mardi 28 décembre 2010

Philippe Jordan a perdu le fil d’Ariane

Finies les premières mondaines de l’Opéra de Munich (et leur public au-delà du supportable, et dans une certaine mesure au-delà du réel : ces gens-là existent-ils vraiment ?) : retour en France avec cette bonne vieille Ariane à Naxos, production vue et revue de Laurent Pelly, créée il y a des années quand Hugues Gall dirigeait l’Opéra de Paris, et remontée une fois encore (une dernière fois ?) pour les fêtes sous la direction du successeur de son successeur – bref, que du neuf. Je pourrais développer sur la distribution, avec Riccarda Merbeth enfin à peu près convaincante après deux prestations médiocres, et un Bacchus encore en dessous de ce à quoi Nicolas Joel nous a habitués, mais ce qui m’a le plus frappé une fois encore, c’est l’explosion en vol du directeur musical choisi par Nicolas Joel.


Le regard du dompteur - mais la bête est déjà trop sage (photo J.-F.Leclercq)

Pourtant, ce n’est pas si loin, Philippe Jordan à son arrivée faisait à peu près l’unanimité, et nous étions, je crois, nombreux à penser qu’il serait à même de compenser les limites déjà patentes de Joel ; je l’avais vu pour ma part diriger Un Bal masqué à Berlin juste avant, et c’était presque miraculeux pour cet opéra que je n’aime guère. Début de carrière non pas météorique, mais qui semblait devoir aller très haut. Seulement voilà, qu’en reste-t-il un an et demi après ? Son concert d’ouverture n’était pas très convaincant, mais que dire de la suite ? Les deux premiers volets de son Ring étaient d’un ennui terrifiant, et voilà maintenant cette Ariane sans pulsion, sans théâtre, sans sensualité, sans humour. Le prologue en particulier, comme de nombreux critiques l’ont souligné, mettaient en péril les chanteurs à force de ne jamais les relancer (et du coup une Sophie Koch, raison d'être de cette série de représentations, bien pâle).
Personne ne met en cause les capacités techniques du jeune chef, mais on peut commencer à douter qu’il ait véritablement du sang dans les veines. Ce sérieux implacable est mortifère, et si étranger à l'esprit du théâtre musical qu'on peine à comprendre pourquoi Philippe Jordan n'a pas plutôt choisi un poste dans un orchestre symphonique.
Il suffisait de comparer avec Peter Schneider, venu en septembre diriger Le vaisseau fantôme de Wagner dans la même salle : avec ce vieux routier souvent décrit, à tort, comme ennuyeux et routinier, l’orchestre sonnait, vivait, emplissait l’espace de Bastille sans problème et sans couvrir les chanteurs. Avec Jordan, au contraire, les sonorités sont laides, les chanteurs sont couverts au premier forte, et la lettre morte de la partition ne devient rien de mieux que lettre morte sonore. Il y a presque quelque chose d’un Sarkozy dans cette étonnante capacité à faire fondre avec une telle rapidité un capital de départ considérable. Sauf que Jordan est aussi mou que Sarkozy est surexcité, et que je n’ai jamais, au grand jamais, soutenu Sarkozy, alors que j'ai cru très fort en Jordan...

Quand même un mot sur la distribution, et en particulier sur Stefan Vinke, le Bacchus indigne de cette production : je ne veux pas l’accabler une fois encore, mais seulement relever un argument particulièrement stupide employé par la critique, selon lequel, certes, il est très mauvais, mais de nos jours, ma bonne dame, on n’a pas mieux dans ce rôle si difficile, alors que dans le passé, il y avait les Machin, les Bidule, les Truc, c’était quand même autre chose. Je conçois qu’il puisse être utile d’aller à la soupe joellienne, mais il aurait été plus intelligent d’écouter par exemple le spectacle de l’Opéra de Munich en 2008 (avec à la baguette Kent Nagano, qui est à Philippe Jordan ce qu'un grand architecte est à un constructeur de maquettes), où Burckhard Fritz avait réussi à être tout aussi miraculeux de ligne, de poésie et en même temps de puissance que n’importe lequel des grands ténors du passé, et je ne doute pas que n’importe quel mélomane qui sort un peu aura d’autres noms à proposer ; après tout, même le peu séduisant Jon Villars qui avait chanté souvent dans cette production n’était pas au bord de l’apoplexie à chaque fin de phrase et ne se laissait pas couvrir par l’orchestre, à défaut d’avoir beaucoup plus de charme. Il n’y a jamais de bonne raison pour engager un mauvais chanteur.
Site officiel de Philippe Jordan (où l'on constate qu'au fond sa discographie reste bien modeste et qu'il ne dirige guère d'orchestres de premier plan)

12 commentaires:

  1. J'ai vu trois représentations de cette série et mes impressions sont très différentes (le placement et mon état de fatigue l'étaient aussi). La première était gâchée avec la prestation de Vinke. J'ai au contraire été très enthousiasmé par la représentation du 20 décembre. Ce soir, c'était un peu plus mou et Vinke a été hué.

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  2. Ouh là ! Même si l'oeuvre est courte (malgré le bien inutile entracte), je n'aurais certainement pas eu le courage de voir Jordan trois fois !

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  3. J'ai assisté à la représentation du 20, mais je me pose une question qui me semble vitale:
    "Y a-t-il une personne qui doit s'occuper des placements des chanteurs de leurs actions et de leurs comportements, car s'il y en a un, il ne fait pas très bien son travail?"
    La mise en scène qui consiste à tirer un trait sur le passé (sur l'Histoire) en essayant de "moderniser" à tout prix est une erreur et une aberration. Être vieux jeu a ses désavantages, mais je ne vois pas ce qu'apporte Zerbinette debout dans une brouette en train de déclamer. Les trois femmes Naïades habillées comme des SDF (ou des femmes de chambre de "hôtel") et Ariadne en haillons, tandis que Bacchus semble surgir des Arènes comme un Gladiateur ne me font pas rire - quoique! La fin fut trop longue et ce n'est pas la faute de Jordan, qui a affaire, à mon avis , à un opéra de Strauss qui est tout simplement très médiocre. Je n'ai retenu que l'aria de Harlekin fort joliment exécuté. Peut-être qu'il me faut aller plusieurs fois pour en retenir plus, de la musique de Strauss qui sait être sublime.
    Cette soupe-là servie deux fois devient insipide. Désolé.

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  4. > je n'aurais certainement pas eu le courage de voir Jordan trois fois !
    Eh bien le 20, je l'ai trouvé très bien. Certes, c'est la première production d'Ariane à Naxos que je vois et entends ; peut-être qu'un jour, en entendant une autre interprétation, je me dirai rétrospectivement que c'était affreux...

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  5. Je ne vais pas défendre outre mesure cette production, qui modernise certes, mais sans vraiment en tirer beaucoup de sens. Je n'ai pas eu de problème acoustique avec le placement des chanteurs, mais c'est le piège de Bastille : ce qui est bien ici est inaudible là...

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  6. @ Anonyme,
    "La mise en scène qui consiste à tirer un trait sur le passé (sur l'Histoire)..." : vous voulez dire : "La mise en scène qui consiste à ne pas reproduire exactement les habitudes de mises en scène que l'on a pu observer sur cette oeuvre, ou qui consiste à s'éloigner un tout petit peu des rares indications du livret..." ?

    Parce que là, vous êtes presque en train de traiter Pelly de "révisionniste", et je ne vois pas ce que "l'Histoire" vient faire là-dedans... Surtout que, comme le dit Rameau, le travail de Laurent Pelly est somme toute assez classique. Il reste ici assez proche du livret, tout ce qui concerne le théâtre dans le théâtre, les coulisses, etc... étant déjà inscrit dans l'oeuvre de Strauss...

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  7. Accessoirement, ce qui est terrible, c'est que tout le monde tape toujours sur les metteurs en scène, alors que quand un chef montre une pareille incapacité à faire vivre la partition (et je crois vraiment que ce n'était ni la faute de l'orchestre - pour une fois - ni celle de l'acoustique), il n'en reste pas moins un génie...
    Quand on écoute vraiment ce que nous disent les œuvres, on ne peut pas en rester à une illustration pure, qui tue l'imaginaire. Si les Noces de Figaro nous touchent autant, c'est bien parce que ça ne parle pas que de coucheries dans l'Europe prérévolutionnaire !

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  8. @ Rameau :
    Ben, même sans s'engouffrer dans le débat "illustrer l'oeuvre ou pas", je m'étonne un peu de la faiblesse des arguments de ceux qui adressent des reproches aux metteurs en scène. Avec son humilité habituelle, à la question : "Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent de trahir l'oeuvre ?", Marthaler répond : "C'est un malentendu : ce n'est pas l'oeuvre que je trahis mais les habitudes de représentation de l'oeuvre." Et voilà que l'on reproche à Pelly de "tirer un trait sur l'Histoire". Avec un grand "H", en plus ! Honnêtement, je ne comprends pas ce que ça veut dire. Cela me rappelle ceux qui brandissent le mot "respect" à tout bout de champ, pour empêcher que l'on critique les religions par exemple. Moi, respecter un individu, je sais ce que ça veut dire : ça veut dire ne pas l'insulter, ne pas lui cracher à la figure. Mais respecter une religion, un opéra ou un texte de théâtre, honnêtement, je ne vois pas... Le respect, dans ce cas, c'est juste une fine pellicule gluante qui paralyse le cerveau ? A moins qu'ils n'entendent "respect" dans le sens premier (et conservateur) du terme : "respectare", "regarder en arrière". Dans ce cas, "respecter" une oeuvre de Wagner, ça voudrait dire la mettre en scène comme en 1910...?

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  9. Oui, c'est justement ça : comme en 1910, un gros quart de siècle après la mort de Wagner - sachant en plus que Wagner avait lourdement critiqué la production de la création du Ring en 1876 : où est, alors, l'authenticité ? Quand on regarde la très belle revue que l'Opéra de Paris publiait dans les années 50/60, on constate que les décors et costumes ne ressemblaient pas du tout à ceux que nos traditionalistes d'aujourd'hui voudraient voir sur scène ! Puisque c'est l'anniversaire de Mahler, citons-le : Tradition ist Schlamperei, la tradition, c'est le laisser-aller, la négligence, la paresse (il ne l'a en fait pas exactement dit comme ça, mais enfin...); la tradition, c'est toujours un regard vers un passé qui n'a jamais été...

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  10. Lucien Delmas26/3/11 11:42

    Évidemment, vous avez le droit de ne pas apprécier Philippe Jordan mais de là à le comparer à la politique d'un nabot en talonnette...

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  11. simplement j'écoutais ce matin f muses; pour être tout à fait bref et simpliste ,il n'a pas le moral !

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  12. Diable, je vais aller écouter ça !
    (je n'écoute à peu près jamais France Musique, j'avoue...)

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