À quoi bon, mes amis ? Claudio Abbado est mort, et on ne sait pas trop quoi dire qui n'ait été dit mille fois. Je l'ai vu en tout et pour tout une toute petite dizaine de fois - dans son ultime carrière, depuis son retour après sa terrible maladie -, sans aller l'entendre dans son Olympe de Lucerne (erreur), et n'étant pas discophile je n'ai finalement pas tant de disques de lui. Je n'ai pas de compétence particulière, pas d'expérience extraordinaire comme peuvent en avoir ceux qui le suivaient depuis des décennies, simplement ma relation de mélomane avec lui, comme tant d'autres mélomanes.
Mais, si banale qu'elle soit dans la république des mélomanes, cette relation, pour moi, est une des plus fortes que j'ai eues. Parce que Claudio Abbado chef d'orchestre a été un interprète exceptionnel, et je me souviens de cette "Grande" symphonie de Schubert donnée en mai 2002 à la Cité de la Musique avec le Chamber Orchestra of Europe - le retour à la vie d'un miraculé, et pour moi une expérience d'une intensité presque traumatisante, m'empêchant d'applaudir (c'est sans doute depuis ce jour-là que j'ai de moins en moins envie d'applaudir au concert - à quoi bon faire du bruit quand la musique a parlé ?). Interprète exceptionnel, évidemment, et un interprète qui n'est pas humaniste qu'en paroles, avec cette chaleur et cette proximité irradiante qui, à travers la personne du chef, vous mettent nez à nez avec l'oeuvre qu'on devait, j'imagine, ressentir avec Carlos Kleiber et qu'on ressent aujourd'hui souvent avec Mariss Jansons.
Mais ce qui rend Abbado exceptionnel, plus encore que Jansons par exemple qui, si admirable soit-il, est interprète et seulement cela, c'est la manière dont, sans jamais sortir de sa modestie d'interprète, il a contribué à façonner la vie musicale de son temps. Pensons à cette Italie des années de plomb où, avec ses compagnons de marche, Berio, Nono, et Pollini qui seul nous reste, il a contribué à ancrer la musique dans les utopies de notre temps - en nos temps où se moquer des utopies est devenu le sceau suprême de l'intelligence, que cette leçon puisse être rappelée. Pensons à cette capacité d'entraînement qui a fait de tant de musiciens d'orchestre, au fil des orchestres fondés - ne citons que le Gustav Mahler Jugendorchester, encore aujourd'hui l'un des meilleurs orchestres du monde, fondé en 1986 pour que la musique passe les frontières du rideau de fer -, des compagnons et des partenaires, dans une vision de la musique qui se nourrissait toujours de dialogue et d'écoute - les grandes symphonies de Mahler comme des joyaux chambristes. Pensons enfin à son engagement constant pour la musique de son temps, y compris quand il s'est agi de faire évoluer le mastodonte berlinois de l'immobilisme marmoréen de l'ère Karajan à ce qu'il est aujourd'hui, l'un des orchestres les plus passionnants bien au-delà de la question du niveau technique : pour ce qui m'intéresse le plus, je n'oublierai pas que c'est lui qui, en 1994, a commandé et créé à Berlin l'un des derniers chefs-d’œuvre orchestraux du XXe siècle, Stele de György Kurtág.
Je ne vois pas de conclusion meilleure pour conclure ce petit propos que de citer cette épitaphe trouvée par son ami Luigi Nono :
Caminantes, no hay caminos, hay que caminar. Vous qui cheminez, il n'y a pas de chemin, il n'y a qu'à marcher.
mercredi 22 janvier 2014
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