Rendez-vous compte de l'événement : un Ring dans une ville moyenne française ! Quel courage ! Depuis combien de temps ça n'était pas arrivé ? Vite, courons-y ! Et voilà toute la boboterie parisienne de courir à Dijon pour honorer de leur présence cette méritoire entreprise de déniaisement, d'évangélisation des races inférieures provinciales (oui : puisqu'il s'agit de parler aux simples d'esprit, autant en plus leur prendre leur place). Sauf que...
Sauf que l'Opéra de Dijon ne représente pas le Ring, mais un digest de moins de neuf heures de durée, et que, très franchement, si vous êtes provincial et voulez découvrir le Ring sans avoir à payer le voyage vers une grande ville européenne, je vous conseillerais plutôt de découvrir l’œuvre telle que Wagner l'a écrite à travers le DVD (il y a au moins une dizaine de versions intégrales disponibles à moins de 100 €, voire moins de 50). C'est moins bien que de la voir en vrai, mais vous aurez une vision plus précise et plus riche de cette expérience sans pareille qu'est un Ring.
Sauf qu'il y a deux ans à peine une entreprise du même ordre, intitulée Ring-Saga et mis en scène par Antoine Gindt, avait été présentée entre autres à Strasbourg, Nîmes, Caen et Reims : la durée était également d'environ neuf heures de musique, j'avais été assez déçu (par le manque d'imagination de la réduction instrumentale et de la mise en scène principalement), mais qu'on ne vienne pas nous dire que la présentation d'une version réduite du Ring dans la province française serait un événement unique.
Un des gros points noirs de l'entreprise est la communication événementielle ridiculement enflée de l'Opéra de Dijon, qui fait tout pour faire croire qu'il présente la totalité du cycle, comme si les coupures, "conservant l’unité et la force dramaturgique de l’œuvre", étaient une vertu et non le produit de la misère financière des institutions lyriques en province. Le pire étant que, comme toujours, ce genre de choses marche : les médias comme les bobos parisiens accourent. Que le metteur en scène soit un novice qui n'a eu qu'à se nommer lui-même (puisqu'il s'agit du directeur de la maison), que l'orchestre soit une formation constituée ad hoc, cela ne compte ici pas.
Du point de vue de l'événement, c'est réussi. Du point de vue de l'usage des deniers publics, c'est une autre chose. Est-il raisonnable de produire ainsi 9 heures de spectacle pour les donner trois fois seulement ? Quand on voit que, parallèlement, la saison lyrique dijonnaise ne comporte que deux autres opéras, la réponse n'est pas loin de la question. Un bête Parsifal, intégral et intelligemment mis en scène, aurait aussi bien fait l'affaire, avec une coproduction et un nombre de représentations supérieur.
PS : Je ne suis pas le seul à avoir des réserves. Il reste encore quelque chose comme 150 places pour la dernière du pseudo-Crépuscule en vente sur le site de l'Opéra de Dijon, sans compter quelques dizaines d'autres chez les revendeurs divers (Fnac...).
dimanche 6 octobre 2013
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Bonjour,
RépondreSupprimerJe ne suis ni bobo, ni parisien ; juste dijonnais de souche, amateur d'opéra. J'ai assisté au Ring ce week-end ; alors, on est loin du faste (voir de la démesure) habituel pour un Ring, certes, mais le résultat est tout à fait honorable pour une maison d'opéra de province, et pour le budget alloué (environ deux millions d'euros).
Je n'ai pas perçu d'emphase particulière au niveau de la communication de l'Opéra de Dijon (éventuellement la volonté de rentrer dans ses dépenses qui sont des deniers publics comme vous le faites remarquer) ; et moi qui ai suivi le projet depuis plus d'un an, les coupes n'ont jamais été cachées ; cela dit, pour présenter un Ring sur un week-end à un large public, difficile de faire autrement.
Il est vrai qu'une captation aurait été la bienvenue, mais c'est le lot de nombreux spectacles vivants que de n'exister qu'un temps.
Sur le contenu, les quatre volets sont de qualités inégales, mais moi qui fait partie des "races inférieures provinciales", mais qui s'est tout de même documenté au préalable sur l’œuvre complète, j'ai apprécié cette version très onirique du Ring, effectivement très éloigné de ce à quoi on s'attend en général.
C'est aussi la loi du spectacle vivant de ne pouvoir satisfaire tout le monde en même temps, les puristes comme les "simples d'esprit amateurs".
Reste le plaisir de la musique (si la mise en scène déplait), servie par un orchestre d'exception (dans ses deux acceptions) mais de qualité et des artistes sur scène aux voix magnifiques.
Une petite réserve concernant les préludes aux deux journées ; mais n'étant pas adepte de la musique contemporaine, je ne saurais juger de la qualité du travail de Brice Pauset.
La plupart des opéras ne sont joués à Dijon que 3 ou 4 fois, qu'ils soient en co-production ou pas ; le Ring est donc dans cette moyenne. La politique tarifaire pratiquée à Dijon depuis plusieurs années permet à chacun d'y trouver une place quelque soit le poids de son porte-monnaie, avec un point commun pour tous, la salle de l'auditorium qui dispose d'une acoustique parfaite quelque soit l'endroit où l'on soit placé.
Bonne journée
Bonjour,
RépondreSupprimerà part votre point de vue sur le projet en lui-même, vous n'avez rien à dire sur la qualité (ou pas, chacun a droit à son avis) des voix, de l'orchestre, par exemple?
Bonne soirée
Pas une seule maison outre-Rhin se hasarderait à donner une version "digest" du Ring. Alors pourquoi... oui, pourquoi doit-on supporter ce genre d'entreprise démagogique ?
RépondreSupprimerJean F.
@Xavier: L'Opéra de Dijon n'a certes jamais prétendu monter le Ring intégral, mais il l'a dit le moins possible. Le problème n'est pas le faste, c'est l'intégralité; en plus les coupes ont été présentées presque comme une amélioration, comme si Wagner avait trop dilué sa sauce et qu'il fallait l'améliorer. Quels que soient les prétextes avancés, ce n'est pas acceptable: c'est quoi, le prochain projet de l'Opéra de Dijon? Les 9 symphonies de Beethoven en 2 h, parce que cet idiot de Beethoven n'arrête pas de se répéter?
RépondreSupprimer2 millions d'euros pour 3 représentations, ce n'est pas rien, tout de même. Je comprends bien que Dijon, qui a fait le choix du "glamour" avec une politique de communication très agressive (sans comparaison en France) et des coproductions prestigieuses, ne donne pas plus que 3 ou 4 fois chaque opéra, mais en général les productions n'en sont pas moins ultra-rentabilisées ; pour la seule que j'ai vue récemment (à Luxembourg, en l'occurrence), ça faisait bien sur le papier, mais c'était plutôt bas de gamme et pas très réussi musicalement (le Myslivecek). Quant à la politique tarifaire, j'en ai déjà largement parlé ici, je me méfie comme de la peste de la rhétorique démocratique des institutions; il n'y a pas de raison de vendre à bas prix des choses de valeur à des gens qui ont les moyens de payer un prix normal, et ça n'empêche pas de proposer des tarifs adaptés à ceux qui ne peuvent payer plus. Il y a des politiques tarifaires qui sont du pur gaspillage de subventions, et qui nuisent à la capacité productive des institutions.
@Alexandra: Merci, j'ai déjà donné avec Ring-Saga, qui était plus intéressant sur le papier (parce que le projet s'annonçait bien comme une vision de l'oeuvre, avec un décalage assumé qui n'était hélas pas assez grand finalement, avec une réduction instrumentale trop servile), pas question de faire des heures de train depuis Metz pour aller voir ça. Il me semblait que la manière dont mon texte était rédigé ne laissait pas de doute.
Accessoirement, pour le Ring que j'ai vu à Munich cet été, j'ai payé 55 € (pour tout le cycle, bien sûr). C'était une place debout, certes, mais je préfère attraper une crampe plutôt que de subir un Or du Rhin en 1 h 30.
Bonjour,
SupprimerEn l’occurrence à Dijon, la politique tarifaire rejoint votre propos et ne fait pas dans la démagogie ; mais ça n'est pas le point central du sujet.
Les coupes sont monnaie courante à l'opéra, parfois même sans être justifiées ou même assumées. Laurent Joyeux les assument depuis le début et les revendique dans un projet particulier qui peut ne pas plaire à tous, j'en conviens, et cela se respecte. Il n'est pas question d'amélioration pour moi, mais d'une certaine vision du Ring. il ne faut, bien entendu, pas s'arrêter à ce point de vue ; c'est justement tout l'intérêt d'une mise en scène, qui n'est jamais neutre, car elle représente le point de vue d'une personne.
Quoi de commun entre le Don Giovanni de Claus Guth et celui de Jonathan Kent, sans parler de version plus ancienne, si ce n'est qu'elles nous font progresser sur notre propre vision de l'oeuvre.
Avec Myslivecek, vous évoquez peut-être l'Olympiade mis en scène par Ursel Herrmann que j'ai vu l'an passé. L'orchestre m'est apparu un peu faible au regard de la qualité des artistes sur scène.
Bonne fin de journée
Bonjour,
RépondreSupprimerc'est un peu dommage que vous n'ayez pas fait le déplacement... Vous auriez peut-être changé d'avis.
Par ailleurs, il y a plus que deux autres opéras dans la saison à venir à Dijon.
Cordialement,
Grégoire
Ce que j'ai lu des coupures de l'Or du Rhin suffit franchement à m'ôter l'ombre du moindre regret...
RépondreSupprimerPlus que deux opéras ? Je vois La Finta Giardiniera et Les Noces de Figaro, mais c'est tout... La Pellegrina, c'est vraiment autre chose qu'un opéra, et la musique de scène de Peer Gynt, comme son nom l'indique, encore moins. Ce dernier spectacle m'inquiéterait d'ailleurs particulièrement si j'étais dijonnais: Il y a une bonne heure de musique, et on nous annonce une durée de 2 h 30, ce qui veut dire qu'ils vont vaguement raconter l'histoire de la pièce (qui est très longue) en la passant à la tronçonneuse...
Bonjour,
SupprimerLa version dite intégrale de Peer Gynt parue en 2005 chez Deutsche Grammophon sous la direction de Neeme Järvi dure environ 2H. J'en déduis qu'il n'y a pas que Dijon qui tronçonne. On ne compte plus le nombre de version de cette œuvre tellement il y a en eu d'ailleurs et de durée bien différentes.
Cordialement
J'ai aussi le disque, ça dure précisément 85 minutes. Il y a seulement quelques passages chantés qui ne permettent pas de suivre l'histoire échevelée de la pièce. Mais Järvi a enregistré un disque, avec uniquement la musique de scène: je ne vois pas comment on peut, en 2 h 30 (avec ou sans entracte) dont 85 minutes de musique (soit à peine une heure pour la pièce d'Ibsen!) faire un spectacle un tant soit peu théâtral. En tout cas, le qualificatif "opéra" est vraiment usurpé.
SupprimerBonjour,
SupprimerEt bien si vous ne voyez pas comment on peut faire un spectacle théâtral, attendez le mois de mars pour critiquer ... après avoir vu le spectacle, cela sera plus juste.
Pour ma part, je clos mes interventions car nous nous éloignons du sujet de votre article.
Merci pour cet échange et bonne continuation à vous.
Cordialement
J'ai vraiment du mal vous comprendre Rameau : comment peu-on oser critiquer sévèrement un spectacle non vu (le Ring) et un autre non encore créé ? Je comprends toutes critiques mêmes virulentes, mais là franchement, non ! Bref...
RépondreSupprimerEt quand vous parlez d'"Opéra", de quoi parlez vous au juste ? Quelle est votre définition ?
Le mot a été utilisé comme terme musical depuis 1639 : est-ce à dire qu'il n'y a pas d'opéra avant ? Si vous partez du principe que l'Opéra doit s'apparenter à un canon du XVIII ou XIX (triomphe du bel canto), je comprends vos remarques. Mais opera di musica signifie "oeuvre musicale" avec la notion de chose difficile, chef-d'oeuvre. Je cite Furetière en 1690 : "L'emploi du mot (opera) suppose une mise en scène spectaculaire et l'accompagnement du chant par "une grande symphonie, des danses, des ballets avec des habits et des décorations superbes, et des machines surprenantes". Je ne sais pas ce qui sera fait par l'Opéra Dijon, mais j'imagine bien que la Pellegrina et Peer Gynt rentrent bien dans cette définition ?
Grégoire
Il doit y avoir royalement 10 minutes chantées dans Peer Gynt, à peu près, et rien qui indique une quelconque action. Alors que la pièce d'Ibsen est échevelée et pleine de rebondissements - et d'ailleurs trop longue pour qu'on puisse sauf exception la donner en intégralité (elle n'a pas vraiment été écrite pour être joue, du reste). Donc nous ne sommes pas dans ce que le sens commun appelle opéra (je suis naturellement d'accord sur l'impossibilité de définir de façon univoque l'opéra - la définition de Furetière n'étant pas d'une grande aide; même ce que recouvre ce bon sens est naturellement équivoque sous bien des aspects, si on y voit une œuvre majoritairement chantée racontant une histoire et écrite dans un style rattaché à la musique savante).
RépondreSupprimerPar ailleurs, je me réserve le droit de commenter aussi les programmations, même si je ne peux évidemment pas tout voir. En l'occurrence, je veux bien entendre la musique de Grieg en concert (comme à Salzbourg sous la direction de Minkowski en 2009, sublime), je veux bien entendre la musique insérée dans la pièce, mais pas aller voir un machin où les pièces musicales sont reliées par une espèce de sirop narratif ultra-concentré. Du point de vue musical comme du point de vue théâtral, j'ai mieux à faire.
Faux pour les "10 minutes"... rien que les numéros 24 et 25 font déjà ces dix minutes... Certes, il est dérangeant d'écouter des comédiens jouer leur rôle sur une oeuvre musicale dont nombre de numéros sont dans la mémoire de chacun, sous une forme purement orchestrale. Mais c'était la volonté de Grieg. Et l'idée de rendre lisible la trame dramatique pour valoriser toute cette musique, si peu commue pour ce qui relève de 18 numéros me paraît défendable. Ecouter la berceuse finale dans ce contexte n'a pas grand chose à voir avec tel ou tel enregistrement, au demeurant rare. Monsieur Rameau est bien susceptible ! aussi acariatre que son homonyme ? Libre à vous (ouf !) de commenter les programmations. mais vous ne m'empêcherez pas de penser que c'est commenter la carte d'un restaurant devant lequel on passe. Moi, Monsieur Rameau, j'aime goûter !
SupprimerJe ne vais pas trop commenter mais juste dire que j'ai aussi pu voir ce Ring malheureux et je partage les points soulevés par Rameau à 100%.
RépondreSupprimerXavier, la phrase "Quoi de commun entre le Don Giovanni de Claus Guth et celui de Jonathan Kent, sans parler de version plus ancienne, si ce n'est qu'elles nous font progresser sur notre propre vision de l'oeuvre." m'a tué. Celle de Guth était intéressante mais elle n'a rien apporté à l'oeuvre. Puis celle de Kent était tout simplement nulle. Cherchez plutôt du coté Tcherniakov, Kusej, et à la limite Bieito (tous les 3 en DVD).