La guerre, pour un pacifiste comme Benjamin Britten, c’est
la grande affaire. Né un an avant la première guerre mondiale, ne participant
pas en tant qu’objecteur de conscience à la seconde, mais profondément
bouleversé par les atrocités que l’après-guerre dévoile, il fait de la commande
d’une grande œuvre chorale pour l’inauguration de la nouvelle cathédrale de
Coventry en 1962 une œuvre profondément personnelle.
Svetlana Ignatovitch (photo Hans Jörg Michel) |
L’idée de départ de Bieito est d’une grande
simplicité : dans un décor unique évoquant le chanter de la cathédrale de Coventry,
entre immenses vitraux et échaffaudages, Bieito oppose deux femmes, l’une
muette, souriante, n’agissant jamais sauf, à la fin, pour apporter des bouquets
sur les tombes des disparus ; l’autre, tour à tour hagarde, éplorée,
compatissante ou cruelle, est incarnée par la soprano Svetlana Ignatovitch, qui
se livre toute entière à son rôle visionnaire. L’une, peut-on penser, est la
paix, l’autre est la guerre. La paix, l’idéal de Britten, a une beauté simple
qui ne masque pas son inaction : de quel secours peut-elle être quand
l’adversaire a la cruauté des nazis ? Nul doute que le Britten de
l’après-guerre, pas plus que Bieito, n’a pu faire l’économie de ce
questionnement. La guerre, elle, est montrée ici comme un paradoxe
incarné : d’un côté, elle frappe, tue, jouit du feu d’artifice des engins
explosifs ; de l’autre, elle déplore, console, promet par l’intermédiaire
du Requiem latin un – illusoire –
repos éternel. Bieito, à qui on a parfois reproché un goût immodéré,
sensationnaliste, pour la violence, sait ici montrer sans avoir besoin de
souligner, sans fausse hémoglobine, et ce spectacle est certainement à compter
parmi ses plus grandes réussites. Reste à espérer qu’un directeur d’opéra en
France l’aura vu et aura l’intelligence de lui offrir enfin des débuts lyriques
de ce côté-ci du Rhin.
La partie musicale est également à l’actif du Théâtre de
Bâle : Svetlana Ignatovitch ne se contente pas de jouer, elle chante avec
beaucoup de présence vocale le rôle souvent effacé du soprano ; comme elle
joue presque toujours à l’avant-scène, sa voix se détache plus nettement du
chœur que ce que Britten souhaitait, mais il n’y avait certainement aucune
autre solution dès lors qu’elle était amenée à jouer un rôle aussi central dans
le spectacle. Les deux chanteurs, qui incarnent la figure du soldat, individu
perdu au cœur du grand spectacle de la guerre, font de leur rôle une déploration
funèbre qui est loin de la violence visionnaire d’un Bostridge : la
perspective, qui est aussi celle voulue à l’orchestre par Giuliano Betta, a le
mérite de la cohérence et d’une beauté sonore appréciable, si ce n’est qu’elle
a tendance chez les chanteurs à gommer la présence hallucinatoire du texte et à
l’orchestre à rendre parfois indistincts les grands contours de l’œuvre. Mais
ces légères réserves n’entament pas la force d’un spectacle qui montre bien que
la réussite artistique d’une maison d’opéra est une question d’intelligence et
d’audace beaucoup plus que de budget ou de capacité à multiplier les stars à
l’affiche.
Vous pouvez aussi lire sur Resmusica ma critique - pas vraiment négative non plus - d'Idomeneo de Mozart mis en scène par David Bösch au même endroit. Malheureusement, les deux spectacles se terminent, mais le théâtre de Bâle existera encore la saison prochaine - ne manquez pas Blanche-Neige de Heinz Holliger, un opéra de 1998 qui n'avait jamais été remonté, sur un texte magnifique mais - il faut bien le dire - fort difficile de Robert Walser...
A titre anecdotique, une grande partie de Bâle (dont le quartier du théâtre) est du même côté du Rhin que le France ! (cela étant dit, un spectacle produit par Bâle a-t-il déjà été repris en France ?)
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