mardi 26 juillet 2011

Provinces

C’est amusant, mon récent article sur l’Opéra de Metz a attiré sur ce modeste blog l’attention pas nécessairement aimable de membres de deux de ces forums musicaux dont j’ai eu l’honneur d’être membre et l’honneur de m’en faire virer (je vous raconterai ça un de ces jours), ODB et classik.forumactif.com (ne me demandez pas pourquoi « classik », c’est certes ridicule mais je n’y suis pour rien), qui m'accuse d'un crime incroyable, celui de ne jamais avoir entendu une note d'Ambroise Thomas (ce qui est, malheureusement, faux, et je le regrette bien). Après tout, c’est peut-être une bonne occasion de réfléchir un peu sur ce que font aujourd’hui les opéras de province et peut-être ce qu’ils devraient faire. Le sujet est vaste, je vais donc me limiter à quelques points essentiels.


1. Fusion, vous avez dit fusion ?
Le monde lyrique français est plein de rumeurs sur des fusions d’opéras en cours, dont celle désormais probable de Metz et de Nancy. Le problème des fusions en France, c’est qu’il y en a une qui a marché, celle créant l’Opéra National du Rhin, qui permet de présenter des productions dans les trois principales villes d’Alsace, la capitale Strasbourg, la riche Colmar et la peuplée Mulhouse. Alors, on a dû se dire que ça marcherait partout. Or d’une part les choses ne sont pas si simples (l’ONR se bat ainsi avec deux orchestres, parce qu’il ne fallait pas priver – et c’est légitime – Mulhouse de tout son personnel artistique, mais l’intégration de l’orchestre dans la même structure que l’opéra me paraît indispensable pour une saine gestion), d’autre part on a aussi l’exemple contraire d’une fusion qui ne marche pas, celles d’Angers et de Nantes, qui propose la saison prochaine pas moins de 4 opéras (nous avons bien dit QUATRE), et ce dans l’une des plus grandes villes de France : on ne voit pas bien quels sont ici les bénéfices de la mutualisation.
Le monde de la culture est merveilleux : il y a eu une mode des fusions d’entreprises, qui est l’une des nombreuses raisons ou manifestations de l’horreur économique actuelle ; comme ça n’a pas marché dans le monde des entreprises, on s’est dit qu’on allait faire pareil avec la culture, parce qu’il n’y a pas de raison que ce qui a raté une fois ne rate pas une seconde fois. La Versaillaise pur sucre Valérie Pécresse en a fait son obsession pour les universités sans qu’on comprenne très bien pourquoi, donc on peut bien le faire aussi pour les opéras. Ma position sur les fusions est très simple : je ne suis ni pour, ni contre. Je crois qu’on peut poser comme principe que toute fusion destinée à économiser de l’argent est destinée à l’échec, parce qu’on ne donne pas un dynamisme à une institution en lui faisant des misères : par contre, augmenter la quantité de spectacles et de représentations en finançant par des économies d’échelle administratives une extension du budget de production artistique me paraît être un bien meilleur principe.
2. Salles
Je ne suis pas un connaisseur universel des salles d’opéra françaises, mais j’ai vraiment l’impression qu’un des problèmes cruciaux des opéras français est l’inadéquation de ses salles d’opéra. Tout le monde n’a pas eu la chance qu’ont eu bien malgré elles les villes allemandes, celles de devoir repartir à zéro il y a un bon demi-siècle : elles y ont gagné, avec des hauts et des bas, des salles infiniment plus pratiques, plus aérées, plus ouvertes au spectateur que les vieux théâtres à l’italienne que s’était offerts la bourgeoisie du long XIXe siècle.
À cela s’ajoute le fait qu’elles sont souvent trop petites : c’est très bien pour afficher des taux de remplissage record, mais cela veut dire que dès qu’est jouée une œuvre un tant soit peu populaire une partie du public se retrouve tassé à des endroits où il n’entend pas grand-chose et ne voit rien, tandis qu’on peut s’enorgueillir de refuser du monde – quelle belle victoire pour une institution culturelle.
Bien sûr, en France aussi des villes ont construit des salles depuis 1945 : on pourrait ici facilement opposer deux réalisations de ces vingt dernières années, Lyon et Dijon. À Dijon, le choix a été fait de conserver l’ancienne salle tout en construisant une nouvelle salle aussi polyvalente que possible, à la fois salle de concert, salle de spectacle et de tout ce qu’on veut : je n’ai pas vu le résultat, mais j’en entends dire beaucoup de bien, et surtout le principe est idéal (on voit l’erreur qu’a été à Metz la construction de l’Arsenal, remarquable salle de concert certes, mais construite sans installations scéniques, ce qui oblige à construire tout un attirail provisoire à chaque spectacle de danse, tout en interdisant tout spectacle un tant soit peu exigeant scéniquement). À Lyon, des politiques sans cervelle, par peur du risque, ont préféré reconstruire un opéra dans les murs de l’ancien : le résultat est douloureux, parce que l’espace n’était pas du tout adapté aux besoins du monde moderne, et surtout parce qu’ils ont légué à leurs successeurs une salle trop petite pour une ville comme Lyon, limitant d’autant les recettes de billetterie et donc la rentabilité de la maison. Le résultat, c’est trop peu de spectacles différents, trop peu de dates par spectacle, et un Opéra qui apparaît comme une citadelle inatteignable à la plupart des Lyonnais, malheureusement à juste titre.
3. Les choix artistiques
Bien sûr, il est difficile de faire des commentaires généraux tant les situations sont diverses, de la branchitude lilloise au « travail, famille, patrie » des maisons méditerranéennes, mais je vais essayer d’évoquer quelques pistes et quelques préjugés.
Le premier des préjugés, c’est celui des traditions locales qui va de pair avec celui d’un public qui n’accepterait pas les nouvelletés – pour le dire un peu brutalement, « de toute façon, chez nous, on ne connaît que Verdi et Puccini, et les mises en scène modernes, c’est peut-être bien pour Paris, mais le public d’ici, vous savez, il n’y comprend rien » (je ne caricature même pas, c’est ce qu’on lit à longueur d’années sur les forums lyriques) : hypocrisie totale, puisque ceux qui proclament tout cela sont cette caste abjecte des lyricomanes, qui se croient plus connaisseurs que le pékin moyen parce qu’ils ont tous les enregistrements de Tosca mais ne savent que vérifier la conformité de ce qu’ils voient avec ce qu’ils connaissent. Ce public-là, pourtant, il n’y a pas grand-mal à le tuer : ce public réel est l’arbre qui masque les publics potentiels. Il n'y a pas de fatalité à ce que l'opéra n'attire que les rombières et les zozos.
Et on doit bien constater qu'aucune ville française jusqu'à présent n'a fait le choix d'une programmation vraiment audacieuse comme celles de la Monnaie de Bruxelles depuis près de 30 ans, ou que le théâtre de Bâle dont j'ai déjà maintes fois fait l'éloge. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de bon spectacle en France, ou qu'il n'y a aucune place pour ce qui n'est pas "à la pointe". Mais tout de même, c'est quand même incroyable que personne n'ait osé. Lyon est certes en partie un décalque de la Monnaie, mais on y joue aussi les mises en scène terriblement désuètes de Peter Stein, le pape de l'antimodernité théâtrale ; Lille se veut moderne, mais franchement, Laurent Pelly, cela fait un peu rire (je découvre qu'en plus il n'y a même pas d'orchestre permanent, ce qui est parfaitement inconséquent) ; et puis ?
Alors, sans doute que bien des maisons de province sont au moins plus modernes et plus innovantes que l'Opéra de Paris. Mais franchement, ce n'est pas une excuse.
Du point de vue du répertoire, les choses sont bien plus complexes, et sans doute il n'y a guère de maison qui refuse résolument de faire des créations ; mais cela ne suffit pas non plus : regardez la programmation de l'Opéra de Marseille, c'est renversant !
4. Et l'argent ?
Oui, l'argent. Je suis bien sûr que les élus municipaux ou agglomérés de toutes les villes ou communautés d'agglomération de France pleurent sur l'argent qu'ils dépensent pour l'opéra. Ils n'ont pas tort quand le résultat artistique est aussi littéralement nul qu'à Metz (où le précédent directeur, rappelons-le, avait réussi à faire passer en très peu de temps le nombre d'abonnés de 1700 à 900, ou quelque chose comme ça - même le taux de mortalité naturellement élevé du public messin ne suffit pas à l'expliquer). Mais la mauvaise nouvelle, c'est que tout ce bel argent qui pourrait être tellement mieux employé à faire des parkings et des stades de foot est ridiculement insuffisant. Il est insuffisant parce que l’État, au lieu de mener la politique culturelle qu'on attend de lui, se contente de couper les vivres des institutions qui ne dépendent pas directement de lui pour arroser toujours aussi généreusement Paris (la ville envisage d'ailleurs de réduire son propre budget culturel - mais oui, pourquoi se gêner puisque tout vous arrive gratis...), là où les théâtres allemands bénéficient d'une aide beaucoup plus forte du Land où ils sont même quand ils n'en dépendent pas directement.
Mais il est un peu facile, je le sais, de taper systématiquement sur les villes : il y a un problème de tutelle pour les maisons d'opéra, dont l'aire d'influence dépasse largement les villes. Et si on mettait dans le coup les collectivités qui ont la taille critique pour financer les opéras, non pas les désuets départements, mais les régions ?

3 commentaires:

  1. Pascal Gottesmann26/7/11 18:53

    Je vais, et ce n'est pas la première fois sur ce forum, me faire le défenseur de mon opéra municipal de Marseille. Car aligner, pour l'année prochaine : Roméo, Bohème, Trovatore et Flute Enchantée, c'est facile, mais en faire des spectacles alléchants pour des spectateurs avertis, c'est une autre paire de manche. Ce n'est pas dans tous les opéras que l'on peut entendre une ou plusieurs fois par saison : Patrizia Ciofi, Béatrice Uria Monzon, Giuseppe Gipali ou Jean Philippe Lafont et où la saison dernière se sont succédé Olga Borodina, Juan Diego Florez (et oui), Vladimir Galouzine et Roberto Alagna.
    Alors oui les mises en scène sont classiques mais toujours très pro et talentueuses avec des personnes comme Charles Roubaud ou Frédéric Bélier Garcia.Et puis dans une maison comme la notre, où les spectacles ne sont jamais repris, il est impensable de se lancer dans une production coutant excessivement cher en infrastructure et en répétition.
    Enfin, il faut souligner au niveau du financement que celui ci est INTÉGRALEMENT assuré par la ville de Marseille sans aide aucune de l'État, notre opéra n'ayant pas l'heur d'avoir le statut d'opéra national.
    Dernière petite remarque concernant l'opéra de Lyon, faire cottoyer les mises en scène les plus classiques avec les plus contemporaines pour proposer un panel diversifié aux spectateurs me semble être le but à rechercher par tout directeur d'opéra, mais tel ne semble pas être votre avis.

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  2. En ce qui concerne les fusions devant les couts de l'opéra, elles sont inéluctables. Ici e, Belgique, l'Opéra Flamand (Vlaamse Opera) d'Anvers et Gand a été fusionné...en 1981. La même maison présente donc ses productions alternativement à Anvers et Gand. Il n'y a qu'un seul orchestre. Avec des moyens modestes (60 millions d'euros), on arrive à des résultats artistiques enthousiasmants. N'oublions pas que les débuts de Carsen, il y a plus de 20 ans c'était au Vlaamse Opera avec un dialogue des Carmélites, et des cycles Puccini et Janacek que l'on retrouve de part le monde !!!
    A A'dam au DNO, il n'y a pas d'orchestre permanent (pas de tradition lyrique aux Pays-Bas), mais la fosse est assurée alternativement par les orchestres bataves, le niveau est superlatif !

    Pour revenir à la médiocrité des maisons d'opéras française. En effet, à part Lyon, qu'est ce qui vaut le coup ? On peut pointer différents éléments dont une absence de réflexion sur qu'est ce qu'un opéra au XXIéme siècles, ses enjeux, ses perspectives. Sans oublier l'incompétence de leurs directeurs ! Qui connait franchement le répertoire et va écouter les interprètes ? Combien de fois j'ai entendu "La musique française, en dehors de Berlioz et Ravel, il y a quoi ?"...En attendant, on vide les salles à coup de répertoire allemand ou russe. Imaginez que l'Orchestre de Toulouse part en tournée avec QUE du répertoire russe. UN de mes amis, rédacteurs en chef d'une revue espagnole de musique a refusé d'aller à leur concert à Madrid car "du russe, entre Temirkanov et Gergiev c'est pas ce qui manque"...La musique classique en France est gérée avec un amateurisme pitoyable...

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  3. @Pascal : le statut d'opéra national (à peu près inutile, cela dit) est justement conditionné à des critères qui sont à l'inverse de ce que fait Marseille, justement... Et ne parlons pas d'une grille tarifaire qui bat des records de discrimination sociale ! Pour les chanteurs que vous citez, que dire ? De toute facon un opéra idiot reste un opéra idiot, et dans la liste que vous citez il n'y en a pas un pour qui je ferais le déplacement (Lafont n'a plus de voix, et tous ces ténors de grand répertoire...).
    @Pierre-Jean : bien sûr, si j'avais cité des maisons internationales j'aurais immédiatement pensé à Anvers/Gand (mais je ne sais pas si hors Lyon et Paris bcp de maisons francaises disposent de 60 Mio € !). Le DNO a une programmation séduisante, mais je trouve le nombre de spectacles un peu faible, avec en plus beaucoup de vastes coproductions.
    Pour Toulouse, il ne fallait pas engager Sokhiev... Le répertoire des orchestres en tournée est un vaste problème, pas très amusant !

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