Eh non, vous ne verrez plus Laurent Hilaire, ou Kader Belarbi, ou Wilfried Romoli. Au-delà d'un certain âge, il faut croire, un danseur ne vaut plus rien. Hier, ces danseurs étaient géniaux, inoubliables ; aujourd'hui, l'Opéra les met à la retraite, ne les réinvite que pour des rôles sans intérêt (Romoli dans le très convenu Siddharta de Preljocaj, Michael Denard dans différents rôles non dansés) - et le pire : ces danseurs ne semblent pas même se rendre compte qu'ils auraient bien de quoi faire éclater leur talent au-delà de la limite administrative.
Deux spectacles récents à Paris ont fait éclater cette évidence : le talent des danseurs ne s'éteint pas quand leur virtuosité diminue. Le plus médiatique des deux spectacles réunissait une star mondiale, Mikhail Barychnikov, et l'égérie d'un des plus grands chorégraphes du XXe siècle, le Suédois Mats Ek, génie méconnu de la danse contemporaine. Les quelques moments d'Ana Laguna dansant Mats Ek, dans ce spectacle, sont à peu près ce qu'on peut voir de plus accompli dans l'appropriation d'une écriture chorégraphique par un interprète, et ce sans qu'il soit besoin d'une virtuosité spectaculaire qu'Ana Laguna n'a certainement plus. Pour moi qui n'ai jamais vu danser Mikhail Barychnikov au temps de sa splendeur, les pièces qu'il avait commandé pour ce spectacle n'ont en revanche pas été d'un grand secours : la pièce d'Alexander Ratmansky, au moins, a le mérite de la légèreté, tandis que celle du Français Benjamin Millepied, toute entière orientée vers une réflexion sur le passage du temps chez le danseur, se noie dans les clichés - Millepied n'est pas soliste au New York City Ballet pour rien, cette troupe héritière de Balanchine dont la récente tournée parisienne avait frappé par le caractère extrêmement désuet de son répertoire "contemporain".
L'autre spectacle que j'ai eu un grand plaisir à voir récemment est celui de Susanne Linke, chorégraphe contemporaine de Pina Bausch, mais longtemps occultée pour des raisons qu'il ne m'appartient pas d'analyser. J'ai fait une critique détaillée de ce spectacle, je ne vais donc pas y revenir en détail ici : tout au plus faut-il souligner ici une fois de plus quel bonheur donne Susanne Linke au spectateur, du haut de ses 66 ans, avec son tonus inépuisable et surtout cette capacité à faire du moindre mouvement de la main, du moindre frémissement de son visage félin le véhicule d'un kaléidoscope d'émotions. Si on ne sortait pas aussi heureux de ce spectacle, on aurait bien envie de maudire tous ces automates décérébrés dont nous abreuve Brigitte Lefèvre à l'Opéra*...
Des expériences pour faire vivre la danse au-delà des qualités primaires de la jeunesse, il y en a, il y en a eu, on espère qu'il y en aura encore - on pense ici à Pina Bausch, qui avait transmis son Kontakthof "à des messieurs et dames de plus de 65 ans" (un DVD en témoigne), et surtout à Jiří Kylián, qui avait créé à côté de la compagnie principale du Nederlands Dans Theater (NDT I) et de sa compagnie de jeunes danseurs (NDT II) une troupe de danseurs plus âgés et proches de lui, mais l'expérience s'est arrêtée dans des circonstances apparemment peu heureuse (NDT III ; leur dernière pièce, Birthday, est disponible en DVD, mais s'étale à plat ventre dans la facilité, hélas). Mais il y a des moments dans le développement des arts où le soutien institutionnel est indispensable : il a fallu créer un Ballet de l'Opéra bis dans les années 1980 pour imposer la danse contemporaine à l'Opéra de Paris (c'était le GRCOP) ; pourquoi ne pas le faire aujourd'hui - à Paris ou ailleurs - pour ces artistes extraordinaires dont on piétine aujourd'hui le talent quand ils ne s'appellent pas Baryshnikov ?
* Je ne cite pas de noms ici, mais avec un peu de perspicacité, vous les retrouverez ici...
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Une distribution d’élite autour de Brenda Rae pour Lulu à Francfort
Il y a 19 heures
Avant de nous quitter Pina Bausch, nous a laissé une dernière oeuvre, qui sera bientôt, je l'espère, connu de tous et même du grand public:
RépondreSupprimerLa 3eme version de la pièce, "KONTAKTHOF avec des adolescents de plus de 14 ans" est à découvrir dans "LES REVES DANSANTS, sur les pas de Pina Bausch", documentaire poignant, et à soutenir en devenant coproducteur pour sa sortie en France, sur http://www.touscoprod.com/
(vous pourrez y voir la bande-annonce)
et pourquoi pas y consacrer un article?