus grand-chose à trouver pour un compositeur.

Mais passons aux interprètes : Marguerite Borie, qui met en scène, a été notamment assistante de Nicolas Joel pour Akhmatova de Mantovani, c'est vous dire que j'avais des doutes ; sans doute, elle n'a pas totalement réussi à gommer la maladresse de certains jeunes chanteurs, et sans doute la représentation de la sensualité n'est pas ce qu'elle sait faire de mieux, ce qui est bien dommage dans ce contexte, mais l'ensemble est suffisamment varié, suffisamment pensé, suffisamment vivant (avec l'aide décisive du chorégraphe, me dit-on) pour remporter l'adhésion : ce n'est pas Marthaler, Warlikowski ou Bieito, mais ce n'est pas, et de très loin, Nicolas Joel.

Reste les musiciens : l'orchestre est placée sous la direction experte de Tito Ceccherini, et s'il me manque la possibilité de la comparaison, je peux du moins dire que l'ensemble m'a séduit et convaincu. Quant aux chanteurs, il y a des points faibles (peu), mais il y a aussi de grands points forts : mieux vaut parler d'eux. Le principe de l'opéra, c'est que chaque interprète a droit à deux scènes successives, avec un partenaire différent, et l'amour fait ainsi le tour de la société de la Belle époque en revenant à la fin de l'opéra à la prostituée du début ; on dirait presque un concours, et dans ce concours je décerne mon prix à la soprano Laura Holm, qui bénéficie du très beau rôle lyrique de la Femme mariée, une voix chaude, habitée, mobile. L'accessit féminin va sans hésitation à Charlotte Schumann en grisette malicieuse et mélancolique : c'est amusant de voir cette voix de mezzo clair succéder au soprano sombre de Laura Holm, parfait brouillage des identités qui semble faire écho à la pièce. Enfin, l'accessit masculin va à Romain Dayez, qui souffrait pourtant d'une laryngite, cette maladie qui semble faire souffrir les chanteurs sans tellement nuire à leur prestation : peut-être aurait-il été encore meilleur avec une gorge en parfait état de marche, mais on peut déjà bien admirer dans son très maladroit personnage d'aristocrate introverti une réelle aisance scénique et surtout une diction claire et réfléchie accompagnée d'une projection de qualité.

Je crois que vous m'avez compris : plutôt que d'aller voir une purge à Bastille pour quelques dizaines d'euros, allez donc dans le 19e pour un spectacle réjouissant qui ne vous coûtera que 18 €.

Détails sur le site de la Cité de la Musique

3 commentaires:

  1. "Reigen" est un chef-d’œuvre absolu!

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  2. En effet, c'est un opera fantastique. Il y a qqs annees [cad. avant la restauration] qu'on avait vu une magnifique production hollandaise a l'amphi de Bastille (mes par Harry Kupfer). Celle nouvelle --a La Cite de la Musique-- n'est peut-etre pas de meme niveau mais le lieu le jeu et la musique qui se marrie formidablement avec le drame faisait de ce spectacle le meilleur evenement a Paris cette saison.

    Je dois avoue que je suis alle voir La Favorite et que c'est un flop de A a Z. RIEN a sauver! Shit, quoi?!

    Les productions de Met que l'on donne aux cinemas sont toutes catastrophique. Toutefois si vous pouvez aller voir Parsifal, je pense que ca vaut le coup. Ca devrait parler a l'homme des annees 2010. Sinon, je ne crois pas que le cast et le spectacle aura le niveau de ce qu'on a vecu a Lyon, mais c'est tout de meme mieux que toute la saison operatique Parisienne (ODP, OC et TCE confondus).

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