jeudi 20 janvier 2011

Les chemins de la modernité (2) - Un intrus venu du passé

Ce n'était pas du tout prévu : voilà que Rameau s'invite dans cette série naissante. Oh, je sais, il n'y a rien de plus banal et de plus creux de prendre un compositeur X ou Y et de s'extasier le petit doigt en l'air "Oh, comme c'est modeeeeerne ! Pour son épooooque, quand même !". Oui, c'est banal, et pour la plupart des compositeurs je balaierais d'un revers de la main ce genre de raisonnement, mais voilà : en écoutant le beau programme de concert consacré par Jordi Savall aux suites d'opéra de Rameau (que j'ai eu le plaisir d'entendre dans les excellentes conditions de l'Arsenal de Metz, et non dans les vastes steppes de la Salle Pleyel), je me disais qu'avec Rameau, je n'y arrivais pas. Comparaison est déraison, sans doute : mais il y a quelque chose d'un Schoenberg dans la manière impavide dont Rameau conquiert des territoires sonores qui stupéfient non seulement leurs contemporains, mais nous aussi des décennies ou des siècles plus tard.
Ce qui fait, pour le coup, la différence entre Rameau et Schoenberg, c'est la manière dont ils rencontrent leurs publics : là où Schoenberg va son chemin sans se préoccuper du reste, Rameau se glisse dans des formes existantes tout en les pervertissant sans pitié, avec une sorte de distance qu'on peut trouver un peu méprisante : "ah, c'est ça que vous voulez ?". Cette manière de ne pas transiger avec ses exigences théoriques et avec son idéal artistique, tout en s'arrangeant pour que le public moyen (ce qu'on peut appeler le public moyen du monde aristocratique de l'Ancien Régime...), malgré lui, ne puisse pas faire autrement que lui faire un triomphe, eh bien, je trouve ça assez réjouissant. J'aime bien aussi penser que cet animal-là, déclaré artistiquement mort et enterré de son vivant par les philosophes (après l'avoir encensé pour lui préférer ensuite la nullité absolue de la musique des Italiens), reste aujourd'hui tellement, au sens propre, inouï, là où le grand réformateur et grand héros de la modernité qu'était Gluck, mit Verlaub, apparaît en comparaison comme un faiseur habile. Gluck ou Strauss, c'est du théâtre (ce qui est très estimable), mais ce sont aussi des effets. Rameau, Schoenberg (, Boulez, etc.), c'est avant tout de la musique.
Le fait de donner des programmes purement orchestraux à partir des opéras de Rameau m'avait autrefois un peu gêné, mais j'ai compris depuis que c'était indispensable si on voulait (faire) prendre conscience aux mélomanes que les Indes galantes, ce n'était pas que du grand spectacle (de même que Platée, comédie d'une puissance théâtrale incroyable, est aussi d'une richesse musicale qui ne le cède en rien à Wagner, Bach ou Mozart). L'optique choisie par Jordi Savall, très orchestrale, avec une sonorité enrobante qui privilégie d'une certaine manière la pâte sonore à l'apothéose de la danse et du théâtre qu'organise Marc Minkowski même dans ce genre de programmes (mais j'aime aussi !), est particulièrement adaptée à une telle plongée. Ecoutez simplement l'Entrée de ballet qui ouvre la 4e scène de l'acte IV, cette musique presque surnaturelle (mais écoutez-la plutôt chez Savall que dans l'intégrale de Gardiner) : renversant.

1 commentaire:

  1. Ce concert (écouté dans de très bonnes conditions en arrière-scène à Pleyel, si si) m'a aussi pas mal ouvert les oreilles sur la musique orchestrale de Rameau.

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