mardi 22 mai 2012

Alcina à Bordeaux, David Alden en terre de France


Ces temps-ci, les amateurs de musique baroque (ou dite telle, à tort, mais ne chipotons pas sur les mots) doivent mettre cap au sud (ou à l'Est, mais je n'aurai pas pu voir le Farnace de l'Opéra du Rhin) : que Bordeaux monte Alcina de Haendel au moment même où Toulouse offre – en coproduction avec… Bordeaux… – Les Indes galantes, c’est une conjonction bien agréable, même pour qui, comme moi, préfère des contrées plus septentrionales. Première étape donc avec la magicienne bordelaise.

Alcina

Même dépaysé, je pouvais me sentir chez moi avec cette Alcina : David Alden, qui met en scène l’œuvre, est un quasi-inconnu à Paris (la seule production qu’on y a vue, un Couronnement de Poppée venu de Munich, n’était de loin pas la meilleure), mais ma longue fréquentation de l’Opéra de Munich, où il était pour ainsi dire en résidence pendant les 13 années de la direction de Peter Jonas, fait de lui l’un des metteurs en scène que je connais le mieux – j’y ai vu 13 de ses productions, dont les ¾ d’un Ring et… quatre opéras de Haendel, dont une Rodelinda qui existe en DVD et que je vous recommande chaleureusement.
Cette Alcina bordelaise n’est sans doute pas sa plus grande réussite haendelienne, peut-être d’ailleurs parce qu’il n’a pas osé, pour un public novice à son art, aller aussi loin  que d’habitude – c’est lui qui le dit, après une première production berlinoise où l'ouverture d'esprit du public berlinois permettait une plus grande liberté de création. Le concept de la mise en scène tel qu’il l’explique dans le programme n’a aucun intérêt – Ruggiero, mal à l’aise devant la perspective de vie trop sage qui s’offre à lui, va tous les jours dans un théâtre désaffecté où lui apparaît Alcina, magicienne-chanteuse ; les autres vont tout faire pour l’arracher à ses illusions et le faire revenir à la vie réelle. Heureusement, le travail de mise en scène ne se limite pas à un concept artificiel et d’ailleurs finalement peu présent, sinon pour justifier ce décor de théâtre, dont les teintes passées répondent à celles du Grand Théâtre ; David Alden a su, à son habitude, creuser assez dans le livret pour tirer les fils conducteurs essentiels : l'animalité, incontrôlable, toujours une menace sur le self-control des personnages, déborde de l'arrière-plan troublant qu'est l'île magique d'Alcina (d'où la pertinence, ici, de la métaphore théâtrale : ce que nous voyons sur scène ne peut exister que parce qu'il y a des coulisses, où se passe - on ne sait trop quoi) ; la normalité comme menace, l'aventure comme échappatoire, mais aussi comme manière de se jeter dans la gueule du loup : qu'est-ce que cette Bradamante, prête à affronter les dangers du saut dans l'inconnu pour ensuite se dégonfler en ménagère aimante ? Tout ceci donne un spectacle varié, qui ne manque pas de divertir, qui ouvre beaucoup de pistes de réflexion - mais qui, disons-le franchement, aurait pu nous perturber un peu plus, quitte à sortir le public le plus traditionnel de sa torpeur.
Le spectacle est malheureusement moins enthousiasmant musicalement, comme on pouvait du reste en partie s’y attendre : je suis un partisan farouche de la polyvalence des orchestres symphoniques, qui devraient apprendre à jouer la musique baroque de façon convaincante ; hélas, si la tentative est louable, l’Orchestre National de Bordeaux s’en montre tristement incapable. C’est du reste d’autant moins une surprise que la direction en a été confiée à Harry Bicket, qui peine comme toujours à animer cette musique et se complaît dans une sorte d’élégance monotone. L’orchestre sonne ainsi lourd, plat, peu mobile : si c’est pour un pareil résultat, il aurait mieux valu recourir à des spécialistes.
La distribution, elle, est très inégale : le principal problème est Anna Christy, qui manque cruellement de souplesse et d’abattage en Morgana – un peu plus d’humour n’aurait pas nui non plus, et une meilleure capacité à s'insérer dans la mise en scène. Elza van den Heever qui chante le rôle-titre n’est pas sans séductions vocales, mais son timbre reste assez passe-partout, et l’ampleur de sa voix semble interdire tout effort expressif – le rôle est d’une terrible difficulté, on l’admet volontiers, mais est-on obligé d’y mettre une si grande voix, déjà à l’aise chez Wagner et Strauss ? 
C’est un peu l’inverse chez Alek Shrader : le timbre manque de séduction, mais la conduite de la voix est souple et la diction présente, ce qui donne un relief bienvenu à un personnage qui en manque souvent. Les deux meilleures de la soirée, sans grande surprise, sont donc deux habituées de ce répertoire. Sonia Prina, d’abord, est une bonne surprise : la voix est toujours séduisante et personnelle, mais les vocalises sont bien mieux tenues que ce qu’on a pu entendre ces dernières années ; sa Bradamante est donc très prenante. L’autre grand plaisir de cette Alcina est la révélation de ces dernières années, cette Isabel Leonard qu’on avait pu entendre, épouvantablement bridée par Emmanuelle Haïm,  en Sesto (Giulio Cesare) à Garnier : je ne trouve pas beaucoup de mérite à ce qu’on a entendu dans la fosse bordelaise, mais du moins ce qui en sort n’empêche pas les chanteurs d’exprimer leur talent – c’est une consolation, pour un spectacle qui manque le triomphe précisément à cause des limites de l’orchestre…

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