Massenet, Koechlin, Reynaldo Hahn, Max d'Ollone, tous ces noms dont pas un ne mourra... |
La rengaine est bien connue, elle nous est copieusement resservie ces temps-ci puisque le maître nous a fait la grâce de cesser de nuire il y a cent ans exactement. Et les institutions officielles y vont de leur petit couplet pour tenter de faire progresser la grande œuvre - les malheureux Stéphanois subissent même, ou ont subi, tout un festival sous prétexte que le grand homme a bien dû naître quelque part - ils auraient sans doute préféré Mozart ou Rameau, mais c'était déjà pris, et c'est quand même moins pire que Metz avec le pauvre Ambroise Thomas. Tandis que l'Opéra de Paris s'offre un four mémorable en remontant Manon cette saison - il était difficile, il est vrai, de prévoir que la médiocrité de Coline Serreau et l'état vocal calamiteux de Natalie Dessay seraient en quelque sorte boostés par des crêpages de chignon entre ces deux dames, après avoir eu bien du mal à remplir les deux séries de Werther données successivement, malgré les stars.
Je n'aime pas Massenet. Je n'aime pas ces qualités "si françaises" qu'on attribue à sa musique comme à celle de ses contemporains, cette élégance qui cache des abîmes de vulgarité. Et j'aime encore moins qu'on fasse de ces "qualités" une sorte d'impératif catégorique, qui fait de ceux qui leur résistent une caste de traîtres qui trahissent la bonne cause pour aller se jeter dans les bras de l'Allemagne, de la modernité ("mais enfin, Boulez, personne ne peut écouter ça"), du baroque ("ces illuminés qui tiennent à jouer faux leurs musiques d'enterrement").
Massenet et sa "curieuse maîtrise à satisfaire toutes les niaiseries et le besoin poétique et lyrique des dilettantes à bon marché" (Debussy, 1893), "l'esprit de Faust égorgé par Gounod" (idem), "Hamlet dérangé bien malencontreusement par M. Am. Thomas" (idem), Saint-Saëns, Thomas, d'Indy... Quel diable de besoin avons-nous d'aller ramasser tous les rebuts de l'Opéra de Paris entre Sedan et Verdun, toutes ces créations qui, imposées par le statut de l'Opéra de Paris, tombaient avec la régularité d'une montre suisse, dans l'indifférence générale (et justifiée) du public, quand bien même la presse musicale et officielle, sous le régime du renvoi d'ascenseur, les portait aux nues ?
Le pesant monument à Saint-Saëns à Garnier, pierre tombale d'une génération de musiciens officiels |
Je comprends d'ailleurs en partie l'agacement de ceux qui voudraient voir ressuscité le Grand Opéra de la période précédente, cette première moitié du XIXe siècle dont nous ne connaissons presque rien : non que j'en attende, pour ma part, des merveilles (ce que j'en ai écouté n'a jamais réussi à me captiver), mais leur valeur documentaire sur le goût d'une époque, à défaut, me paraît justifier qu'on fasse quelques efforts.
Nous n'ignorons pas Massenet. Ses grandes œuvres, les seules ou presque à avoir eu du succès en leur temps (et pas si longtemps, d'ailleurs), ne manquent pas à l'affiche : Thaïs, Werther, Manon ne sont pas des raretés et nous donnent déjà une vision de son œuvre qui n'est pas indigne, après tout pas plus partielle que celle que nous avons de l’œuvre d'un Berlioz, où des arbres similaires cachent une forêt de même ampleur. Si Massenet ne suscite pas plus d'engouement, ce n'est pas par ignorance, ce n'est pas un complot des responsables culturels (que j'accuserais plutôt de vouloir nous en fourguer à toute force) : c'est bien parce que le public n'en veut pas. S'il vous plaît, arrêtez de nous ressasser les vieilles lunes du passé.
Deux liens sur Massenet :
-Des extraits (en bas de page) de la correspondance de Tchaikovski, de plus en plus méprisante pour un Massenet qu'il découvre d'abord avec enthousiasme, mais dont il juge vite l'inspiration tarie : Le Cid, "pas particulièrement bon. C'est toujours la même chose" ; Manon, "d'une écoeurante opulence"...
-Un éditorial ridicule de Sylvain Fort pour Forumopera (un des sites moteurs dans l'entreprise de "réhabilitation"), qui joue particulièrement sur le registre moral de ces Français qui n'aiment pas Massenet (parce qu'ils ne s'aiment pas, vous comprenez) et sur la dénonciation d'une ignorance, comme si Massenet, par décret céleste, faisait partie d'un savoir obligatoire. Je rappelle que Sylvain Fort avait été cité dans un article du Monde
Tu as ce talent, je dirais Berliozien, d'attirer les foudres... :) Tu verras bien !
RépondreSupprimerOui, les tubes de Massenet sont dépassés et la tendance de soupçonner ceux qui n'aiment pas Massenet de ne pas être des vrais 'patriotes' - c'est dingue.
TOUTEFOIS tu ne peux pas nier qu'une bonne partie des gens ne partage pas cet avis et ils aiment bien leur Massenet. Pourquoi ne pas satisfaire leur besoin culturel ?
Il est vrai que Manon est un mauvais et vieux opéra, Werther l'est un peu moins (si on oublie Goethe), Le Cid est sans intérêt,... Toutefois, il y a quelques opéras qui peuvent être intéressants : Hérodiade est excellent quand c'est bien monté [Opéra de Flandre l'a prouvé l'année passée], Cendrillon est bien pour les enfants. Ce sont deux exemples. Pourquoi refuser tout en bloc ?
Ensuite, je ne suis évidemment pas d'accord sur Saint-Saëns. Son Samson et Dalila est pour moi le meilleur opéra de cet époque et quand il est monté avec intelligence [c.f. le récent DVD filmé à l'Opéra de Flandre] c'est très passionnant. D'ailleurs cet opéra est une rareté aujourd'hui, ce que je trouve injuste : musicalement c'est mille fois mieux que Manon, Manon qu'on n’arrête pas à produire.
Le problème de ces considérations est AMHA plus politique qu'autre chose : tandis que les uns glorifient ces œuvres (et tacitement la 3e république avec) les autres les rejettent complétement, ce qui n'est pas très justifiable non plus. Enfin... eppur si muove :)
Saint-Saëns mérite en effet mieux que d'être rapproché de Massenet…
SupprimerMassenet est pour moi un compositeur déroutant tant il semble que le répertoire n'en a gardé que ce qu'il y avait de plus fade et inintéressant. Je m'explique : les opéras les plus connus : Manon, Werther ne me plaisent que très modérément tant les quelques beaux airs sont noyés dans de longs tunnels d'un mortel ennui.
RépondreSupprimerMais à côté de ça, on a laissé de côté la délicieuse Cendrillon et surtout le génial Don Quichotte qui possède à mes yeux la plus belle et la plus touchante mort d'opéra qui soit. Pour ces quelques minutes hors du temps où se mêlent la voix de Don Quichotte et celle de son fidèle Sancho, je ne laisserais personne dire que Massenet est un compositeur de second ordre.
Pour une fois j'aurai passé un bon moment avec Massenet en lisant ce texte
RépondreSupprimerLu dans le programme de l'Opéra : "Pour tout amateur de la musique de Massenet, L'Histoire de Manon est cependant le plus beau "quiz" qui se puisse rêver." Tu devrais peut-être essayer de jouer pour t'occuper la prochaine fois.
RépondreSupprimerMes airs préférés du ballet sont ceux tirés de Cendrillon. Et je crois que le fait de l'avoir entendu pour la première fois à Londres a beaucoup joué, tant j'étais contente de retrouver des mélodies françaises là-bas...