Il ne doit pas y avoir grand-monde sur l'internet francophone de la musique classique qui ne soit pas au courant de l'intervention du collectif La Barbe lors des présentations de saison de l'Opéra de Paris et de la salle Pleyel, pour dénoncer l'exclusivité masculine des programmes des grandes institutions culturelles. Musicasola, fidèle à ses principes (toujours en retard sur l'actualité !), vous livre ici ses réflexions intempestives sur cet événement d'ampleur internationale.
D'abord, bien sûr, il faut vivement condamner de telles pratiques. Les présentations de saisons, c'est avant tout destiné à un public du 3e âge qui se lasse de faire sa sieste tout seul chez lui, préférant la faire en compagnie. De telles interventions ont pour conséquence néfaste de réveiller en sursaut des personnes âgées, et cela peut être dangereux. D'ailleurs, les membres du collectif se sont fait huer à l'Opéra : évidemment, personne n'est de bonne humeur quand il se fait tirer ainsi de son juste sommeil.
Plus sérieusement, il y a bien sûr des objections réelles à cette action. Ne parlons même pas des compositeurs : on ne peut rattraper des siècles de domination masculine par une décision souveraine, et ce n'est pas en mettant artificiellement en lumière Francesca Caccini ou Alma Mahler qui résoudra quoi que ce soit. Même dans le choix des interprètes, la marge de manœuvre des programmateurs est mince : qui peut me citer ici spontanément 10 femmes chefs d'orchestre ? Même chez les pianistes, où la marge de manœuvre est tout de même beaucoup plus large, la domination masculine reste solide, et on n'a pas vraiment beaucoup plus de choix lorsqu'il s'agit de choisir des metteuses en scène - je verrai fin juin La Cenerentola montée à l'Opéra de Stuttgart par la metteuse en scène en résidence Andrea Moser. Le vivier n'est pas infini, et on peut comprendre que, même sans y mettre de mauvaise volonté, les programmateurs des grandes maisons n'ont pas beaucoup d'autre choix que de reproduire sans cesse cette domination masculine.
Ceci une fois posé, peut-on se satisfaire d'une telle situation ? De toute évidence non. D'abord, la mauvaise volonté de certains est aussi évidente que l'impuissance de la plupart - on ne peut éviter de citer l'Orchestre philharmonique de Vienne, qui certes n'est plus une forteresse imprenable, mais fait tout pour ralentir le mouvement, et de ce point de vue les proclamations pleines de bonnes intentions ne sont pas plus crédibles que les récents efforts pour ouvrir la voie à une exploration du passé nazi de l'orchestre. D'un côté, le président-violoniste de cette association hors norme prétend sans rire que s'il n'avait pas abordé la question de l'engagement nazi de l'orchestre dans son livre de 1992, c'est parce qu'il n'avait pas eu accès aux sources pertinentes ; de l'autre, si les femmes ont un accès égal à l'orchestre, comment expliquer sur les 6 "stagiaires" (membres de l'Orchestre de l'Opéra candidats à l'entrée dans l'association) du moment, il n'y a qu'une seule femme ?
Bien sûr, le cas de ces Viennois mauvais joueurs est un cas extrême, et dans la plupart des grands orchestres les effectifs sont beaucoup plus équilibrés - il y a beaucoup plus de femmes que d'hommes chez les premiers violons du Concergebouw, même si les trois solistes sont des hommes ; par contre, trompette, trombone et percussion y restent des exclusivités masculines. C'est bien le malheur de ce genre de discriminations : on peut s'en prendre au produit fini, mais c'est toute la filière qui est compromise. La discrimination, ça commence à l'école de musique quand on ne va pas inscrire sa petite chérie au cours de tuba, quelles qu'en soient les bonnes ou mauvaises raisons ; et ça continue à toutes les étapes de l'éducation musicale : eh oui, on est bien obligé de comprendre qu'une fille hésite plus qu'un garçon à étudier la direction d'orchestre, quand on voit les perspectives professionnelles qui s'ouvre à eux...
On me dira peut-être que le tableau n'est pas si sombre et que les choses évoluent : c'est évident, c'est incontestable, elles évoluent ; mais à ce rythme-là, on arrivera à 30 % de femmes chez les chefs d'orchestre dans à peu près 200 ans (je ne vous parle même pas de parité). Et cette inégalité profondément ancrée est particulièrement douloureuse dans le monde de la culture : comment la culture peut-elle prétendre être l'âme de la société si elle se maintient ainsi consciemment dans une situation rétrograde que même les groupes sociaux les plus arriérés ont dépassé ?
samedi 30 mars 2013
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