vendredi 16 mars 2012

Tour d'Europe des saisons 2012/2013 - 1

Cette nouvelle édition du feuilleton de la publication des nouvelles saisons par les maisons d'opéra est, je trouve, particulièrement précoce ; cela fait quelques années que l'Opéra de Paris publie sa saison vers le 15 mars, mais voilà que d'autres maisons s'y mettent aussi.

Traditionnellement, la première maison à dégainer est De Nederlandse Opera à Amsterdam, souvent dès la fin février. On me trouvera peut-être bien délicat, mais j'avoue ne pas avoir pris beaucoup de plaisir à lire ce nouvel épisode - dommage, j'aurais volontiers saisi le prétexte de retourner aux Pays-Bas. J'ai une grande estime pour Pierre Audi, le directeur de l'institution, qui ne s'étend hélas pas au metteur en scène Pierre Audi, ce qui retire chaque année un peu d'intérêt à l'ensemble (les Parisiens ont pu voir de sa main un Zoroastre terriblement statique à l'Opéra-Comique). Il y a certes une rareté absolue, Le chercheur de trésors de Franz Schreker, mais je peine à m'intéresser à cette longue procession des opéras du début du siècle réalisés par des compositeurs rétifs à la modernité (déjà, La ville morte qu'on nous présente comme un chef-d’œuvre...). Bravo pour l'effort, donc, mais sans moi. Il y a un prometteur opéra contemporain, Written on skin de George Benjamin, créé l'été prochain à Aix et donné aussi à Munich (et un bidule de Michel van der Aa, production locale à éviter) ; pour le reste, Wagner est honoré en son centenaire par la reprise d'un demi-Ring dans la mise en scène de Pierre Audi (sans moi, donc) et par des Maîtres chanteurs beaucoup plus intéressants car mis en scène par David Alden, avec une distribution sympathique qui va devoir faire ses preuves.
Je n'aurais rien contre un Guillaume Tell de Rossini, que je n'ai vu qu'une fois à Bastille, mais l'obstacle Pierre Audi joue à nouveau ; il y a une nouvelle Flûte enchantée mise en scène par Simon McBurney ou une production de Mort à Venise (qui n'est pas mon Britten préféré), et si j'étais à Amsterdam, je ne me priverais pas ; mais n'étant justement pas à Amsterdam, je m'en passerai d'autant plus volontiers que la salle de l'Opéra (Het Muziektheater) n'est pas très agréable, comporte beaucoup de mauvaises places et est finalement très chère.

Deux grandes maisons ont également publié leur programme de façon quasiment simultanée ce mercredi.
Londres tout d'abord, ou du moins le Royal Opera House (l'English National Opera a ses propres pratiques pas forcément très claires en la matière). Disons-le franchement, ce n'est pas très exaltant, ni au niveau des œuvres, ni au niveau des productions. Bien sûr, le Ring présentée en ouverture de saison n'est pas sans intérêt (non pas tant Bryn Terfel, qui est désormais toujours à la peine, que la pléiade des petits et grands rôles qui parsèment les quatre journées), même si la production n'a pas très bonne réputation, et même si toutes les places se sont déjà envolées ; on dit aussi beaucoup de bien du Minotaure de Harrison Birtwistle. Pour le reste, je peine à m'intéresser à ce que je lis : la clique des lyricomanes de base s'enflamme pour La juive de Halévy, malgré un chef zim-boum (Daniel Oren) et une distribution peu exaltante (j'ai déjà subi Brian Hymel dans Rusalka, merci), mais cela reste un épouvantable pensum, une fois (à Bastille) m'a suffi, surtout quand il faut se contenter d'une mise en scène de Laurent Pelly. Les reprises de routine s'enchaînent (le fait d'aligner 4 Rodolfo, 3 Mimì, 2 Musetta et 2 Marcello dans La Bohème est une pratique assez typique, malheureusement). Confier une nouvelle production de Nabucco à Daniele Abbado, fils de, ce n'est pas très sérieux.
Ce qui est beaucoup plus sérieux, en revanche, c'est que la maison a visiblement refusé d'accueillir la production de La Donna del Lago de Rossini qu'elle avait coproduit avec l'Opéra de Paris : on se souvient du désastre ; je ne connais pas John Fulljames, metteur en scène associé au ROH dont les Lyonnais ont pu voir Heute auf Morgen de Schoenberg cet hiver, mais ça peut de toute façon difficilement être pire (est-ce en compensation que le ROH reprend La Rondine montée par Nicolas Joel ?). L'élément le plus intéressant de la saison, finalement, serait l'intriguant Gloriana de Britten, presque inconnu aujourd'hui, qui est remonté pour des raisons de circonstances - l'opéra avait marqué le couronnement d'Elisabeth II en 1953, il marquera donc le 60e anniversaire de l'événement, même si la reine, paraît-il, n'avait pas aimé. Et Richard Jones à la mise en scène, ma foi, on fait pire...

Munich ensuite (et, je vous rassure, enfin) : allez, je vous offre une liste à puces pour l'occasion (tous les détails sur le site de la Bayerische Staatsoper).
  • La saison s'ouvre avec Babylon, une création de Jörg Widmann, un des compositeurs les plus intéressants de sa génération, à défaut d'être franchement un révolutionnaire (enfin, si vous comparez à Mantovani ou Dusapin, c'est un génie absolu - et c'est plutôt mieux, côté germanique, que Wolfgang Rihm). Kent Nagano dans la fosse, Anna Prohaska, Gabriele Schnaut, Willard White sur scène : tout ceci est prometteur, avec deux grandes inquiétudes cependant. Le livret, comme souvent dans les créations contemporaines : un philosophe, carrément, Peter Sloterdijk, de quoi faire sombrer la meilleure musique par excès de sens textuel, comme ont sombré dans la même maison La Tragédie de l'homme de Peter Eötvös (merci Albert Ostermaier) ou Dionysos de Rihm à Salzbourg (merci Rihm lui-même, à l'aide de Nietzsche). Et la mise en scène : La Fura dels Baus, escroquerie technophile.
  • N'exagérons pas, je n'arriverai pas à m'intéresser à une première de Rigoletto, un des Verdi les plus tagada-tsouin-tsouin ; mais une mise en scène d'Arpad Schilling, ça fait quand même un peu envie, il faut dire, et le nom de Patricia Petibon en Gilda intrigue tout de même beaucoup.
  • Beaucoup plus intéressant, c'est Calixto Bieito qui se verra confier une nouvelle production de Boris Godounov, en espérant qu'il réussira mieux à se prémunir contre l'étouffoir à idées que tend à être cette maison un peu trop souvent à mon goût ; musicalement, classe absolue assurée par Kent Nagano, qui avait fait ici une Khovanchtchina sublime.
  • Haro sur les vieilles toiles : Munich offre une dernière chance à sa très vieille mise en scène de Hänsel et Gretel de Humperdinck en décembre, mais elle devra faire place nette au printemps (c'est intelligent, ça, d'offrir cet opéra à un moment où les gens pensent à autre chose qu'à la magie de Noël) à un nouveau spectacle confié à Richard Jones - mais pourra-t-il vraiment être libre quand on sait que la production aura intérêt à pouvoir durer et contenter les familles ?
  • J'aime énormément Simon Boccanegra, et j'aime beaucoup le travail de Dmitri Tcherniakov (vous savez, Macbeth façon Google Earth à Bastille - pas sa meilleure production, mais un spectacle vivant et troublant). La production vient de l'English National Opera où elle n'avait pas été très bien accueillie - si j'ai bien compris, elle avait été jugée trop timorée ; on verra bien, même si la distribution ne m'enchante pas : je ne partage pas l'enthousiasme général pour Mme Stoyanova, qui chante bien mais sans relief, de même que Željko Lučić. Et Bertrand de Billy, mon Dieu !
  • C'est un peu l'inverse pour la dernière nouvelle production, donnée au début du festival d'été : j'aime passionnément Anja Harteros et Jonas Kaufmann, bien sûr - mais Il Trovatore, mon Dieu ! Zim-boum, zim-boum, tagada-tsouin-tsouin ! Et avec Paolo Carignani, qui dans cette même maison avait transformé Nabucco en musique militaire !
  • Pour en finir avec les nouvelles productions, il ne faut pas oublier les jeunes du Studio de l'Opéra de Bavière, qui auront droit à Elégie pour de jeunes amoureux (oui, c'est ma traduction) de Hans Werner Henze, mis en scène par Christiane Pohle : l’œuvre ne va pas aussi haut que les Bassarides, même si elle se passe à la montagne et que les librettistes sont les mêmes, mais ça reste intéressant.
  • En toute fin de festival, enfin, la maison accueille Written on skin de Benjamin, cf. plus haut.
  • Je ne vais évidemment pas vous détailler les reprises, ne serait-ce que parce qu'il y en a une très grosse trentaine, dont beaucoup de Verdi et de Wagner pour leurs anniversaires respectifs : on pourra notamment revoir le Don Carlo de luxe déjà donné cette année (Kaufmann, Harteros, Pape, cette fois avec une Eboli supportable) et le Macbeth très provocant, inabouti et intéressant (lui aussi) de Martin Kušej ; côté Wagner, les 10 grands opéras y passent : le beau Vaisseau fantôme mis en scène par Peter Konwitschny, Lohengrin avec Anja Harteros, le nouveau Ring en cours de construction (les critiques ne sont pas bien tendres pour la mise en scène d'Andreas Kriegenburg, on verra bien), et surtout les derniers Parsifal munichois de Kent Nagano, qui quitte son poste de directeur musical à l'occasion d'un ultime Parsifal le 31 juillet 2013 : dommage qu'on n'y retrouve pas la sublime Angela Denoke en Kundry (et Petra Lang avec ses problèmes d'intonation perpétuels peut inquiéter), mais la distribution des deux séries fait envie, de John Tomlinson à Christopher Ventris en passant par Evgeni Nikitin, Thomas Hampson ou Michael Volle !
  • Le reste, disons-le, a un peu moins de relief ; le baroque est toujours fermement exclu de la scène bavaroise, ce qui est inqualifiable ; on notera tout de même une Jenufa, dans la production trop sage de Barbara Frey, avec la reine Mattila, une reprise de la belle Ariane à Naxos mise en scène par Robert Carsen avec Burkhard Fritz et Adrianne Pieczonka (mais toujours sans Nagano, hélas), et surtout une reprise des magnifiques Dialogues des Carmélites de Poulenc, avec Nagano, et surtout sans Susan Gritton. Cette reprise se laisse d'ailleurs fort bien combiner avec la création de Widmann pour un séjour autour du 1er novembre...
La suite au prochain numéro : sans doute Pleyel et la Cité de la Musique...

2 commentaires:

  1. Le problème d'Amsterdam est Audi...il est poste depuis 24 ans ce qui est une éternité à ce niveau...Avec le temps les idées manquent, mais il y a encore 5/6 ans la même saison on avait la crème de la crème des metteurs en scène : Sellars, Wilson, Chéreau, Kusej,...
    Le second prblm est ses mises en scène, d'autant plus qu'il se garde que les gros trucs et en gros assure 1/4 de la saison. Cependant son Ring est assurément son meilleur spectacle...Certes ce n'est pas une relecture, mais une lecture très littérale avec des flammes et des monstres, mais cela marche du feu du diable et c'est spéctaculaire. Le Crépuscule des Dieux mérite le déplacement par sa dimension épique et grandiose. autre argument, c'est superbement dirigé par Haenchen

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  2. C'est vrai que ça ne va pas en s'améliorant... J'ai vraiment de gros problèmes avec ses spectacles ; peut-être le Ring est-il meilleur, mais avec la profusion de Ring à venir je crains tout de même un peu, même si en effet Haenchen est un argument très fort - merci d'ailleurs à Mortier de l'avoir fait découvrir à Paris, c'était autre chose que Jordan !

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