mardi 29 juin 2010

A quoi sert la mise en scène (6) - La fille de la flaque d'eau

Eh oui, c'est comme ça à l'Opéra de Paris : on ne peut plus se payer une vraie dame, et quant à un Lac, mon Dieu, à quoi rêvez-vous* ? Les productions d'opéras sérieux de Rossini ou de ses contemporains belcantistes sont rares sur les scènes parisiennes, alors que Gerard Mortier avait eu l'audace de monter L'elisir d'amore, cette pochade désespérément vide ; par malheur, il faut cette fois que ce soit Nicolas Joel qui ait la bonne idée de tenter une résurrection scénique, celle de La Donna del Lago, et ce quatre ans après la précédente tentative - Semiramide au Théâtre des Champs-Elysées - qui s'était achevée par le naufrage d'une mise en scène ridicule que j'avais eu la bonne idée de ne pas m'infliger.

Ce spectacle n'est pas un ratage, et Nicolas Joel n'est pas malchanceux ou simplement incompétent : c'est un manifeste, Nicolas Joel sait parfaitement ce qu'il fait, et c'est bien cela qui est grave. Le spectacle de Lluis Pasqual ne mérite pas qu'on s'y attarde, si ce n'est pour remarquer que, si on avait déjà eu quelques doutes sur le talent actuel du metteur en scène, on peut lui accorder quelques circonstances atténuantes : le décorateur Ezio Frigerio ne déclare-t-il pas qu'il n'a pas l'habitude de concevoir le décor en collaboration avec le metteur en scène et qu'il n'avait pas l'intention de changer à son âge ? On avait bien remarqué, lors de la Mireille de sinistre mémoire, que ses décors semblaient indifférents aux besoins du théâtre : tant qu'à faire, autant en avoir la confirmation de la bouche du coupable... Il faut d'ailleurs un certain temps pour se rendre compte qu'à certains moments du spectacle le décor bouge : on devine que M. Frigerio a eu l'intuition qu'il faudrait quand même individualiser les différents tableaux, mais son décor quasi-unique est si pesant qu'il ne reste que l'intention.

C'est bien cela qu'il faut souligner : si cette production a reçu un accueil aussi négatif, ce n'est pas parce que c'est une mise en scène classique, c'est parce que c'est une mise en scène ridicule. Je vois suffisamment de danse classique pour savoir apprécier aussi la toile peinte ; il aurait suffit de quelques toiles peintes donnant des atmosphères différentes, marquant d'une certaine façon le passage du temps, pour rendre le spectacle un peu plus supportable, et sans doute Lluís Pasqual aurait-il pu revenir sur sa grève du zèle pour esquisser une forme de direction d'acteurs. Mais non, Frigerio a choisi cette architecture énorme, très certainement coûteuse, pour la plus grande douleur des spectateurs et des contribuables.
Joyce di Donato et le fameux pupitre, sur la fameuse trappe, avec ces fameuses projections censément marines

Du coup, le commentateur désespéré n'a rien de mieux à faire que de recenser les éléments les plus ridicules du spectacle. Dès le début du spectacle, on est gâtés : l'"esquif" du début de l'opéra, qui sort d'une trappe au beau milieu de la scène, a un potentiel de ridicule déjà considérable, mais la projection de motifs de vagues pour signaler qu'on est sur l'eau vient faire exploser ce ridicule : on espère que la production sera filmée, elle a tout pour devenir ce qu'on appelle culte dans certains milieux. Il est important de savoir également que de la même trappe sort tout un attirail qui constitue l'élément le plus vivant du spectacle : outre le pupitre qui apparaît à la fin du rondo final, il faut absolument mentionner le rocher qui n'a d'autre fonction que de permettre aux chanteuses de s'installer confortablement pour chanter : voilà un décorateur qui songe au confort de ses chanteurs, comme c'est bien !

Au chapitre du ridicule, il faudrait aussi mentionner les danses (les danseurs ont renoncé à venir saluer parce qu'ils prenaient les huées méritées par la production) et les costumes de Franca Squarciapino : je suis sûr qu'il y a quelque part au fond d'un obscur département français un modeste artisan qui est le dernier au monde à fabriquer encore des cottes de maille à la main, et c'est pour le soutenir que Nicolas Joel a monté cette production (vous croyiez que c'était pour les chanteurs ? Ah, naïfs que vous êtes), un parfait sujet pour Jean-Pierre Pernaut !

Il faut quand même que je vous parle rapidement des chanteurs, même si tout le monde l'a déjà fait : bien sûr, une belle distribution dominée par Juan Diego Florez, mais tout ce petit monde, sous la baguette professionnelle mais un peu endormie de Roberto Abbado, est lui aussi un peu anesthésié par l'architecture mortifère de M. Frigerio...

Finalement, la critique la plus acérée de ce spectacle vient d'un des chanteurs impliqués dans ce spectacle (vous savez, ces chanteurs qu'on nous décrit volontiers comme hostiles aux metteurs en scène modernes et n'aspirant qu'à pouvoir chanter tranquillement en rang d'oignon ?) : lors de son récital récent au Théâtre des Champs-Elysées, la mezzo a introduit son bis - le rondo de cette même Donna - en disant qu'il serait donné "dans le même staging qu'à l'Opéra" : que reste-t-il à boire à Nicolas Joel de cette coupe dont il a déjà avalé la lie ?

* Cela dit, ça fait déjà longtemps que les nuisibles prétentieux de l'AROP utilisent pour recevoir le séant de leurs "mécènes" des chaises dorées bas de gamme qui sont à un mobilier aristocratique ce qu'est une couronne de galette des Rois aux Joyaux de je ne sais quelle couronne... Au moins, lesdits nuisibles prétentieux ont eu droit à une version scénique réduite pour cause de grève : Eric Woerth, une fois de plus, aura d'une certaine façon rendu service à ses amis riches !


Rossini
La Donna del Lago/ La Dame du Lac

Roberto Abbado                Direction musicale                                                                       
Lluís PasqualMise en scène
Ezio Frigerio Décors
Franca SquarciapinoCostumes

Juan Diego Florez                Giacomo V (Uberto di Snowdon)
Simon Orfila                        Duglas d’Angus
Colin Lee                            Rodrigo di Dhu
Joyce DiDonato                   Elena
Daniela Barcellona               Malcolm Groeme
Diana Axentii                       Albina
Jason Bridges                      Serano
Orchestre et choeur de l’Opéra national de Paris

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4 commentaires:

  1. LOL!
    Mais pourquoi es tu allé voir ce baratin joelien, plutôt que la merveille de Warli à Bruxelles ? Tu pouvais nous faire confiance quand il s'agit des m*des extrêmes quand même :)

    Si Idomeneo était le plus pitoyable spectacle parisien cette saison, La dame du lac est sans doute la pire production de l'année et très probablement de la décennie entière (2001-2010).

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  2. Eh bien, j'ai eu envie de voir cette œuvre, tout simplement, et dans une réalisation musicale au moins correcte.
    Pour le Macbeth de Warlikowski, évidemment que ça m'aurait intéressé en soi, mais pour le coup je ne suis pas très amateur de cette œuvre, contrairement par exemple à Nabucco... et puis on ne peut pas être partout ! Mais rassure-toi, il y a de bonnes chances pour que je me déplace à Berlin l'an prochain pour son Rake's Progress !

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  3. Pascal Gottesmann29/6/10 17:53

    Mais quand comprendra t'on qu'un version concert est parfaite pour apprécier les opéras belcantistes aux intrigues minimalistes compensés par un plaisir vocal de tous les instants. J'ai le souvenir d'une Norma en V.C. à l'opéra de Marseille où la grande June Anderson était sublime à tous les sens du terme dans sa robe aux tons automnals. Une mise en scène dinosaurienne aurait été risible, une mise en scène moderne aurait perturbé mais en V.C. tout étéit parfait. P.S. Ne touchez pas, je vous prie à L'elisir ni à Don Pasquale qui sont de petits chefs d'œuvres sinon on va pas être d'accord du tout.

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  4. Raffaello30/6/10 00:27

    J'ai entendu jadis "La donna del lago" à la Monnaie (ère Foccroulle) – au moins, c'était en version de concert… Ce dimanche, j'ai entendu et vu le bouleversant "Macbeth" dirigé par Paul Daniel et mis en scène par Krzysztof Warlikowski. Toutes les œuvres n'ont pas la même envergure, certes. Ce que la production de la Monnaie dit de "Macbeth" est impressionnant – au sens propre du terme –, tant dans sa dimension scénique que musicale – preuve, s'il en était encore besoin – qu'il est pour le moins stérile d'opposer les deux!

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