jeudi 23 décembre 2010

Calixto Bieito sur tous les fronts

Calixto Bieito, Calixto Bieito, Calixto Bieito encore : après avoir (enfin) découvert l'un des metteurs en scène d'opéra les plus actifs de ces dernières années à l'occasion d'une magnifique production de De la maison des morts de Janáček (j'en avais parlé ici), j'ai eu l'occasion cet automne de découvrir trois productions de Calixto Bieito, deux nouvelles productions (Aida à Bâle, Fidelio à Munich), et une reprise (Armide de - ou plutôt d'après - Gluck).


Aida à Bâle (photo © Hans-Jörg Michel)
Commençons par le plus simple : ce que Bieito a fait d'Aida est très beau, très intelligent, très riche, mais enfin, Aida n'est jamais qu'Aida, un opéra au scénario insauvable et à la musique primitive (je sais, ça ne se dit pas). Ce que Bieito a réussi à en sortir, c'est principalement d'une part la condition d'étrangère d'Aida, la manière dont une société moderne sait maintenir ses étrangers dans une position d'infériorité pour mieux justifier leur exploitation (en Suisse, un pays doté d'une longue tradition de xénophobie, ça n'est jamais inutile) ; d'autre part le poids du regard des autres et de l'entraînement collectif comme condition de départ de la barbarie - ce n'est pas un hasard si le décor fait irrésistiblement penser à un stade. C'est d'autant plus intéressant que Bieito, comme dans son précédent spectacle bâlois, possède un savoir-faire d'artisan du théâtre que ses collègues ne peuvent que lui envier (ah, ces lumières superbes !) ; pour autant, on ne peut que lui conseiller de s'en tenir à des œuvres un peu plus intéressantes que ce genre de théâtre de boulevard.

Pour Armide, le problème était bien différent : l'œuvre mérite qu'on s'y arrête, mais encore faut-il pour cela qu'on puisse entendre la musique. Or ce spectacle a au moins le mérite de nous rappeler pourquoi l'exécution des oeuvres dans leur langue originale s'est imposée il y a plusieurs décennies : la traduction allemande conduit les chanteurs à massacrer la partition, qu'ils chantent pratiquement sur une seule note. La mise en scène, face à cela, a beaucoup de mérites, et vous pourrez en lire plus sur Resmusica : mais franchement, dans ces conditions, le plaisir et l'implication du spectateur sont largement compromis.

Reste donc Fidelio, la toute fraîche nouvelle production de l'Opéra de Bavière, venue remplacer une production très classique mais supportable de Peter Mussbach, que j'avais vue à plusieurs reprises avec Waltraud Meier. Cette fois, la star qui s'impose s'appelle Jonas Kaufmann : il n'est pas étonnant qu'un chanteur de son intelligence n'ait pas peur de travailler avec les metteurs en scène les plus audacieux, Marthaler ici, Johan Simons là, ou encore Richard Jones et d'autres, à mille lieues du cliché des pauvres chanteurs victimes des méchants metteurs en scène.
Photo (c) Wilfried Hösl
Là encore, un compte-rendu plus complet sera publié sur Resmusica (je mettrai le lien ici, et vous pourrez le trouver également dans le blogroll sur la droite de cette page) : en résumé, un décor et des lumières sublimes (cf. photo !), pour une mise en scène qui manque finalement pas mal d'audace : cela peut paraître surprenant de la part du grand provocateur en chef qu'est supposé être Bieito, mais c'est aussi le résultat de l'action redoutable de l'Opéra de Munich version Nikolaus Bachler, machine à transformer les metteurs en scène les plus innovants en sages fabricants de spectacles en série. Sans doute Fidelio, avec son livret décidément impossible (dans les grandes lignes du scénario comme dans le détail des formulations), n'était pas non plus une grande source d'inspiration potentielle, mais enfin, ce qu'avait réussi Johan Simons, présent le soir de la première, dans son Fidelio parisien si mal compris, était quand même d'un autre niveau. Équipe vocale très loin de la parité : Messieurs (Franz-Joseph Selig, Wolfgang Koch, et bien sûr Kaufmann) au moins très bien, dames (Anja Kampe, Laura Tatulescu) assez dépassées par les événements. À la baguette, Daniele Gatti ; on connaît la formule : Gatti dans une production d'opéra, c'est un vent de huées assurées, et elles n'ont pas manqué, et elles étaient méritées : comment peut-on transformer ainsi cet orchestre magnifique en un brouet insipide ?

Bilan de tout cela : M. Bieito, vous avez une équipe formidable, un savoir-faire  artisanal unique, et des idées novatrices et stimulantes ; mais s'il vous plaît, mettez tout cela au service de maisons qui vous laissent la voie libre pour les mettre en oeuvre, et surtout d'oeuvres qui vous stimulent vraiment...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Une petite râlerie ? Une pensée en l'air ? Une déclaration solennelle à faire ? C'est ici !

NB : Les commentaires sont désormais modérés en raison de problèmes de spam. Je m'engage à publier tous les messages qui ne relèvent pas du spam, même à contenu désagréable

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...