vendredi 2 mai 2014

Britten à Lyon (3) - Curlew River, entre deux mondes

Il est temps de conclure la trilogie Britten par l’œuvre la moins évidente du choix de l’Opéra de Lyon : le sous-titre que lui donne Britten, Curlew River. A church parable, suffit à mettre en évidence la difficulté inhérente, qui est celle jamais vraiment résolue du théâtre musical sacré – du Sant’ Alessio de Landi à Moïse et Aron en passant par le Jephté de Montéclair, qui participe des tentatives désespérées de l’Opéra de Paris pour donner une nouvelle jeunesse à la tragédie lyrique. Ici encore, ce que tente Britten est bien de redonner une forme d’intensité primitive à la forme opéra dans cette période où l’existence même du genre semble menacée (nous qui vivons un demi-siècle plus tard savons qu’il a survécu, et fort bien, mais pouvait-on le deviner ?). Hybridation renforcée par le métissage entre Occident médiéval et Japon – dont il reste, outre la trame narrative, cette manière de raconter un bref épisode resserré, plutôt que les vastes fresques du théâtre musical occidental, et naturellement bien des procédés musicaux, que Britten intègre dans son écriture de façon fusionnelle, loin de toute japoniaiserie façon Madame Butterfly.
http://www.lyoncapitale.fr/var/plain_site/storage/images/media/01-photos/culture/curlew-river-britten-4/3067270-1-fre-FR/Curlew-River-Britten-4_univers-grande.jpg
Photo Opéra de Lyon

Le mérite du spectacle d’Olivier Py est d’avoir tenu compte de tous ces mélanges : la ritualité des interventions du chœur, le maquillage en bord de scène comme distance établie entre les interprètes et leurs personnages. Le plus beau pourtant de son spectacle, ce ne sont pas les costumes noirs un peu trop mode du chœur, ni l’inévitable structure métallique de Pierre-André Weitz, mais la fascinante danse de la Folle, dont le visage peint en rouge fait voir l’étrangeté. Là où tous, l’abbé, les moines, le voyageur, restent figés dans leur verticalité, elle seule, prend possession territoriale du plateau en une fascinante chorégraphie, à la fois ancrée dans le sol et légère, à la fois libre et partie prenante du rituel. Et on y croit à peine quand on entend que cette femme éperdue de douleur, en plus de danser, chante, avec la voix du ténor Michael Slattery : performance remarquable, d’autant que la voix ne souffre pas du tout de l'investissement scénique de l'artiste. À tout point de vue, c’est là le meilleur de ce spectacle : aucun des autres chanteurs, y compris la voix de son jeune garçon mort, ne parvient à dépasser une honorable solidité. Le chœur masculin, qui ouvre et clôture la pièce, est d’une belle homogénéité ; pour une fois, c’est leur chef Alan Woodbridge qui dirige non seulement l’ensemble vocal, mais aussi les 7 instruments du petit ensemble : le résultat est raisonnablement tenu, même si on aimerait parfois que les instrumentistes osent s’exposer un peu plus pour dialoguer de façon plus intense avec la scène. On n’en sort pas moins avec une idée juste de cette œuvre à part, qui ne deviendra jamais un succès de billetterie, mais mérite vraiment d’être vue. Si Peter Grimes reste le spectacle le plus réussi de cette trilogie pascale, si à l’inverse Le Tour d’écrou n’est pas sans défauts, l’Opéra de Lyon aura donc réussi sa trilogie Britten, et le public n'a pas boudé son plaisir.

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