mardi 4 décembre 2012

Journal d'automne - octobre/novembre 2012


Je pense que ça va devenir une habitude, avec toutes mes excuses, pendant les périodes de débordement majuscule : quelques notes de journal à défaut de messages plus construits – qui sait, peut-être arriverai-je même un jour à les poster en direct, plutôt que de faire ça un mois plus tard…
5 novembre – Retour de Bavière, après dix jours emplis à ras-bord de musique et de théâtre. Parmi les événements, un magnifique concert de l’Orchestre de la Radio Bavaroise avec Simon Rattle, qui était aussi un chef-d’œuvre de programmation ; un sympathique ballet mozartien à Augsbourg, où – suprise – loin de mépriser leur fonction d’accompagnement comme dans d’autres endroits que je connais, l’orchestre local soigne le gros et le détail, et les solistes qui se chargent de quelques mouvements du quintette pour clarinette nuisent un peu à l’attention due aux danseurs tellement c’est beau. Et puis les retrouvailles avec Dialogues des Carmélites dans la sublime production de Dmitri Tcherniakov, c'est fort, quand même.
Par contre, vous lirez sur Resmusica ma critique de Babylon,la création de Jörg Widmann et du philosophe Peter Sloderdijk : je ne suis pas le seul à m’être morfondu devant l’emphase et la platitude musicale de cette œuvre ambitieuse mais ratée, malgré une très belle distribution. Les amateurs de bande dessinée se souviendront d’un épisode des aventures d’Adèle Blanc-Sec de Tardi, où notre héroïne se rend à une pièce de théâtre à thème babylonien qui s’avère être un affreux mélo à grand spectacle où le décorateur s’est efforcé de caser Pazuzu dans tous les recoins de la scène.
10 novembre – Je n’aime pas beaucoup les nécrologies, mais le décès ces derniers jours de Hans Werner Henze et d’Elliott Carter m’attriste vraiment. Carter, c’était un peu le bon grand-père de la musique contemporaine, loin des guerres claniques ; c’était un de ces cas étranges de grands musiciens dont le génie a pris son temps avant d’éclore, à la façon de Janáček ou de Rameau ; et c’était surtout, dans les dernières décennies de sa longue vie, un musicien d’une subtilité sans égale, avec un travail de miniaturiste qui parlait immédiatement à l’auditeur et menait la vie dure à tous ses collègues programmés en même temps que lui. La dernière fois que j’ai entendu parler de lui comme d’un compositeur vivant et actif, c’était cet été à Salzbourg, où Heinz Holliger a joué une œuvre que Carter lui avait envoyée par fax pour le Nouvel An.
Henze, c’est différent : je connais avant tout ses opéras ; au sein de ses opéras, il y en a un pour moi qui domine tout, et qui domine l’ensemble de l’après-guerre lyrique : Les Bassarides (1965). Que j’avais découvert au Châtelet (feu le Châtelet), puis revu à Munich, en présence d’un Henze déjà bien fatigué. Un modèle de livret, d’une brûlante actualité alors même qu’il s’en tient strictement à l’histoire grecque mythique ; une musique profondément humaine sans rien sacrifier aux « goûts du public »… Dommage qu’il n’en existe pas de DVD pour permettre au plus grand nombre de la découvrir !
13 novembre – Avouez que pour un titre, c’est un bien chouette titre : Quatorze manières de décrire la pluie. C’est un sextuor de Hanns Eisler, musicien attitré de Brecht (plus encore que Weill, qui détestait les prétentions politiques de Brecht) et disciple de Schönberg, et c’est d’ailleurs un cadeau d’anniversaire pour les 70 ans de celui-ci, mais il n’y a pas de quoi avoir peur : il y a de quoi flatter le palais de tout amateur de musique de chambre dans cette délicatesse et ces demi-tons infinis. Je n'ai pas pu voir grand-chose de l'excellent festival musical franco-allemand organisé à Metz par l'Arsenal, mais ça, vraiment, ça valait la peine.
Dommage, au passage, que l'Arsenal ne fasse pas un peu plus de communication au-delà de Metz pour faire connaître son travail : un compte Twitter, par exemple, ça ne coûte pas grand-chose...
30 novembre – Ça commence mal, cette série de Don Quichotte. D’accord, je n’étais pas d’excellente humeur en arrivant à Bastille ; d’accord, j’ai en général mauvais caractère. Toujours est-il que je suis sorti de Bastille encore plus mécontent que j’y étais entré, ce qui n’est pas le but de ce ballet innocent et plein de charme (encore que : outre le prologue qui est vraiment insauvable, j’ai trouvé insupportable la fin de la scène chez les gitans, où Don Quichotte fait des moulinets sur scène pendant une éternité alors que les autres le regardent en se demandant ce qu’il y a à la cantine). Mais ce n’est pas tout : d’abord le couple principal, l’inévitable Pagliero/Paquette : lui en mode automatique, visiblement soucieux avant tout de venir à bout du planning délirant que lui a concocté Mme Lefèvre ; elle décidément scolaire, avec la technique qu’il faut et rien de plus qu’elle, sans brio, sans entrain, sans plaisir. Ensuite les autres solistes : quelle déception que cette Reine des Dryades mal réglée, avec ces pointes qui jouent au marteau-piqueur, alors que la même Héloïse Bourdon avait au printemps livré une étonnante Nikiya dans la Bayadère qui n’était pas digne d’une étoile de l’Opéra de Paris, mais de beaucoup plus que ça ; quel ennui que ce couple Espada/Danseuse des rues strictement limité aux pas qu’on lui prescrit, jamais dans le rôle, n’en faisant jamais trop !


Finalement, le seul bonheur de cette représentation, c’est l’orchestre, qui sous la direction de Kevin Rhodes fait des efforts de dynamisme, de nuances et de couleurs remarquables. Bilan musical positif à l’Opéra de Paris : je ne parle pas du lyrique, mais du ballet ; il y a dix ans, on bondissait au plafond cinquante fois par représentation (avec l’Orchestre de l’Opéra, pas seulement avec Colonne), aujourd’hui, au moins au début des séries, on sent de réels efforts pour bien jouer. Et, vous savez, ça vaut vraiment le coup de jouer bien, même quand on joue Minkus.

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