vendredi 6 avril 2012

Saison 2012/2013, le charme discret des beaux quartiers

Le Théâtre des Champs-Elysées, un opéra populaire ?

Vous savez, je ne plaisante qu'à peine : devant les évolutions tarifaires de l'Opéra de Paris ces dernières années, l'auguste maison de l'avenue Montaigne, en cette saison centenaire, peut passer pour la salle la plus ouverte de Paris en matière d'opéra (ce qui est dû en partie au fait que les temps sont durs pour une maison qui peine à remplir ses salles, mais chut). Ce qui, bien sûr, n'en fait pas nécessairement la plus confortable, surtout pour les places à bas prix (le parterre, en revanche, offre une place royale pour qui en a les moyens).


La saison centenaire est avant tout marquée du point de vue lyrique par une intéressante trilogie autour de Médée à travers les siècles.
Le plus intéressant des trois spectacles est sans conteste la version de Cherubini montée par Krzysztof Warlikowski, un spectacle importé de La Monnaie où il a déjà connu deux séries de représentations : c'est extrêmement intelligent de la part du TCE de se positionner sur un créneau moderniste et inventif délaissé depuis 2009 par l'Opéra de Paris, et le spectacle n'a suscité que l'enthousiasme quant à ses vertus scéniques. Peut-être vous êtes-vous comme moi mortellement ennuyé lors des dernières représentations parisiennes de l’œuvre - la production, importée de Toulouse (une production Nicolas Joel donc !) et mise en scène par Yannis Kokkos, péchait à bien des égards, mais avant tout parce que le choix avait été fait de recourir à une version italienne qui n'est qu'un indigne tripatouillage qui condamnait le spectacle à l'échec. C'était laid, c'était triste, Anna Caterina Antonacci n'était dirigée ni scéniquement ni musicalement. Merci Nicolas.
Ici, non seulement la production est signée Warlikowski, mais en outre la version française, aux dialogues efficacement et intelligemment réécrits, bénéficie d'une réalisation admirable par Christophe Rousset, qui donne à cette musique l'urgence qui est la condition de la tragédie. La production est taillée sur mesure pour Nadja Michael, une chanteuse parfois agaçante, mais qui campe un monstre tragique qu'on n'est pas près d'oublier. Ce n'est donc qu'une reprise, mais il y a des chances que ce soit le spectacle phare de la saison parisienne.

Passons rapidement sur la plus récente des Médée, celle de Pascal Dusapin d'après Heiner Müller. Inutile de redire à quel point Dusapin, le musicien officiel par excellence, me paraît un compositeur négligeable ; l'intérêt du spectacle sera donc, on l'espère, la chorégraphie de Sasha Waltz, une artiste attachante qui produit des spectacles que j'aimerais souvent un peu moins jolis et un peu plus profonds, mais qui peuvent me séduire tout de même - j'en excepte bien sûr le médiocre Roméo et Juliette que le Ballet de l'Opéra s'apprête à reprendre.

L'autre grande Médée, évidemment, c'est donc celle de Charpentier, et le retour de ce chef-d’œuvre sur les scènes parisiennes, vingt ans après la production de William Christie et Jean-Marie Villégier à l'Opéra-Comique. Chef-d’œuvre musical évidemment, mais aussi œuvre théâtrale formidable grâce à un très bon livret de Thomas Corneille ; mais choix très douteux en ce qui concerne la mise en scène. Pierre Audi, je l'ai déjà souvent écrit, ce n'est déjà pas ma tasse de thé ; mais Jonathan Meese pour les décors, c'est pire encore. Meese, une espèce de peintre illuminé qui réalise avec beaucoup de calcul une espèce d'art brut aux prétentions mammouthesques, avait déjà collaboré avec Audi pour couler Dionysos de Rihm au Festival de Salzbourg en 2010 ; il faudra donc faire avec pour tenter de profiter malgré tout du spectacle.
(c'est une figure intéressante que ce Meese, qui fait partie d'une sorte de quota par lequel la société contemporaine affiche ses ambitions d'avant-garde tout en tenant soigneusement à distance tout ce qui peut la gêner - Le Figaro adore)
Musicalement, j'imagine que Mlle Haïm nuira moins ici que chez Haendel (le spectacle est coproduit avec Lille, d'où ce choix musical regrettable) ; dans la distribution, l'Américaine Michèle Losier aura la lourde tâche de me faire oublier l'immense Stéphanie d'Oustrac, qui avait incarné le rôle dans une série de versions de concert il y a une petite dizaine d'années ; mais autour d'elle, Degout, Naouri, Karthäuser, Dahlin, ce n'est tout de même pas rien.

Parmi les deux autres opéras de la saison, aucun n'est antérieur à Mozart, ce qui est un peu regrettable (un seul opéra "baroque" en une saison au TCE, c'est un peu maigre). La Favorite de Donizetti est une rareté, mais pas de celles qui m'attirent le plus (j'ai déjà vu cette œuvre à Metz il y a près de vingt ans ; c'était - disons - difficile, de quoi dégoûter de l'opéra) ; la production s'annonce plutôt classique, et rien dans la distribution ne permet d'attendre un grand moment. Ce qui, quand on voit le naufrage qu'a été malgré les stars La donna del Lago à Garnier, vaut peut-être mieux : l'espoir fait vivre.

Enfin, retour d'une formule qui gagne avec un Mozart mis en scène par Stéphane Braunschweig et dirigé par Jérémie Rhorer, après un Idoménée très réussi bien que très critiqué. Don Giovanni, à vrai dire, c'est une autre paire de manche, tant la complexité du chef-d’œuvre et la hauteur de nos attentes rend la tâche du metteur en scène d'une décourageante difficulté. La précédente production du TCE (Evelino Pidò/André Engel), en 2006, avait sombré corps et biens, seul un réflexe de dernière minute m'ayant permis d'échapper au désastre ; la nouvelle équipe aurait donc la tâche facile si nous n'étions pas tous pleins du souvenir exaltant de la production de Michael Hanecke à l'Opéra, créée la même année et reprise il y a quelques semaines. Rhorer, excellent mozartien, dirigera une distribution sans grands noms, qu'on ne demande qu'à découvrir (Nahuel di Pierro en Masetto provenant directement de cette dernière reprise de la production Hanecke).

Du côté des concerts, on n'attend guère de renouvellement de la part du TCE, qui propose un peu toujours les mêmes concerts, notamment en matière d'opéras et oratorios baroques : on a donc l'habituel quota de Haendel, une passion de Bach (pas la Saint-Matthieu, ce qui est rare), un Verdi à l'intérêt un peu incertain (restons poli) ; mais quelques-uns sortent du lot : l'Artaserse de Leonardo Vinci, bonne occasion pour se confronter aux séductions toujours efficaces de l'opéra napolitain, qui plus est sans avoir à subir les chanteurs médiocres que réunissent dans ce répertoire Vincent Dumestre ou Antonio Florio - par contre, star system assuré avec Philippe Jaroussy, qui n'est tout de même pas le plus passionnant des contre-ténors ; un Opéra de quat' sous (Brecht/Weill) avec une distribution stimulante (Mark Padmore, John Tomlinson, Felicity Palmer !) ; des Saisons de Haydn par Philippe Herreweghe, un chef beaucoup trop rare à Paris ; et pour finir la saison le War Requiem  de Britten, une oeuvre pas très bien vue en général, mais qui me séduit de plus en plus - Mark Padmore et Hanno Müller-Brachmann, c'est tentant.
Je me passerai en revanche très volontiers d'un Barbier de Séville monté autour de la poupée russe du moment, Julia Lezhneva, virtuose sans âme - en complément, vous aurez droit à l'Ensemble Orchestral de Paris, camouflé désormais en Orchestre de Chambre de Paris... Idem pour Benvenuto Cellini de Berlioz monté par Gergiev avec une troupe 100 % russe - l’œuvre est dispensable, et je fais assez peu confiance à Gergiev pour tenter de trouver véritablement des solutions aux problèmes considérables qu'elle pose. Idem enfin pour la Pénélope de Fauré, vendue autour de Roberto Alagna (prévoyez une assurance annulation) : cette manie de ressusciter tous les flops de l'Opéra de Paris d'il y a un siècle est un peu fatigante.

Si on oublie maintenant les voix (les récitals ne comptent pas, même si le concert d'hommage à Lorraine Hunt, avec Stéphanie d'Oustrac et William Christie, est tenant), la saison ne sort guère des sentiers battus. C'est évidemment le cas pour ce qui concerne les orchestres résidents : l'Orchestre National de France ronronne à merveille entre l'assommant Daniele Gatti et le toujours plus sénile Kurt Masur. Ces deux chefs sont protégés par l'intelligentsia journalistique parisienne : il n'est pas inutile de dire clairement une fois de temps qu'ils sont nuls. Gatti fait un cycle des symphonies de Beethoven (le 457e cycle complet des symphonies de Beethoven à Paris depuis 2001) en les affublant de créations des compositeurs les plus hors jeu du circuit, la ringardise française incarnée (oui, bien sûr, il y a du Mantovani pour finir en beauté), et Masur va trembloter les symphonies et concertos de Brahms. Seul le passionnant David Afkham, déjà souvent loué ici, viendra rompre la monotonie avec un beau programme Ligeti/Beethoven/Prokofiev. Je ne sais pas si les abonnés de l'orchestre vont survivre à Ligeti.
Rien à signaler non plus chez les Viennois, qui ronronnent aussi sans scrupules (à 165 € la 1ère catégorie, on ne vous demande pas des scrupules, on vous demande du bon gros son). Calme plat de même pour les autres orchestres en résidence.
Chez les invités, on retrouvera avec plaisir Mariss Jansons avec son orchestre de la Radio Bavaroise, même si le programme est évitable (la Turangalila-Symphonie de Messiaen, fort indigeste) ; l'Intercontemporain vient avec un beau programme, dont Déserts de Varèse, un des plus grands scandales de l'histoire du TCE (en 1956) ; j'aimerais découvrir tant qu'il est encore temps l'art de Herbert Blomstedt, qui dirige l'un des plus beaux orchestres du monde - le Gustav-Mahler-Jugendorchester - avec Leif Ove Andsnes.

Côté instruments, je ne crois pas utile de commenter le défilé des solistes habituels, où chacun choisira selon son goût (mais Sokolov, Aimard, Repin/Lugansky, Andsnes, c'est quand même autre chose que tous les Fray, Julia Fischer, Renaud Capuçon et autres insipides du matraquage publicitaire, non ?).
Reste donc la danse : dommage que seuls les Russes et Sylvie Guillem aient droit de cité, avec un simple strapontin pour Pina Bausch (son Sacre, certes, mais vendu 89 € en 1ère catégorie avec un simple film en complément...). Chez les Russes, je n'ai toujours pas pu découvrir les pièces de Boris Eifman, mais je ne suis pas sûr que ce soit un vrai manque ; le Mariinsky, lui, tente après tant d'autres de parvenir à la version chorégraphique originale du Sacre du Printemps, ce qui est assez inquiétant, mais la création de Sasha Waltz qui l'accompagne pourrait après tout avoir son charme...

Chez les vieux : l'Opéra-Comique

Vous l'aurez compris, je n'aime pas cette salle si constamment tournée vers un passé poussiéreux, qui, toute fière de proposer des opéras inconnus du grand public, les présente tout couverts de crasse à force de refuser de s'intéresser au monde d'aujourd'hui. Rares sont les spectacles qui, dans cette salle, dépassaient la plus simple médiocrité : seul Didon et Enée mis en scène par Deborah Warner fait exception, et le Pelléas de Stéphane Braunschweig.
Cela dit, la prochaine saison comportera tout de même un événement méritoire, en complément de la Médée du TCE : Charpentier y est en effet à l'honneur avec son David et Jonathas, sublime oratorio biblique confié à William Christie qui n'est jamais meilleur que chez ce compositeur ; surtout, coproduction avec Aix oblige (on n'est pas si bête à Aix, Dieu merci - pas de Lazar !), on recourra enfin à un vrai metteur en scène, Andreas Homoki, un vrai méchant du Regietheater, qui ne réussit certes pas tout ce qu'il fait (minable Tannhäuser au Châtelet il y a longtemps) : les permanentes bleutées du parterre du Comique vont frémir - j'espère.
Du côté du baroque, une seule autre œuvre : Venus and Adonis de Blow ne bénéficie pas du même traitement que la Didon de Purcell, puisqu'on annonce une mise en scène moisie et stérile de l'école de Benjamin Lazar (Louise Moaty, copie conforme). Par contre, ne changeons pas les bonnes habitudes : pour 1 h 20 de musique, vous paierez presque le même prix que pour le Charpentier...
Un spectacle retient mon attention côté danse : on ne possède plus les chorégraphies de Jean-Georges Noverre, acteur décisif dans la mise en forme de l'art chorégraphique, champion du ballet d'action autonome, mais il n'est pas sans intérêt d'essayer d'en comprendre du moins l'esprit : c'est ce que fera Marie-Geneviève Massé, une des spécialistes en la matière.
Ces trois spectacles sont tous situés en décembre et janvier de la prochaine saison. Pour le reste : circulez, il n'y a rien à voir. Monter Ciboulette de Reynaldo Hahn, c'est une insulte à l'intelligence, un manifeste réactionnaire sans ambage ; et quand le texte de présentation de Marouf savetier du Caire d'Henri Rabaud joue sans scrupule sur la nostalgie coloniale et l'orientalisme de bazar, on a vraiment honte que ces imbéciles, Jérôme Deschamps en tête, soient financés sur des deniers publics.

3 commentaires:

  1. La Médée de Charpentier a tenu ses promesses !

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  2. "Monter Ciboulette de Reynaldo Hahn, c'est une insulte à l'intelligence"

    Mais pourquoi tant de haine ? Certes, ce n'est qu'une distraction, mais moins vulgaire que d'autres.

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  3. C'est très simple : l'argent public comme soutien à la culture n'a pas pour mission de financer la somnolence repue de ceux qui ne cherchent que la "distraction". Quant à la vulgarité, il en est de plusieurs sortes...

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