Il y a dans
The Turn of the Screw quelque chose de terriblement anglais (mes excuses pour cette banalité), avec cette gouvernante, cette éducation élitiste, la stricte application de ces stéréotypes de genre qui ravissent tant nos glorieux hérauts modernes de la cause réac - c'est un peu beaucoup pour moi, et c'est sans doute pour cela que je n'arrive toujours pas à aimer cette œuvre autant que
Billy Budd,
Le Songe d'une nuit d'été,
Le viol de Lucrèce, même si j'entends bien qu'il y a un contraste volontaire entre cette pesante normalité et l'atmosphère horrifique des apparitions. J'ai pourtant pu noter la réception enthousiaste par les nombreux scolaires présents : ils ne s'attendaient certainement pas à une œuvre aussi intense, aussi addictive même, qui parle immédiatement au public d'aujourd'hui - j'ai toujours pensé qu'il était bien plus malin d'initier des novices à l'opéra par Britten ou Janacek que par les monuments révérés de la tradition lyrique qu'on croit à tort plus abordables pour le grand public (souvenir cuisant d'un
Don Giovanni dans l'excellente production de Michael Hanecke, qui n'a vraiment pas réussi à séduire des amis cinéphiles - mais le rythme de l'oeuvre n'est pas celle des films de Hanecke, et la longueur de l’œuvre non plus).
Valentina Carrasco, qui met en scène cette production lyonnaise, est un produit de La Fura dels Baus, et elle avait déjà travaillé à Lyon, aux côtés d'Alex Ollé, pour un
Tristan où seul l'orchestre (dirigé par Kirill Petrenko) m'avait séduit (et même plus). Je n'ai pas beaucoup de respect pour La Fura : je veux bien croire que leurs premiers spectacles aient pu être audacieux et créatifs, mais tout ce que j'en ai vu de mes propres yeux semblait rechercher l'effet plus que la profondeur, la masse scénique plutôt que l'humain, l'image immédiate plutôt que la construction de l'émotion (le pire étant certainement le célèbre
Turandot de l'Opéra de Bavière avec ses lunettes 3D crépitantes). Cette première production solitaire de Valentina Carrasco (pour moi du moins) a un peu les mêmes limites que celles de la maison-mère, mais en mieux. La grande beauté plastique des décors, la pertinence de leur usage au fil des tableaux, la fluidité de leur enchaînement méritent sans aucun doute le respect. La limite de cette beauté, c'est qu'elle n'apporte pas plus à l'interprétation de l’œuvre que ce qu'on y lit au premier coup d’œil - ces toiles d'araignée qui sont à la fois le cordage qui révèle le jardin du domaine et la trame des maléfices qui entourent les enfants en sont un exemple parlant : il fallait nous perdre, on nous indique le chemin. Et la direction d'acteurs, avouons-le, pourrait elle aussi gagner en intensité, en précision, en variété, et surtout en rythme.
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Photo Jean-Louis Fernandez/Opéra de Lyon |
C'est peut-être par une volonté consciente de contraste qu'à l'inverse Kauzshi Ono a choisi à l'inverse de faire ressortir la modernité de la partition en défaisant le fondu orchestral que Britten, malgré l'effectif réduit de son ensemble instrumental, parvient à créer en alternance avec les parties les plus chambristes de son instrumentation. La démarche n'est pas illégitime, mais je trouve qu'elle aboutit ici un peu trop souvent à une certaine confusion qui ne favorise pas la fluidité de la progression dramatique, qu'on entend si naturellement sur l'enregistrement classique dirigé par Britten lui-même. Et, plus gênant, je me demande si ce choix mal maîtrisé n'est pas sans influence sur la distribution, qui ne parvient pas à me satisfaire totalement - il y a, sans doute, le souvenir de la gouvernante lumineuse de Mireille Delunsch dans la production de Luc Bondy donnée à Aix, puis Paris et autres (DVD), mais j'ai eu un peu de mal tout de même à me convaincre de l'adéquation des chanteurs à leurs rôles, en particulier Mrs Grose et les enfants : l'impression dominante est que les chanteurs ne sont pas assez assurés par le soutien venant de la fosse pour pouvoir - fléau majeur - accorder toute l'attention nécessaire à la diction. Je m'abstiendrai d'en désigner les responsables, mais je crois tout de même que la fosse n'a pas aidé les chanteurs à donner le meilleur d'eux-mêmes.
Vous verrez qu'il n'en aura pas été de même pour
Peter Grimes dans un prochain épisode.
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