mercredi 14 mars 2012

Ballet de l'Opéra, quand "aller vers l'avenir" se dit "Tourner en rond"

Brigitte Lefèvre, avant-dernière étape. La saison prochaine du Ballet de l’Opéra de Paris n’a pas à nous offrir de grands événements comme ce qu’ont pu être lors des deux précédentes la venue du Bolchoi (quoi que j’en ai pensé) et la création de La source de Jean-Guillaume Bart. Mais je pense, malgré tout, que je ne m’ennuierai pas trop, du moins en première partie de saison.


Balanchine au pluriel
L’art de composer un programme Balanchine consiste essentiellement à choisir – au minimum – un chef-d’œuvre et un pensum, histoire de ne jamais contenter entièrement l’amateur. Le chef-d’œuvre, c’est bien sûr Agon, qui marque la presque unique tentative de Stravinsky en direction du dodécaphonisme – et sans doute la meilleure de ses musiques pour Balanchine, beaucoup mieux que les pièces néo-classiques des années 30. Une partition chorégraphique élégante, tendue à l’extrême, avec un pas de deux époustouflant. Par contre, comment dire ? Le fils prodigue. Bien sûr, sur le papier, Balanchine, Rouault, Prokofiev… Sauf que Rouault, disons-le franchement, c’est terriblement vieillot ; la narration pseudo-biblique est d’un solide ridicule ; et la partition de Prokofiev s’oublie heureusement très vite. Reste à espérer que Marie-Agnès Gillot reprendra le rôle de la Sirène qu’elle dansait si admirablement lors des représentations précédentes. Reste Sérénade : trou noir pour moi. L’ai-je déjà vu, ce ballet ?

Gillot/Cunningham
Tiens, justement. Marie-Agnès Gillot, côté chorégraphie. Je n’ai à peu près rien vu de ses premiers essais, je réserve donc poliment mon jugement ; ce qui me plaît d’avance, au moins, c’est la musique : Bruckner, Feldman, Ligeti, c’est toujours mieux que Joby Talbot (qui fait la musique des pièces de Wayne McGregor). Et le fait qu’il y ait chœur et orchestre laisse espérer que la pièce de Ligeti soit le magnifique et trop rarement donné Clocks and Clouds.
Le défi qui l’attend avant tout est d’être confrontée à un certain Merce Cunningham : en 1973, il avait créé une pièce pour l’Opéra de Paris sous le titre Un jour ou deux, avec comme il se doit une musique de John Cage. Après avoir aussi pitoyablement raté sa rencontre avec Anne Teresa de Keersmaeker, la troupe peut-elle réussir de pareilles retrouvailles ? Le suspense est extrême.

Don Quichotte

Retour du plus léger des ballets Noureev/Petipa pour les fêtes, avec pas moins de 26 représentations (de façon à achever enfin tous les danseurs – arriveront-ils à mettre à bout Karl Paquette ?). Du zim-boum, des fouettés, de l’humour bon enfant mais assez efficace, ma foi, ça ne titille guère les méninges, mais c’est bien agréable.

Forsythe/Brown

Ça, c’est l’autre spectacle de Noël (je le dis parce que ça ne se voit pas forcément au premier coup d’œil, ça ne sent pas exactement la bûche aux marrons – tant mieux c’est plus léger), et c’est pour moi quelque chose comme l’événement de la saison. Figurez-vous que j’aime bien O zlozony de Trisha Brown, cet étrange objet nocturne, accompagné de la récitation en polonais d’un poème de Miłosz ; je sais que je suis un peu seul sur ce point… Mais évidemment, l’essentiel de la soirée, c’est le retour au répertoire de quelques pièces essentielles créées par William Forsythe pour le Ballet de l’Opéra à plus de dix ans de distance. En 1987, c’était l’éblouissant In the middle, somewhat elevated (redonné récemment à Paris dans le cadre de la soirée Impressing the Czar où Forsythe l’a intégré) ; une bonne décennie plus tard, c’étaient Pas/Parts et Woundwork 1, lors d’une soirée 100 % Forsythe (avec In the middle et The vertiginous thrill), et j’en ai des souvenirs émus : ça, c’était le versant contemporain du Ballet de l’Opéra comme on l’aime, et comme on aimerait bien le retrouver. Eleonora Abbagnato chez Forsythe, c’était un choc…

Ballet Preljocaj

Les invitations de compagnies au mois de janvier sont une des vieilles traditions de l’Opéra, alternant grandes compagnies internationales et spectacles plus… secondaires. Comme avec le Béjart Ballet, qui se produit de toute façon toutes les cinq minutes à Paris et banlieue, on se trouve ici dans la seconde configuration – au moins, pour Béjart, on avait l’Intercontemporain jouant Boulez (ça occupe, quand la chorégraphie est plate) ; cette fois, c’est Stockhausen enregistré (je n’ai pas le temps de vous dire ici à quel point Stockhausen est un compositeur de second ordre par rapport à Boulez, hors quelques œuvres des années 50). Je n’oublie rien des meilleures œuvres de Preljocaj, mais malheureusement pas non plus les plus médiocres qui ont pullulé ces dernières années. On verra bien – je ne m’inclus pas nécessairement dans ce on…

Kaguyahime

Ou plutôt Kaguyahimé, puisqu’on a gagné un accent dans cette reprise. On a aussi gagné le transfert de ce ballet à Garnier, puisqu’il était terriblement perdu à Bastille. Disons-le franchement, je n’ai pas une envie folle de revoir ce ballet – alors que je rêverais de revoir les pièces courtes de Kylian, de Petite mort à Doux mensonges. C’est peut-être injuste, parce que la version très figée qui existe en DVD tout comme les représentations de Bastille ont fait beaucoup de mal à ma perception de ce ballet. Soyons bons, donnons-lui une chance.

Soirée Roland Petit

C’est sympathique, Roland Petit. Parfois très mauvais, souvent très agréable : ici, c’est plutôt le versant agréable de Roland Petit qui nous est offert. Le programme est le même qu’une soirée récente, sinon que Le jeune homme et la mort est remplacé par Carmen, ce qui me soulage (il y a tout de même un nombre maximum de représentations du Jeune homme par décennie à ne pas dépasser sous peine d’overdose). Le Rendez-vous, si je me souviens bien, c’est sympathique, alors que Le loup était un peu ridicule, je crois. Ou l’inverse ?

Troisième Symphonie de Gustav Mahler

J’aime beaucoup Mahler, beaucoup John Neumeier, mais ce grand machin-là ne m’a pas vraiment convaincu, moins en tout cas que Le chant de la terre version McMillan dont j’ai parlé récemment. Là encore, le trop vaste espace de Bastille est peut-être en partie en cause, mais il n’y a pas de rédemption cette fois-ci : on reste à Bastille.

Béjart/Nijinsky/Robbins/Cherkaoui
C’est un peu embêtant, ce spectacle : dans l’ordre, une daube patinée par le temps, un monument historique poussiéreux, un très beau duo et une création d’un chorégraphe que j’ai plutôt tendance à éviter. Soit dans l’ordre :
  • un des pires ballets de Béjart, et ce n’est pas peu dire ; toujours ce côté terroriste et mystique qui m’agace le plus chez lui, qui plus est sur une des plus belles partitions de Stravinsky, L’oiseau de feu (heureusement qu’il ne massacre que la suite de concert, qui ne fait que la moitié environ de la partition complète). Costumes et maquillage atroces.
  • L’après-midi d’un faune, version Nijinsky, une des pièces les plus oubliables de ce qu’on a conservé des Ballets Russes : si on me recolle Émilie Cozette et l’imbuvable Bélingard – avec ses mines, là – je fais un esclandre.
  • Afternoon of a faun, version presque abstraite du précédent par Jerome Robbins, une merveilleuse de délicatesse. Là encore, souvenir éternel d’Abbagnato (c’est sa fête).
  • Et puis Cherkaoui, le moins intéressant des chorégraphes issus de l’incroyable école belge, sentimental et bien-pensant. Et on met Marina Abramovic, icône de l’art contemporain, pour faire chic, et le Boléro parce qu’on parle au peuple, là, faut pas faire compliqué. Puis-je acheter un billet pour la 3e pièce uniquement, s’il vous plaît ?
La Sylphide

Non, mais il ne faut croire, il y a du classique au Ballet de l’Opéra. Deux ballets en tout et pour tout, mais il y a au moins une raison de ne pas se plaindre : au moins, cette saison, aucun n'a été vu et revu ces dernières années, et tous les deux ont des charmes solides. Si Don Quichotte est un divertissement pur, La Sylphide vaut encore beaucoup plus. C'est sans doute la plus belle de toutes les tentatives de Pierre Lacotte pour faire revivre le répertoire romantique français, et si c'est moins spectaculaire que Le corsaire façon Bolchoi (que j'adore aussi, vivement le DVD), ça dit aussi beaucoup de choses sur ce monde que nous ne connaissons jamais que de façon indirecte. Et il y a des rôles pour nos petites préférées qui montent...

Signes

Signes ? Vous voulez vraiment dire Signes ? Le truc de Carolyn Carlson, là, avec sa musique imbuvable ? Tous aux abris, alors : Signes revient. C'est un peu comme le Falstaff monté par Dominique Pitoiset dont je parlais dans le message précédent : le rossignol poussiéreux qu'on croyait définitivement hors jeu, mais que "La" Brigitte a l'idée soudaine de ressusciter. Un peu comme Raymonda il y a quelques saisons : un petit tour de piste, et hop, production à la poubelle une fois qu'on s'est convaincu que ce n'est vraiment plus possible. Encore que la production dans son aspect matériel n'a pas mérité ça : les décors d'Olivier Debré, bon chic bon genre, sont encore ce qu'il y a de mieux là-dedans. Surtout, n'investissez pas dans cette production, même si vous souhaitez la revoir : ce sera tellement vide qu'on vous suppliera de vous replacer au parterre.


Les zakouski de l’École de danse

Attention, il va y avoir du sang : pour fêter je ne sais quel anniversaire douteux, l’École de danse présente en lieu et place de son traditionnel spectacle une série de représentations qui vont rendre les places rares et chères. Toujours 4 représentations en tout, mais seulement deux représentations classiques ; pour la première, il y aura non seulement le défilé du ballet, mais encore une création spéciale de Pierre Lacotte pour célébrer l'école française ; et la dernière sera un gala composé de la moitié du programme précédent et d'un assez mystérieux "gala des écoles de danse du XXIe siècle". Le spectacle lui-même n'est pas sans attrait, à défaut de programmer véritablement une sensation chorégraphique.
Puisqu'on en est à la jeunesse, il y aura aussi un spectacle "Jeunes chorégraphes", dédié aux créations des membres du ballet : c'est toujours sympathique, mais on peut je crois encore attendre un moment avant qu'un véritable chorégraphe, avec une vraie personnalité, n'émerge réellement de cette troupe trop gentille...

à suivre : Pleyel, Londres, Munich...

2 commentaires:

  1. Pascal Gottesmann14/3/12 14:52

    Prejlokaj-Stockausen ce doit être Helicopter : une vieille création de Prejlokaj que j'ai vue il y a environ 10 ans où la musique, enregistrée, est jouée par un trio de violoncelles embarqués dans un Hélicoptère en marche, d'où le bruit du moteur et des pales se superposant à celui de la musique. Pour mes jeunes oreilles de 13-14 ans cela a constitué l'un des plus beaux mal de crâne de ma vie.
    Sinon le ballet est très bien.

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  2. Je partage rarement vos (dé)goûts (par exemple, j'ai hâte d'assister à Signes que je n'ai jamais vu qu'en DVD), mais là, je dois bien dire que la composition du programme Balanchine m'a bien fait rire. C'était aussi le cas lorsque le New York City Ballet était venu (si vous avez assisté aux quatre programmes, vous avez forcément vu Sérénade, des espèces de Willis guerrière en tutus romantiques bleus)... Et Eleonora Abbagnato dans Forsythe et Afternoon of a faune, quelle chance ! C'est une des plus grosses bourdes de l'opéra de Paris de ne pas l'avoir nommée étoile pour la retenir... J'espère qu'on la reverra cette prochaine saison, et pas seulement dans Roland Petit.

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