J'imagine que, comme moi, vous n'en dormez plus : le monde de la danse est sans dessus dessous depuis qu'il lui a été révélé que Natalia Osipova et Ivan Vassiliev quittent le prestigieux Bolchoi pour intégrer les rangs d'une troupe plus secondaire, le théâtre Mikhailovski de Saint-Pétersbourg, dirigée depuis peu par le chorégraphe espagnol Nacho Duato et surfinancée par un des mafieux que le monde entier envie à la Russie.
Et voilà, c'est sûr : le Bolchoi est blessé, le Bolchoi agonise, le Bolchoi est mort. Maria Alexandrova, Svetlana Zakharova, Svetlana Lunkina, Nikolai Tsiskaridze n'y pourront rien : que sont-ils, ces forçats de l'ombre, face aux jambes en caoutchouc et aux sourires Ultrabrite des deux superstars ?
Bien sûr, même ma mauvaise foi en acier trempé qui fait rêver les meilleurs cadres de l'UMP ne peut suffire à nier que ces deux jeunes stars ont été l'événement de la tournée du Bolchoi au printemps 2011, comme ils obtiennent des triomphes partout où ils passent. Mais il y a au moins deux bonnes raisons de résister à cette déferlante. La première est que le star system est foncièrement injuste, et que quand on en arrive à ce degré d'exaltation, le culte de la personnalité l'emporte inévitablement sur les aspects artistiques, où les stars célébrées ainsi ont forcément des égaux, sinon toujours des supérieurs (il suffit de voir, dans le monde lyrique, à quel point le fait de chanter désormais faux n'entame en rien la popularité de Placido Domingo).
La seconde, plus importante sans doute, est plus proprement artistique. Sans doute, on a rarement vu de pareils phénomènes, capables de tenir des variations infinies sans cesser de se contorsionner et de bondir comme des cabris. Si c'est tout ce qu'on attend de la danse, ma foi, j'imagine que c'est assez excitant. Cette vision de la danse comme une espèce de gymnastique sportive améliorée, où jolis costumes et jolis décors remplacent la salle de sport et les combinaisons Adidas, est assez répandue, particulièrement dans cette importante partie du public de danse qui s'y intéresse avant tout parce qu'il fait lui-même de la danse. Prendre des cours de danse donne certainement, incontestablement, des compétences en matière technique qui auraient de quoi me réduire au silence si j'avais jamais eu la moindre prétention à y connaître quelque chose dans ce domaine.
Il ne s'agit pas pour moi ici de récuser le moins du monde la virtuosité et plus largement l'aspect technique de la danse, a fortiori de la danse classique. Mais la danse classique réduite à la technique, privée de sa colonne vertébrale qu'est la chorégraphie, ce n'est plus que du sport : qu'importe, alors ? Le Bolchoi, en 2008, était venu avec Le Corsaire, vaste fresque chorégraphique, portée par le plaisir de la narration, des personnages, de l'humour, nourrie d'un siècle et demi d'histoire de la danse, portée par un travail en profondeur sur le style de ce ballet (c'est alors que j'avais vu pour la première fois Mlle Osipova, brisant net par son égoïsme de fer l'homogénéité du trio des Odalisques). En 2011, il est venu avec Flammes de Paris, imbécile suite de tableaux colorés destinés uniquement à mettre en valeur les deux zigotos qui l'ont quitté, étendard du révisionnisme historique russe (j'avais déjà développé ce point de vue ici, je n'y reviens pas).
Pour le Bolchoi, le départ de ces deux starlettes immatures, attirées par l'argent et par l'espoir sans doute d'une renommée plus grande encore (probable miroir aux alouettes), n'est pas un mal, au contraire : c'est une chance historique de réfléchir au sens du travail d'une compagnie de danse. Ce faisant, il pourrait faire le chemin inverse de celui accompli par le Mariinsky, son grand rival historique : après avoir mené sous la férule de Sergei Vikharev un admirable travail de retour aux sources du ballet classique qui valait remise en question radicale de l'héritage soviétique, il s'est empressé de revenir à une vision plus immédiatement commerciale, en revenant aux vieilleries inusables qu'il traîne de tournées en tournées, conformément à la politique artistiquement désolante de son inamovible conducator Valery Gergiev. C'est tout le mal que je leur souhaite.
(j'ai failli intituler cet article Bécassine superstar, mais on m'aurait reproché d'être désagréable, ce dont je me garde par dessus tout)
Une distribution d’élite autour de Brenda Rae pour Lulu à Francfort
Il y a 16 heures
Une déclaration solennelle : j'ai aimé l'énergie du couple infernal et l'enthousiasme qu'ils communiquaient au public mais aussi au reste de la troupe.
RépondreSupprimerUne petite râlerie : se déduit du point précédent.
Une pensée en l'air : leur passage sous la houlette de Nuacho Duato devrait être l'épreuve de vérité. S'ils s'en sortent, c'est que leur virtuosité comportait (ou dissimulait, pour ne pas vous prendre à rebrousse-poil) un certain sens artistique.