dimanche 8 mai 2011

L'Opéra à Metz et Nancy

Pré-post-scriptum : je voulais faire un panorama un peu moins déprimant de la vie culturelle en Lorraine, au contraire très vivante hors de l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole, mais je me suis un peu laissé emporter : vous entendrez donc parler prochainement de ce qui vit vraiment dans cette région...

Vous voulez savoir à quoi ressemblerait la France si (hypothèse d'école et catastrophe improbable) le prochain président de la République était Marine le Pen ? Eh bien, c'est très facile, au moins pour le domaine culturel : venez à Metz et découvrez le programme de l'Opéra-Théâtre de Metz-Métropole (oui, ils participent au concours du nom le plus interminable. Théâtre de Metz, vous comprenez, ça ferait trop... trop quoi, au fait ?). 6,7 millions d'euros de budget pour une maison d'opéra, c'est très peu : mais pour ce qui nous est proposé, c'est presque trop.
Disons-le d'abord clairement : l'Opéra de Metz, c'est un peu comme si on avait voulu rendre au mot "province" toutes les connotations négatives nées des préjugés parisiens. La petite ville balzacienne avec ses petites passions, ses petits grands hommes, son ignorance du reste du monde, avec cette espèce de fierté imbécile de ne pas faire comme les grandes villes. Allez voir les programmations désormais publiées de Dijon, d'Anvers/Gand (Bieito, Thalheimer !), de Bâle bien sûr, et vous verrez qu'on n'est pas condamnés à sentir le renfermé sous prétexte qu'on n'est pas une capitale mondiale.
Mais venons-en aux détails...
Pourtant, il y a un véritable effort de design dans la brochure, qui paraît moderne et surtout beaucoup moins laide que les précédentes. Mais le contenu, lui, est désolant. D'abord pour les œuvres : soit, je n'ai rien contre Falstaff, ni contre L'Italienne à Alger. Par contre, j'ai quelque chose contre L'Auberge du Cheval-Blanc (qu'on donne de l'opérette, soit, mais le moindre Lehár, le moindre Strauss est un Mozart en comparaison de ces chansonnettes pauvrissimes), j'ai évidemment quelque chose contre Faust qui devient ces dernières années l'étendard des réacs ; et j'ai encore plus quelque chose contre Françoise de Rimini d'Ambroise Thomas spectacle dont on avait annoncé l'annulation malheureusement retirée : quand arrêtera-t-on de fouiller dans les poubelles de l'opéra français du XIXe siècle ? Cette œuvre avait eu un petit succès d'estime à sa création en 1882, puisqu'elle avait été donnée 41 fois ; mais après la 41e représentation en 1884, elle était tombée dans un juste oubli, comme tant d’œuvres de cette période où seule l'obligation contractuelle faite aux directeurs de l'Opéra de créer tant d’œuvres nouvelles justifiait ces créations dont, au fond, personne ne voulait. 1882, au passage, c'est la création de Parsifal... Accessoirement, imagine-t-on que l'Opéra de Metz aura vraiment les moyens de monter autrement qu'à la va-vite une telle partition que personne ne connaît ? Mais la cause de cette programmation est à vrai dire explicitement mentionnée dans la brochure de saison : c'est une farce digne d'un trou provincial, l'ancien adjoint à la culture, qui a nommé le directeur sortant Eric Chevalier et est donc la cause du marasme actuel de la maison (passage de 1700 à 850 abonnés en 3 ans, il fallait le faire !), M. Patrick Thill, qui prononcera doctement la conférence d'introduction (sur ce monsieur, vous pouvez lire aussi une lettre d'amour à lui adressée par Forumopera)...
Le plus rageant est que tout cela se déroule dans un opéra construit au milieu du XVIIIe, avec des proportions idéales pour la musique baroque et ses successeurs jusqu'à Mozart, et qu'on y monte des imbécillités pesantes du XIXe siècle qui ont besoin de halls de gare et qui n'intéressent pas le public messin : combien d'abonnés la saison prochaine ? 600, 500 ? (une bonne canicule et il n'y en aura plus du tout : la moyenne d'âge y est exceptionnellement élevée...)

Et puis, bien sûr, les mises en scène : nous serons débarrassés des toiles peintes défraîchies de M. Chevalier, mais voilà déjà la poussière de son successeur Paul-Emile Fourny, qui s'invite lui-même avec la production de Faust qui a déjà été montrée un peu partout (elle doit avoir pas loin de 10 ans) ; voilà Jean-Louis Grinda, directeur d'opéra (Monte Carlo) fils de directeur d'opéra, qui est un des acteurs de la scène lyrique si rétrograde de la Côte d'Azur, pour un Falstaff lui aussi importé, et que même Le Figaro avait trouvé trop mou :

La mise en scène de Jean-Louis Grinda, directeur de l'Opéra de Monte-Carlo, part d'une jolie idée : faire de Falstaff une fable animalière dont le héros est le coq dans la basse-cour. Cela donne des images savoureuses, grâce au décor habile de Rudy ­Sabounghi, une bibliothèque de livres géants permettant tous les clins d'œil, et aux costumes allégoriques de Jorge Jara. Seulement voilà : Jean-Louis Grinda n'exploite pas son idée de départ, se contentant d'une direction d'acteurs conventionnelle et parfois confuse. (Christian Merlin)

Eh bien, ça promet ! Pour l'inoubliable Françoise, on n'a pas trouvé aussi réac, mais on a quand même voulu respecter les traditions locales : un fils de, c'est toujours ça de pris... Charles Tordjman, père de Vincent, est en effet l'homme tout-puissant du théâtre en Lorraine : ancien directeur du théâtre de la Manufacture (CDN de Nancy), il est resté directeur du Festival Passages, qui vient de s'installer... à Metz ! Un peu de népotisme n'a jamais nui à personne...
La seule chose un peu intéressante dans tout ça, c'est la production coproduite avec Nancy (autrement dit produite par Nancy), puisque le metteur en scène de L'Italienne à Alger sera David Hermann, honorablement connu notamment pour son travail à Bâle : on pourra donc espérer quelque chose d'un tant soit peu vivant...
Cela dit, l'étonnant dans tout cela, c'est que l'Opéra de Nancy, le plus petit des Opéras Nationaux, semble lui-même un peu en crise : certes, il y a ce Rossini, certes, il y a un Rake's Progress mis en scène par Carlos Wagner, mais pour le reste la programmation lyrique nancéienne se limite à une Chauve-Souris, pas forcément mal mise en scène cela dit et une niaiserie puccinienne (La Rondine), ainsi qu'une création en coproduction avec La Fenice, ce qui n'est pas nécessairement une recommandation...


Tous les épisodes du feuilleton Opéra de Metz

8 commentaires:

  1. C'est rigolo, cet article m'attire des visites en provenance du forum http://classik.forumactif.com/, où je n'ai pas eu que de bonnes expériences (un jour, je ferai l'histoire des forums lyriques...). Enfin, bienvenue aux amis, et aux autres aussi - profitez de l'occasion pour vous abonner à ce blog [là, en haut, à droite] qui vous sera vite, j'en suis sûr, indispensable, au moins autant que votre collection intégrale des opéras de Meyerbeer...

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  2. Bonjour,

    Je voudrais savoir si vous avez assisté à une représentation de Françoise de Rimini ? Il semblerait que la représentation de vendredi se soit terminée sous les huées et les insultes.

    Bien que je ne partage pas votre avis sur l'intérêt d'une intégrale Meyerbeer, je dois bien avouer que la représentation de mardi était pathétique...

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  3. Oui, j'ai vu... En effet, il y a eu quelques cris à la fin, mais surtout des applaudissements très, très mous et beaucoup de départs aux entractes, si bien qu'il ne devait pas rester plus d'une demi-salle à la fin, invités compris...
    Et bien sûr, oui, représentation pathétique: il ne suffit pas d'être le fils de Charles Tordjman pour savoir faire une mise en scène !

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  4. au sujet de "l'auberge du cheval blanc " à metz. Comment peut-on rater une opérette à ce point ?

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  5. Ah, je l'ai ratée pour ma part encore plus, puisque je n'y étais pas. J'ai du mal à croire que cette opérette, que j'ai vue en Allemagne il y a quelques années, puisse donner un très bon spectacle, mais c'est sûr que le côté cheap des productions messines ne doit pas arranger les choses (et maitenant La Juive, paraît-il?) !

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  6. Pour information: Le "Faust" présenté en Juin et mis en scène dans cette production en 2009 par Paul-Emile Fourny (Actuel directeur artistique) a été programmé par Eric Chevalier (directeur sortant).

    "mais voilà déjà la poussière de son successeur Paul-Emile Fourny, qui s'invite lui-même avec la production de Faust qui a déjà été montrée un peu partout (elle doit avoir pas loin de 10 ans)"

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  7. Voilà le problème du lyrique en France : les jugements faciles et les idées toutes faites pour être dans l'air du temps, cet égoïsme petit et bien parisianiste, cette façon dédaigneuse, bobo et méprisante de cracher sur les styles d'ouvrages qu'une intelligentsia au pouvoir a déclarés "ringards", ce ton employé pour déjà commencer à critiquer un nouveau directeur qui n'a même pas encore eu le temps de montrer sa vision des choses, et de plus en l'attaquant sur une mise en scène (où est le rapport ?).
    A ce propos, comme quelqu'un d'autre vous l'a signalé, il ne s'est pas "invité lui même", mais il a été programmé par Eric Chevalier bien avant qu'on le désigne comme son successeur, votre info apparaît donc diffamatoire.
    Au départ, je me suis dit, voilà un post intéressant, le titre est alléchant ! En définitive, on n'y trouve qu'une critique systématiquement négative et ironique de la salle messine, et l'on comprend très vite que vos préférences vont à Nancy, où même la production de la Chauve-Souris trouve grâce à vos yeux !
    Mais entre critiquer et insulter, il y a une limite, et votre intro comparant Metz à la France de Marine le Pen franchit cette limite. Comment osez-vous écrire ce genre de vomi ? Pour qui vous prenez-vous pour juger toute une ville de la sorte ? C'est encore pire que du Le Pen.
    "Un regard acide et indépendant", tu parles, une vision étriquée et partiale, oui. C'est juste...minable.

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  8. Vous m'avez décidément très mal lu, la colère n'étant visiblement pas très bonne conseillère... Je ne vais pas le répéter chaque fois que je parle de Metz, mais figurez-vous que le parisianiste snob et blasé que je suis y habite, et même y a passé les 18 premières années de sa vie avant d'y revenir ses études faites...
    Ensuite, je ne compare pas la ville de Metz à la France de Mme Le Pen, je compare la programmation de l'Opéra-Théâtre de Metz à ce que serait la politique culturelle de Mme Le Pen (dites-moi ce qui ne correspondrait pas au tableau, à part le Brecht importé de Thionville?). Metz est ma ville, que j'ai bien des raisons par ailleurs d'aimer - autant que vous...
    Ensuite, je n'ai pas tant d'avis que cela sur l'opéra de Nancy, où je vais finalement très rarement. Je n'ai en particulier pas vu cette Chauve-Souris, sur laquelle je n'ai donc pas d'avis : celle dont je parlais ailleurs est à voir à Augsbourg, où elle a du reste tout autant choqué une partie du public. La description que je fais ici de la saison en cours à Nancy n'est d'ailleurs pas spécialement positive.
    Enfin, je voudrais tout de même souligner que la crise à l'Opéra de Metz, je n'y suis pour rien, mais qu'elle est là quand même. Quand une maison de ce genre voit son nombre d'abonnés divisé par deux en quelques années, c'est quand même qu'il y a un problème, et ce n'est pas en prenant des pincettes qu'on va affronter ce qui ne va pas. M. Fourny n'est pas un perdreau de l'année, on peut facilement avoir une petite idée de ce qu'il va faire ; bref, j'avais déjà expliqué mon point de vue.
    Sur le fond, bien sûr que je pense qu'il faut sauver l'Opéra-Théâtre à Metz ; mais je ne crois pas qu'on soit sur la bonne voie. Si la tutelle a viré Chevalier, ce n'est malheureusement pas parce que l'institution fait partie de ses priorités, mais parce que la catastrophe prenait des proportions ingérables ; si la crise perdure, si par exemple les résultats obtenus par Fourny ne permettent pas de la convaincre de restaurer le bâtiment qui en a un besoin criant, je crains le pire, et ce n'est pas une fusion avec Nancy qui résoudra tout d'un coup tous les problèmes.

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