vendredi 15 mars 2013

Opéra de Paris 2013/2014 - Opéra

Dans un commentaire à mon message précédent, mon troll en résidence m'a confié qu'il attendait avec impatience mon "point de vue solipsiste" et mon fiel sur la saison lyrique : le voilà satisfait. Sauf qu'il faudrait juste lui dire qu'un blog, qui plus est écrit par quelqu'un qui ne veut surtout pas jouer au journaliste, c'est forcément personnel et qu'il est très facile de ne pas le lire (Marie-Aude Roux, cette vraie journaliste, dit des choses tellement plus intéressantes que moi) ; et que le fiel, ma foi... est fielleux quiconque n'aime pas la même chose que toi... je suis très heureux de l'état actuel du monde lyrique, et - surtout pour un provincial - l'état lamentable de l'Opéra de Paris ne me fait pas pleurer, vu ce que j'ai le plaisir de voir ailleurs, notamment en pays germanique !
Il n'y a pas pour moi dans cette nouvelle saison beaucoup plus de choses intéressantes que précédemment, même si évidemment le fait qu'elle ne soit pas comme l'actuelle plombée par ce Ring inepte donne un peu plus de place aux nouveautés, pas forcément très fraîches ceci dit.
Mes modèles, mes maîtres, mes inspirateurs



L'époque Gall

Comme chacun sait, 9 ans après son départ, Hugues Gall domine encore l'Opéra de Paris, au moins par les spectacles qu'il avait monté au cours de ses 9 ans de mandat. Cela dit, plusieurs productions sont plus anciennes encore : la Butterfly mise en scène par Robert Wilson a conquis Bastille en 1993 (elle venait d'ailleurs, je crois) ; les Capulets de Bellini que Gall avait produits à Genève avaient été importés juste avant le début de son directorat officiel, au printemps 1995 (quel opéra ennuyeux ! quelle production plate !) ; créée à Paris quelques mois plus tôt, la Lucia d'Andrei Serban a au moins le mérite d'être une production intelligente et forte, à défaut d'être très jolie (mais ce n'est Heidi, cet opéra, c'est un petit peu normal qu'il y ait de la violence).
Così fan tutte mis en scène par le décorateur Ezio Toffolutti, lui, est entièrement dû à Hugues Gall (c'était la réouverture de Garnier après une période de travaux, en 1996) ; c'est pour le coup un très mauvais spectacle, totalement dépourvu de vie et limités à une version Lagarde et Michard du XVIIIe siècle. Aucun espoir côté orchestre, avec le très routinier Michael Schønwandt ; la distribution, elle, comporte la magnifique Stéphanie d'Oustrac, mais dans ce contexte, non merci.
Autre production Carsen, Alcina vient remplir le maigre quota de baroque dans la programmation de l'Opéra (ça, au moins, c'est une constante de Gall à Mortier et à Joel) : j'aime beaucoup le spectacle, et cette fois on peut avoir de légitimes espoirs musicaux avec Christophe Rousset dans la fosse et la magnifique (aussi) Sandrine Piau en Morgana, elle qui n'a pour ainsi dire jamais chanté à l'Opéra de Paris, et qui est pourtant une des très grandes chanteuses d'aujourd'hui - et pas seulement pour ce répertoire. Il aura suffi de transplanter Stéphanie d'Oustrac dans la même production, et tout aurait été parfait.
Passons sur la Bohème inusable de Jonathan Miller (1995), vu le peu d'intérêt de l’œuvre (la mise en scène, elle, est tout de même moins indigne que l'autre Puccini à tout faire, Tosca version Schroeter, qui nous est pour une fois épargnée) ; passons aussi sur L'Italienne à Alger, autre production Serban (1998), mais mauvaise comme tout, qui est principalement un prétexte pour engager Karine Deshayes, qui est à nouveau omniprésente cette saison (faire travailler les amis est un des principes de cette direction, comme on le verra).
Passons rapidement aussi sur La Clemenza di Tito, sans doute l'opéra de Mozart que j'aime le moins (il en faut un). La production de Willy Decker (1997) est passe-partout, comme l'était d'ailleurs aussi celle des Herrmann importée par Gerard Mortier. On retrouve Stéphanie d'Oustrac : qui sait, pour elle, peut-être...

L'époque Mortier

Désolé, mais il y a des crimes qui ne se pardonnent pas. C'est bien gentil de nous donner L'affaire Makropoulos mis en scène par Krzysztof Warlikowski, un chef-d’œuvre évidemment, une bonne mise en scène, mais je n'arrive pas à me faire à l'idée que sa mise en scène de Parsifal a été DÉTRUITE. Au début du XIXe siècle, les Barbares ont détruit l'abbatiale de Cluny, un des grands chefs-d’œuvre de l'architecture européenne ; au début du XXIe, Nicolas Joel a détruit ce chef-d’œuvre de la mise en scène contemporaine. Ce n'est pas qu'un hasard malencontreux : le clan des réacs accepte toujours les mises en scène modernes pour les opéras du XXe siècle (parce que dès que ça a moins de 120 ans et que ce n'est pas harmoniquement conforme, c'est moderne, donc on peut faire ce qu'on veut) pour mieux les descendre dès qu'il s'agit d'un des chefs-d’œuvre statufiés (par eux) du passé - Pereira à Salzbourg fonctionne de même. Enfin, ça ne change rien aux qualités de cette Makropoulos, et pour moi ça aura notamment l'intérêt de permettre la comparaison avec la mise en scène salzbourgeoise de Christoph Marthaler. Distribution spécial copinage à nouveau (Merbeth qui n'a pour l'instant jamais réussi à m'intéresser, Le Texier), mais chef épatante, Susanna Mälkki, quel dommage qu'on ne l'ait pas gardé à l'Intercontemporain!

Surtout que côté Wagner, on nous ressort justement l'une des productions que j'aime le moins de l'héritage Mortier, Tristan et Isolde avec les insupportables vidéos décoratives de Bill Viola (suivez le lien pour voir ce que j'en disais il y a quelques années) et la mise en espace de Peter Sellars. Comme Philippe Jordan dirige et que la distribution est plutôt moins excitante que ce qu'on voit ailleurs (surtout Violeta Urmana et - spécial copinage - l'épouse du déjà nommé Christophe Ghristi en Brangäne, qui n'a pas été pistonnée mais enfin qu'allez-vous donc chercher là), je vais passer mon chemin.

La parenthèse Joel

S'il y a bien un témoin impartial pour faire voir à quel point l'apport de Joel au répertoire de l'Opéra de Paris est négligeable, c'est bien Nicolas Joel, qui ne reprend pas ses propres productions. La seule reprise d'une "nouvelle production" montée par lui, c'est celle du Werther monté à Londres par Benoît Jacquot. Vous vous doutez de ce que je pense de l’œuvre, que j'ai déjà bien assez vue à mon goût. Et Karine Deshayes, bis repetita.

Et voilà donc le moment que vous attendez tous, celui où j'en viens enfin... non, pas aux nouvelles productions, mais aux...

Productions importées

L'une des grandes spécialités de Nicolas Joel, mais elles sont cette année beaucoup moins nombreuses que précédemment. Pas de Giancarlo del Monaco, c'est déjà ça ; mais un Puccini de plus, c'est toujours un Puccini de trop, même si du moins je n'ai jamais vu La Fanciulla del West et qu'il y a une des vraies grandes étoiles d'aujourd'hui, Nina Stemme, pas vraiment entourée de façon luxueuse (je ne sais pas quoi penser de Carlo Rizzi, ce n'est pas mon répertoire, après tout!). La production vient d'Amsterdam (ce que l'ONP ne cache pas, cette fois ; il est vrai qu'elle est pour une fois presque neuve - 2009), et elle est disponible depuis longtemps en DVD ; cela dit, Nikolaus Lehnhoff est un metteur en scène sérieux et la production a eu de bonnes critiques. Après tout, mieux vaut ça qu'une pure production Joel.

Pour La Flûte enchantée, on a évité le pire : il était question d'importer la vieille et très médiocre production viennoise de Marco Arturo Marelli, qu'Arte avait diffusé il y a très longtemps ; nous aurons donc une production beaucoup plus récente, puisqu'elle sera celle de Robert Carsen créée dans quelques jours à Baden-Baden ; la question qu'on ne peut que se poser, c'est le rapport entre cette production et celle que Carsen avait créée il y a près de vingt ans à Aix. Baden-Baden (et Madrid) auront Simon Rattle et les Berliner Philharmoniker, Paris aura Jordan (et l'acoustique de Bastille en prime).

Les nouvelles productions

Ce qui nous laisse 6 nouvelles productions : c'est la moindre des choses, mais après les tristes saisons précédentes ça paraît un Himalaya ; au moins, les plantages magistraux à l'image de la Carmen de cette saison auront une chance de moins se voir avec un rythme de créations plus élevé.

La saison commence bizarrement par deux créations confiées à Olivier Py, le héros/héraut des branchés, qui évidemment n'est pas le pire metteur en scène européen (del Monaco, etc.). Alceste de Gluck, voilà un opéra intéressant, même s'il va falloir faire oublier la très belle production de Robert Wilson au Châtelet il y a... longtemps ; et puis, bien sûr, il y a Marc Minkowski, qui est vraiment un grand chef et vient avec ses Musiciens du Louvre (on se souvient du comportement inqualifiable de l'orchestre de l'Opéra lorsqu'il y avait dirigé La Flûte enchantée). La distribution enthousiasme moins, que ce soit Alagna (mais on peut espérer qu'il annule) ou surtout Sophie Koch, après Anne-Sophie von Otter, franchement ! On se doute que Minkowski a dû accepter le paquet dans son ensemble sans pouvoir apporter sa touche...
Et puis Aida, un des Verdi que j'aime le moins (et que je n'ai jamais aimé). Comme en plus Jordan dirige et que la distribution est vraiment de second ordre, pas de regrets : j'ai tellement mieux à faire...

Pour Elektra, je suis passé à côté d'un dilemme : je n'aime pas beaucoup l’œuvre, moins encore que Salomé, mais aurais-je pu sérieusement résister à Seiji Ozawa ? Ce dernier ayant sans doute définitivement arrêté sa carrière - ce dont je suis désolé, évidemment -, je n'ai plus aucun scrupule à ignorer ce spectacle, d'autant que j'ai déjà vu son principal attrait, la Clytemnestre de Waltraud Meier - Joel fait de la photocopie de distribution, puisque Salzbourg 2010 avait déjà affiché la paire Meier/Theorin (mais entre-temps René Pape s'est transformé en Evgeny Nikitin, pas mal non plus). Si vous aimez Elektra, si vous n'avez pas encore vu Meier dans ce rôle, foncez : c'est exceptionnel. Et la mise en scène de Carsen, à défaut de vous révéler un monde, n'aura pas de mal à être meilleure que celle de Salzbourg.

Les Puritains de Bellini est une œuvre que je n'ai jamais réussi à me rentrer dans l'oreille, avec ou sans Callas ; je n'ai donc rien à en dire, sinon pour remarquer que Laurent Pelly, mon Dieu, quel choix audacieux, et dire que vous l'avez échappé belle puisque le rôle principal était à l'origine promis à Natalie Dessay. La distribution, du coup, est du no name total - laissez-lui le bénéfice du doute, après tout.

La Traviata, à l'inverse, c'est une œuvre que je connais bien et - le croirez-vous - que j'aime de plus en plus, à condition qu'on la prenne au sérieux. Je ne crois pas du tout que Benoît Jaquot soit l'homme de la situation pour cela, surtout par comparaison avec le chef-d’œuvre théâtral de Christoph Marthaler il y a près de 10 ans : le décoratif, l'illustratif, vous l'aurez, mais vous n'aurez pas l'essentiel de cette œuvre : le parfum de mort qui est là, à chaque instant du premier acte déjà. Pour Marthaler, Mortier avait fait une grosse erreur de distribution en confiant Germont à un José van Dam à bout de souffle ; Tézier sera évidemment meilleur, mais je fais partie de ceux que sa raideur finit par ennuyer ; je crains que Damrau, après l'inoubliable Christine Schäfer, prenne le rôle trop superficiellement, à la façon de ses "quatre rôles" des Contes d'Hoffmann à Munich, et je ne connais pas le ténor - Mortier y avait révélé Jonas Kaufmann au public parisien. Quant au chef... Daniel Oren, le roi des effets faciles... Là encore, si je veux une Traviata, j'en trouverai une meilleure ailleurs...

Et enfin, suite du quota baroque : Le couronnement de Poppée, encore un de mes opéras préférés. Mortier avait assez bien raté son coup en amenant de Munich la production de David Alden, qui avait paru poussiéreuse (que n'a-t-il pas été cherché plutôt son Retour d'Ulysse, infiniment plus intéressant !) ; cela dit, Robert Wilson, vraiment ? Pour un opéra sensuel et drôle ? Quelque chose me chiffonne, présentement. Dans la distribution, outre (encore) Karine Deshayes, il y a deux choses qui me chiffonnent aussi : d'une part, Monica Bacelli, dont tout le monde sait, quand même, que..., non ? ; et puis le pire, un Néron-ténor, retour à l'ère Karajan - comment est-ce possible, surtout quand tant de bons Néron existent ?

En conclusion

En conclusion, ce message est trop long, et vous avez de toute façon tiré vos conclusions tout seuls. Si, tout de même : rappeler que l'Opéra de Paris touche plus de 100 millions d'euros de subvention, et que, certes, on pense ce qu'on veut des productions, mais pour ce montant-là, des distributions aussi plates et souvent copiées sont-elles vraiment suffisantes ?

3 commentaires:

  1. C'est curieux ce que vous dites. J'avais bien aimé la Traviata "de" Marthaler mais dans mon souvenir elle donnait à fond dans le "décoratif". Les énormes lustres, les vestiaires, la tondeuse à gazon : tout ça était si bien réalisé, si présent et si peu intégré que je garde avant tout le souvenir d'une soirée "bien décorée". Comme King Kong et Marilyn dans "L'Affaire Makropoulos" d'ailleurs. Mais c'est terrible ce que vous dites du Parsifal "de" Warli! J'en avais pleuré d'émotion. De loin le plus beau Wagner que j'ai vu à l'Opéra Bastille...

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  2. Assez d'accord dans l'ensemble (comme souvent d'ailleurs, sinon je ne lirais pas aussi régulièrement votre blog et je lui préfèrerais les chroniques et critiques de Marie-Aude), mais traiter "La clemenza di Tito" (un opéra de Mozart que j'aime beaucoup – et cela suffit peut-être à expliquer que nos jugements diffèrent) des Herrmann de passe-partout, c'est pour moi du grand n'importe quoi!

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  3. @Anonyme : Quel dommage que le spectacle n'ait pas été édité en DVD, on aurait pu en parler plus en détail... J'avais fait un billet très détaillé à l'époque : http://musicasola.blogspot.fr/2007/07/la-beaut-nest-pas-toujours-o-on-lattend.html

    @Rafsan: la différence d'appréciation sur l’œuvre est peut-être essentielle dans notre désaccord sur ce spectacle, en effet... Je trouve le spectacle très néo-classique, avec une direction d'acteurs assez banale...

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