lundi 4 juin 2012

Les Indes galantes à Toulouse, paradis à vendre

Billet scandaleusement en retard, mais rassurez-vous, je n’ai pas définitivement renoncé à actualiser ce blog un peu plus régulièrement  
Deux jours après la première d’Alcina à Bordeaux, Toulouse portait sur les fonds baptismaux une nouvelle production d’un autre chef-d’œuvre absolu du siècle des Lumières. Les Indes galantes, en France du moins, n’avaient pas eu les honneurs de la scène depuis la production de l’Opéra de Paris, créée en 1999, reprise jusqu’en 2003 et toujours disponible en DVD.

Les Indes version Eden...


Voir ce chef-d’œuvre n’est jamais inutile, mais il faut bien avouer que cette production-là pouvait difficilement me manquer, tant elle se limite à une sorte de service minimum : Andrei Serban s’était contenté d’une vague mise en place des parties narratives, Blanca Li s’était taillé la part du lion en faisant du remplissage ad libitum dans les divertissements – ils étaient visiblement partis du principe que, l’œuvre n’ayant guère de cohérence, ce n’était pas à eux de faire le boulot des autres. Il en était résulté un spectacle très ennuyeux, que sauvait seule l’extraordinaire musique de Rameau.

Laura Scozzi a choisi le parti inverse : elle a voulu croire à ce tour du monde de l’amour, et s’il faut bien avouer que tout n’est pas réussi, qu’un peu trop d’agitation dans la 4e entrée avait de quoi lasser, que les bonnes intentions affichées (sur le féminisme, le racisme, la drogue) sont d’une générosité qui n’évite pas toujours la naïveté et le truisme, l’audacieuse entreprise est une réussite réjouissante. Il y a bien des crimes en matière de mise en scène lyrique ; le pire est toujours de ne même pas essayer, et il ne s’aggrave que quand on masque cette renonciation sous le masque du divertissement, comme l’avaient fait José Montalvo et Dominique Hervieu pour Les paladins, un des spectacles d’opéra les plus vils que je connaisse (oui, vils).

... Les Indes version McDo
  Laura Scozzi, elle, ne renonce pas au divertissement qui est, depuis leur création, un des moteurs essentiels de ces Indes, et le public toulousain rit de bon cœur ; mais elle veut donner un sens au millefeuille musical et dramatique que constitue cette œuvre dont le livret oscille perpétuellement entre un premier degré bébête et un monde nouveau rêvé par les Lumières. C’est la qualité et le défaut du spectacle : le féminisme, l’hymne écolo, la dénonciation de l’aliénation consumériste sont parfois un peu agaçants, c’est une évidence, mais les évidences sont parfois bonnes à dire, et elles le sont non seulement avec une efficacité certaine, mais également un peu plus de profondeur que certains spectateurs de mauvaise volonté ont voulu le croire. J’avoue avoir été beaucoup ému par le retour, à la fin de l’œuvre – pendant la sublime chaconne conclusive –, par le retour au jardin d’Éden qui avait ouvert le spectacle.
Musicalement aussi, les Indes toulousaines sont plus satisfaisantes que l’Alcina bordelaise : je ne partage pas l’idolâtrie délirante dont Christophe Rousset est entouré par les fous furieux du forum ODB, qui jugent tout artiste au filtre de ses relations avec le maître (même Warlikowski, pour sa Médée bruxelloise, finit par trouver grâce aux yeux de ces réacs mal assumés) ; mais, si ses Haendel du Théâtre des Champs-Élysées avaient frôlé la catastrophe musicale, ces Indes le retrouvent en bien meilleure forme, avec des couleurs plus riches que celles qu’on connaissait par Christie (dont, il faut bien dire, l’enregistrement de l’œuvre en CD ne vaut rien, celui en DVD – la version Blanca Li donc – à peine mieux).
Et puis les Toulousains nous ont offert une assez belle distribution, sans grand point noir (même Nathan Berg, consternant sur le DVD Christie, semble ici chanter en français). L’ensemble est dominé par les dames : tous les hommes sont méritants, mais aucun ne brille, tandis qu’Hélène Guilmette, resplendissante beauté par ailleurs, offre la splendeur de l’évidence (mais que les vrais amateurs de chant français ne s’y trompent pas : elle est canadienne, c’est donc une vile étrangère qui vole le pain des chanteurs frrrrançais et pâtriôtes) ; finies, les stridences un peu gênantes de sa Constance (Dialogues des Carmélites, Munich). Olga Novikova n’est pas tout à fait au même niveau, mais c’est tout de même fort brillant et agréable ; seule Judith van Wanrooij peine un peu plus.

Un autre intérêt de ce spectacle est purement musical, voire musicologique : le Conservatoire de Toulouse possède un manuscrit de 1750 qui a pour particularité de proposer une version presque entièrement différente de la troisième entrée, celle qui se passe en Perse – on y reconnaît l’air « Papillon inconstant » dans une version légèrement différente, mais on y perd entre autres le sublime quatuor « Tendre amour » ; de ce qu’on y entend à la place, rien n’a particulièrement retenu mon attention à l’occasion de cette unique écoute, mais une telle quantité de musique inconnue de Rameau, tout d’un coup, c’est passionnant ! Dommage simplement qu’on nous informe si peu sur ce manuscrit, dont une numérisation intégrale est d’ailleurs disponible en ligne (pas eu le temps d’y jeter un œil avant le spectacle) : sait-on dans quelles circonstances il a été réalisé ? Comment est-il arrivé à Toulouse s’il n’y a pas été réalisé ? Ou y aurait-il eu des représentations à Toulouse à cette période ? Comment est-on sûr que cette nouvelle version est véritablement due à Rameau ? Espérons quoi qu’il en soit qu’un enregistrement radio, voire un DVD, sera réalisé à un moment ou à un autre de la carrière de cette production, coproduite par Bordeaux et Nuremberg (où Laura Scozzi est presque chez elle), mais qui semble devoir aller aussi à Madrid et Barcelone si on en croit le programme (mince et beaucoup trop cher, au passage).

Photos Patrice Nin

2 commentaires:

  1. Pascal Gottesmann5/6/12 11:15

    Petite remarque sur la qualification de vile étrangère canadienne. Les défenseurs de la vieille école chant français incluent dans leurs exemples d'artistes "comme on en trouve plus". Léopold Simoneau et Joseph Rouleau (Canadiens), José Van Dam, Jules Bastin et Michel Trempont (Belges), Hugues Cuénod (Suisse) et même Albert Lance (Australien). Pas d'exemples pour les femmes mais ils doivent exister.
    Donc, au lieu de parler de chant nationalement français, nous devons plutôt parler d'école de chant francophone attachée aux sonorités de cette langue. Ce qui veut dire qu'un chanteur belge, suisse, canadien ou camerounais peut être un ambassadeur de l'école de chant française.

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  2. Bien sûr, bien sûr, ce n'était qu'un peu de malveillance en passant...

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