dimanche 24 août 2014

Salzbourg 2014 (2) - Opéra : Don Giovanni et Fierrabras

Don Giovanni

La très relative bonne surprise est venue de Don Giovanni : l’équipe Sven-Eric Bechtolf (mise en scène)/Christoph Eschenbach (direction) ne m’inspirait aucune confiance, mais il n’y avait vraiment rien d’autre ce soir-là, et ma foi, mon attachement pour le Festival fait que j’aime bien savoir ce qui s’y passe, fût-ce parfois au prix d’une soirée pénible. Sur la production de Bechtolf, la seule chose positive que je peux dire est que c’est toujours mieux que son insupportable Ariane à Naxos dans ce même lieu (qui existe désormais en DVD, quel bonheur) : c’est très ennuyeux, il n’y a aucune idée, mais au moins, justement, il n’y a aucune idée, ce qui est mieux avec lui que quand il y en a. Tout se passe dans un hall d’hôtel, comme dans la production de Keith Warner que j’avais vue au Theater an der Wien il y a longtemps et qui datait d’il y a encore plus longtemps. Soit.

La distribution, elle, n’est naturellement pas du niveau que j’attends à Salzbourg ; le mieux, c’est D’Arcangelo et Pisaroni, qui ont de toute façon chanté leurs rôles sur toutes les scènes du monde ; il n’y a en revanche pas grand-chose à sauver des autres, de ceux qu’on aurait voulu nous faire « découvrir » : Lenneke Ruiten en Donna Anna manque de couleur et de poids, mais elle a l’excuse qu’Eschenbach semble ne pas du tout s’intéresser à son personnage ; Annett Fritsch (Elvira) est tout à fait inexistante ; quand à Andrew Staples (Ottavio), on aimerait en dire autant, tant le timbre est insupportablement aigre (à ce point, on se dit que ce ne peut être qu’une méforme passagère ; je ne crois tout de même pas qu’Alexander Pereira nous aurait offert ça volontairement).

La relative bonne surprise, donc, horresco referens, c’est Eschenbach lui-même, et les Viennois avec lui. Les deux dernières fois que j’avais vu DG à Salzbourg, dans la peu reluisante production de Claus Guth, c’était sous de Billy (calamiteux) puis Nézet-Séguin (inexistant et chichiteux). Là, bien sûr, ça manque pas mal de théâtre, il y a des moments de creux, et on sent encore et toujours que les baroqueux c’est le mal, et c’est très lent ; mais tout de même, c’est tenu, il y a une logique et une cohérence dans cette lenteur. Mon souvenir précédent d’Eschenbach à l’opéra, c’était le Ring du Châtelet en 2005, un naufrage inégalable ; vous pouvez donc penser que je n’étais pas prêt à beaucoup de mansuétude, et pourtant voilà : non seulement je trouve qu’il aurait été très injuste qu’il reçoive les mêmes huées que l’année dernière pour Così, mais j’ai même trouvé qu’un peu plus de chaleur à son encontre lors des saluts n’aurait pas été volée. Ce n'est pas mon Mozart, mais c'est un Mozart digne et cohérent. On reverra Eschenbach faire une apparition côté concerts, pour une étrange et intéressante soirée.

Fierrabras

Le point commun avec Fierrabras, c’est l’orchestre, ces Viennois qui m’intéressent beaucoup moins que leurs concurrents directs, Berlinois, Radio Bavaroise ou Concertgebouw. Le choix de monter le dernier opéra achevé de Schubert avait été à l’origine une réponse au souhait de Nikolaus Harnoncourt de diriger cet opéra ; Harnoncourt ayant renoncé pour raisons d’âge, c’est Ingo Metzmacher, qui devait diriger le Dalbavie, qui a récupéré le bébé. J’aime beaucoup Metzmacher dans le répertoire moderne, j’avais quelques interrogations pour Schubert, mais elles se sont révélées infondées : un son très riche, varié, vivant ; un vrai professionnel efficace et compétent, ça vaut souvent mieux que les stars de la baguette à la mode, et au moins dans ce répertoire rare l’or
chestre ne peut pas se reposer sur ses habitudes.


Saurez-vous reconnaître les gentils des méchants ? Fierrabras vu par Peter Stein. Photo Salzburger Festspiele/Monika Ritterhaus
Là encore, hélas, les qualités du spectacle s’arrêtent à peu près là : je ne dirai pas du mal individuellement des chanteurs, puisque je n’ai vu qu’une générale (je n'aurais pas forcément payé pour cela, et puis le soir de la première, il y avait Pollini, qui est quand même un peu plus intéressant), mais vraiment, hors Dorothea Röschmann, il n’y a pas eu beaucoup de plaisir vocal. 
Côté mise en scène, c’est Peter Stein qui signe le pensum : Stein est un type extrêmement sympathique, qui après avoir pensé quand il était jeune que tous les vieux étaient des imbéciles, a découvert en devenant lui-même vieux que c’était les jeunes qui étaient des crétins. Il s’est donc réfugié dans un style rétro à souhait, qu’il vend comme le retour à une vraie et authentique tradition (qu'il a été le premier à dynamiter quand il était jeune) ; et en effet, il refait pour Fierrabras la Cenerentola de Jean-Pierre Ponnelle, millésime 1974, avec des décors constitués d’agrandissements de gravures (noir et blanc, donc). Dans le monde de Peter Stein, on peut encore sans scrupule peinturlurer le visage des (méchants) Maures en noir, au premier degré du racisme inconscient.
Par ailleurs, il s’est visiblement dispensé de répéter avec les chanteurs qui parviennent à des sommets de gaucherie, en particulier le jeune Benjamin Bernheim. C’est souvent maladroit (les lumières!!!), mais plus souvent encore drôle, involontairement ; le plus comique (réel succès autour de moi), c’est le cœur rouge qui apporte la seule touche de couleur  du spectacle, en guise d’image finale. La dernière fois que j'avais vu un spectacle de Peter Stein, c'était La Cruche cassée, au Berliner Ensemble : ce que je peux en dire, c'est qu'il y avait des poules (des vraies, vivantes), et qu'elles étaient les seules à déranger un peu la poussière. Là, hélas, ni poules, ni rats*...
Difficile de dire, dans ces conditions, ce qu'il faut penser de l’œuvre, à laquelle Alexander Pereira semble tenir beaucoup (cf. le DVD de Zurich avec Jonas Kaufmann) : le surtitrage est une invention diabolique, parce qu'on ne peut souvent s'empêcher de rire à la lecture détaillée du texte, et le livret ne crée jamais une situation dramatique intéressante ; on sent tout de même Schubert là-dessous, dans les chœurs, parfois dans les ensembles, assez peu dans les airs - concentrons-nous plutôt sur les dizaines de chefs-d’œuvre réels que nous a laissés Schubert !

*Allusion subtile à la mise en scène de Lohengrin à Bayreuth par Hans Neuenfels, dont je vous reparlerai.

4 commentaires:

  1. "Tout se passe dans un hall d’hôtel, comme dans la production de Keith Warner que j’avais vue au Theater an der Wien il y a longtemps et qui datait d’il y a encore plus longtemps." je me souviens de cette prod. En même temps il y avait une rareté de Schulhoff non ?

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    1. Pas la fois où j'y suis allé (c'était un petit intermède viennois au cours d'un été salzbourgeois...), mais la production a été donnée plusieurs fois, je crois !

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  2. Pascal Gottesmann25/8/14 16:12

    J'aime beaucoup la photo de la prod de Peter Stein, d'une grande beauté plastique. Ça semble, à mon gout, vraiment être du beau travail.
    Quand au grimage des "méchants", ça aurait été d'un racisme scandaleux si le livret ne les avait pas qualifié de maures mais puisque c'est le cas je n'y trouve rien à redire. Au contraire, ça doit faciliter la lisibilité du spectacle (qualité essentielle à l'opéra où 'il faut à la fois prêter attention à la musique, à la qualité des voix, au visuel (décor, costume, lumières) et à la direction d'acteur).

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    1. Ce n'est pas beau, c'est tout au plus joli ! Et c'est surtout mort.
      Quant au racisme, il y a un moment où on ne peut plus se contenter de reproduire sur scène le racisme du passé, tel quel, en faisant semblant de ne pas le voir ! Le problème, c'est qu'on essentialise ainsi la différence raciale (comme s'il était important, signifiant, que les uns aient le visage noir et les autres le visage blanc, comme si ça les rendait différents). En France, on n'est pas très sensibilisés à ces questions, largement parce qu'au-delà de l'antiracisme de façade et de paroles notre société reste encore violemment raciste; mais cette question des représentations n'en est pas moins capitale !

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