dimanche 25 novembre 2012

Vertus des métropoles, charmes des provinces


Vous vous souvenez peut-être que je vous avais parlé d’un troll qui venait orner mes messages d’une prose toujours agressive et rarement nourrie de contenu (message aux trolls potentiels : plutôt que de me faire grief des méchantes choses que je dis sur l’Opéra de Paris, dites-moi donc ce qui s’y passe de beau, ça pourra m’instruire, qui sait ?). L’un de ses derniers commentaires m’avait cependant bien amusé : comme je critiquais une grande institution comme l’Opéra en faisant l’éloge de petites institutions comme les théâtres de Bâle ou d’Augsbourg, il m’a accusé de ressasser une « vindicte contre le parisianisme » et d’un éloge partisan de « la province forcément vertueuse ». Et ça, il faut bien dire, ça m’a fait beaucoup rire, parce que je me suis fait traiter pendant des années de parisianiste méprisant la province, par exemple suite à ce que j’écrivais sur le théâtre de Metz (dont je n’ai pas parlé depuis longtemps, d’ailleurs).

La Traviata à Augsbourg (photo Theater Augsburg)
Récemment, je suis allé voir dans mon havre provincial (Augsbourg, en Bavière, pour ceux qui me lisent rarement) La Traviata. C’était une très belle représentation, avec une mise en scène très honorable (Markus Trabusch), une chef à la fois très décidée et très attentive aux chanteurs, ménageant par exemple des pianissimi admirable pour l’héroïne, et une belle distribution dominée par une chanteuse à peine trentenaire et remarquable, Sophia Christine Brommer. J’ai pris à cette représentation un plaisir majuscule, comme vous l’aurez compris ; de même que j’avais pris un plaisir majuscule il y a déjà 5 ans, à Garnier, lorsque Sylvain Cambreling et Christoph Marthaler avaient offert à Christine Schäfer et Jonas Kaufmann le cadre idéal pour leurs talents.

Christine Schäfer, inoubliable Violetta magnifiée et crucifiée par Christoph Marthaler à l'Opéra de Paris
Bien sûr, s’il s’agit de graver ces représentations sur un enregistrement audio ou vidéo, cela va sans dire, c’est le spectacle parisien que je choisirais : d’abord parce qu’en dehors des grandes capitales vous n’entendrez pas Jonas Kaufmann, avec sa voix, mais surtout avec sa musicalité et son intelligence dramatique ; ensuite parce que vous avez dans ce spectacle de grande ville une qualité de fini que vous n’aurez que rarement ailleurs, par le niveau individuel des musiciens d’orchestre, par le temps de répétition, par l’espace artistique évidemment plus vaste dont a disposé Marthaler pour penser et construire son spectacle.
Pourtant, je n’ai certainement pas envie de comparer ces deux spectacles en termes de supériorité, de bons et de mauvais points. Ce ne serait pas forcément un service à rendre à Mlle Brommer que de la parachuter sur une grande scène internationale du jour au lendemain, ni de faire venir Mlle Nordmeyer à la tête d’un grand orchestre ; mais ce n’est pas la question. Ce qu’elles font, ces dames, à l’endroit où elles le font, est remarquable, et cela suffit. Mon plaisir vient peut-être de cet optimum, il vient aussi – et dans le domaine lyrique c’est fondamental – de la taille même d’une scène provinciale comme Augsbourg. Voir de l’opéra dans une petite salle, c’est un confort extraordinaire que toutes les stars du monde ne me feront pas oublier, parce qu’il y a la proximité avec la scène, parce qu’il y a une relation acoustique différente. Il n’y a peut-être que deux ou trois voix qui soient capables de chanter Violetta dans ce monstre qu’est la Bastille, un peu plus pour des salles mieux conçues comme le Royal Opera ou le Nationaltheater de Munich (j’y ai entendu Anja Harteros) ; dans toutes les petites troupes de toutes les villes d’Allemagne, d’Autriche ou d’Europe centrale, combien y en a-t-il, des jeunes ou moins jeunes chanteuses capables de chanter le rôle dans les théâtres où elles sont employées ?
En outre, parlons troupe : je ne vais pas refaire tout le débat sur le mérite et les défauts des troupes. Il y a des défauts, c’est certain, et la même Sophia Brommer dont je vous parlais chante en ce moment aussi Anna dans Don Giovanni avec beaucoup moins de réussite que Violetta. Mais voilà, cette possibilité que j’ai depuis 10 ans de suivre ce théâtre est une des choses qui me passionnent le plus dans mon rapport au théâtre et à l’opéra. Voir évoluer les artistes sur la durée, enregistrer les arrivées et les départs (parce que le travail en troupe, c’est tout sauf un CDI), comprendre comment les intendants successifs construisent une politique et une relation avec le public, c’est incroyablement stimulant, et on voit bien comment ce travail en profondeur crée entre le théâtre et la ville une relation incroyablement plus forte que ce que nous connaissons dans nos villes françaises. Ce qui passe pour moi aussi par des spectacles moins réussis, ou des spectacles qui, en soi, ne m’intéressent pas (je suis même allé voir Les mains sales de Sartre, cette pièce de boulevard déguisée en pièce politique), mais après tout, en échange, j’y ai aussi vu des spectacles sublimes, comme ces Noces de Figaro musicalement et scéniquement géniales dont je vous ai déjà assez parlé.
Certainement, les moyens des grandes villes leur donnent plus d’atouts pour réussir ce qui compte vraiment, ces moments d’exception qui changent votre vie ; mais elles mettent plus de pression sur les équipes, ce qui n’est pas nécessairement bénéfique, et sur les spectateurs, ce qui n’est pas nécessairement agréable (ces moments de tension et d’attente lors des grands événements, cela me plaît de moins en moins !). Les « petites » villes joue ici dans une autre catégorie, et je crois qu’on peut poser comme base minimale d’un accord le principe que du moins une réussite dans une petite maison d’opéra vaut toujours bien mieux qu’un ratage dans une grande, si grande que soit la disproportion des moyens.
Mais je n’entends pas me passer des grandes capitales, Paris ou les autres. Le Festival d’Automne, par exemple, l’Intercontemporain, la multiplicité des salles de concert (là, c’est sûr, ce n’est pas à Augsbourg qu’on trouvera l’équivalent), la variété du répertoire du baroque au contemporain : tout cela, vous ne l’aurez pas ailleurs que dans une grande ville. Selon le bon vieux slogan maoïste, il faut marcher sur ses deux jambes.

3 commentaires:

  1. Pascal Gottesmann26/11/12 14:51

    Une phrase, écrite l'air de rien, me turlupine depuis ce matin. Vous osez quand même qualifier les mains sales de pièce de boulevard. On peut critiquer Sartre en tant que philosophe, avec ses erreurs sur le maoïsme et son influence qui a pu paraitre exagérée. Mais de là à dénigrer l'homme de lettre et à le considérer comme un auteur léger, on croit rêver. Enfin mieux vaut lire ça qu'être aveugle mais le pauvre Sartre a du faire de jolis bonds dans sa tombe.
    Reste à savoir ce que vous considérez comme relevant du théâtre de boulevard. Nos positions seront probablement divergentes tant pour moi, le boulevard implique une qualité d'écriture sans génie (mais non sans savoir faire) et un usage abusif des conventions. À ce titre, Guitry avec son art unique du dialogue et le pessimisme qui teint ses pièces n'est pas un auteur de boulevard, mais vous ne serez probablement pas d'accord.

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  2. Vous savez, il n'y a pas de divinité intouchable en littérature comme ailleurs. Le théâtre de Sartre est terriblement racoleur, ses enjeux sont superficiels, et l'écriture, franchement, ne vaut pas grand-chose ! Cela vaut aussi pour Huis clos, d'ailleurs.

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  3. Pascal Gottesmann26/11/12 19:20

    Je me souviens de Huis clos comme d'un chef d'oeuvre mais ce n'est pas la première fois que nos avis divergent totalement. De plus, racoleur semble être le dernier terme pour qualifier ce théâtre âpre et violent. C'est à croire que nous ne parlons pas du même auteur.

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