mercredi 1 août 2012

Aix-en-Provence, terre inconnue

Le hasard a fait que, pour la première fois, mes pas m’ont porté en ce mois de juillet au Festival d’Aix-en-Provence, Festival International d’Art Lyrique où je me suis naturellement employé à ne pas voir que de l’opéra, loin de là. J’en ai d’ailleurs profité pour faire quelques critiques pour Resmusica, je vous les indique au passage (à propos, je n'ai pas mentionné ici que j'avais fait une critique complète des 4 volets du Ring de Munich [Nagano/Kriegenburg, avec l'éblouissante Nina Stemme : vous trouverez les 4 critiques sur ma page Resmusica).
Je ne peux m'empêcher de mentionner, même si tout le monde s'en moque très légitimement, à quel point c'est une aventure pour moi, septentrional de cœur et de raison, de partir en expédition pour ces terres lointaines et inconnues qu'est le sud de ce pays. Bref, il y a peu de chances qu'on me revoie à Aix avant un certain temps ; c'est bizarre, ce quasi-malaise...

Le Grand Saint-Jean, vu du parc, à l'arrière de la scène. Photo Musicasola


Visiblement, Mozart est à Aix le non-événement absolu. Je n’ai certes pas vu Les Noces de Figaro (Rhorer/Brunel – non, même pas la diffusion télé, je n’ai pas le temps pour ça !), mais entre ceux qui trouvaient ça sympathique et ceux qui trouvaient l’ensemble plutôt médiocre, on ne peut pas dire qu’il y ait de quoi me faire vraiment regretter. L’autre opéra de Mozart, c’était La Finta Giardiniera, qu’on connaît en général par l’excellent enregistrement de Nikolaus Harnoncourt (Teldec), mais qui a connu toute une série d’exhumations ces dernières années, d’où des DVD de Salzbourg et du Theater an der Wien.
Le spectacle aixois, donné en plein air au Grand Saint-Jean était confié à Vincent Boussard pour la mise en scène et à Andreas Spering pour la direction – mais, hélas, avant tout à Boussard qui a commencé par choisir un positionnement absurde de la scène, destiné à faire joli scéniquement, mais calamiteux acoustiquement. Et comme il a à son habitude à peu près renoncé à faire une mise en scène, on n’en tire ni bénéfice musical, ni bénéfice scénique. C’est d’autant plus dommage que la troupe de jeunes chanteurs est certainement très vaillante, pour ce qu’on en entend (Sabine Devieilhe, même dans ce contexte, mérite quand même bien une mention). Le spectacle est sur Arte Live Web, vous y entendrez sans doute plus que moi sur place.
Le grand événement du festival, au moins, je ne l’ai pas manqué. Ça aurait pu être David et Jonathas de Charpentier, vrai chef-d’œuvre, mais on ne m’a guère du bien de cette production, que j’essaierai tout de même de voir à Paris (tout ce que j'en ai eu, c'est le récital de clavecin français donné un après-midi par Béatrice Martin, pas très convaincant - être une protégée de William Christie l'oblige-t-elle à ne pas être meilleure que lui au clavecin ?) ; ce fut, de façon imprévisible, une création. On est habitué à ce que tous les festivals, toutes les maisons d’opéra de quelque importance fassent par obligation une création de temps en temps, et la réussite musicale n’est même pas si rare qu’on le dit ; pour autant, un pareil triomphe, non, vraiment, qui l’eût cru ? George Benjamin, qui dirigeait son propre opéra, est tout l’inverse des compositeurs tonaux et mélodiques dont certains attendraient le salut du genre lyrique : élève de Messiaen, boulézocompatible, n’ayant pas peur de la complexité – et pourtant standing ovation à la fin de la représentation, salle pleine, bouche-à-oreille extatique.
Je n’ai pour ma part été convaincu qu’à moitié par le livret de Martin Crimp, qui n’est pas exempt des scories habituelles du dramaturge-qui-écrit-pour-l’opéra ; je n’ai pas du tout été convaincu par la mise en scène sottement décorative de Katie Mitchell, qui prend bien garde de se confronter aux significations de ce conte cruel qu’est Written on skin ; pourtant, je ne peux que vous conseiller vivement de tenter de rencontrer ce chef-d’œuvre musical lors d’une des nombreuses étapes de sa tournée européenne – Amsterdam, Toulouse, Londres, Munich, et enfin Paris à l’occasion du Festival d’Automne 2013, lequel a cru bon de publier une dépêche pour annoncer la bonne nouvelle, de peur de se faire accuser d’être passé à côté du spectacle (n’empêche qu’il ne l’a pas coproduit…). Là encore, le spectacle est disponible sur Arte Live Web, à ne pas manquer, en attendant un DVD, j’espère.
Benjamin a aussi dirigé un magnifique concert symphonique, avec le Mahler Chamber Orchestra qui jouait déjà son opéra : évidemment, c'est facile de faire un beau concert quand on a un aussi fabuleux orchestre, qui est à mon avis au niveau des plus grandes formations du monde - oui, au niveau du Concertgebouw et des Berlinois, et bien au-dessus de l'Orchestre philharmonique de Vienne. Benjamin avait choisi pour entourer ses propres œuvres deux grands classiques qui partageaient avec elles une manière très agréable de mettre en valeur les solistes instrumentaux, en particulier chez les vents. Enfin, j'ai déjà écrit une critique, je ne vais pas recommencer.

Par ailleurs, on a déjà appris la programmation pour l'an prochain : vraiment, était-il nécessaire de monter Rigoletto à Aix ? Pourquoi pas Ciboulette ou L'auberge du Cheval-Blanc ? Et par Carsen, quelle imagination ! Par contre, un opéra de Cavalli en recréation, une création d'un jeune compositeur inconnu, ma foi, ce n'est pas indigne, de même que la reprise de la production intrigante de Don Giovanni vu par Dmitri Tcherniakov, un spectacle dont on ne peut pas vraiment dire qu'il ait pour but de montrer l’œuvre de Mozart, mais qui pour lui-même est passionnant de bout en bout. Quant à l'événement de l'été 2013, qu'en dire ? Salonen, Chéreau, Meier en Clytemnestre vraiment chantante, c'est passionnant - dommage que l'oeuvre elle-même, Elektra, avec sa fausse modernité criarde, ne m'intéresse pas du tout, et que j'ai déjà vu ma représentation décennale de cette voie de garage musicale, avec l'intéressant spectacle de Konwitschny à Stuttgart ce printemps.

Prochaine étape, copieuse et critique : la première édition du Festival de Salzbourg de l'ère réactionnaire d'Alexander Pereira : on verra si le résultat vaut mieux que l'impression de repli nationaliste et de refus du temps présent que donne sa programmation...

3 commentaires:

  1. Pascal Gottesmann8/8/12 16:14

    Mon cher Rameau, j'ai comme l'impression que vous voulez une guerre ouverte entre nous. En effet, quand je lis dans votre article ce que je considère comme le chef d'oeuvre de mon compositeur préféré rabaissé au niveau de Ciboulette et de L'auberge du cheval blanc, il me prend des envies de grimper aux rideaux en éructant des Si Vendetta comme notre ami bossu.
    Vous ne voulez pas accepter que les grandes oeuvres comme les plus médiocres peuvent se trouver dans tous les styles. Pour utiliser un exemple cinématographique, votre dénigrement s'apparente à "La majorité des Blockbusters américains sont des oeuvres de qualité médiocre donc Steven Spielberg (ou Martin Scorcese sont de petits tâcherons"
    De plus, la présence de Verdi au festival d'Aix est régulière depuis 1964 avec 9 productions de ses oeuvres; en bon glottophile je mettrais entre parenthèse, les interprètes principaux. Y furent donc entendu 6 fois Falstaff (Rolando Panerai, Wladimiro Ganzarolli, Gabriel Bacquier, José Van Dam, Sir Willard White) 3 fois La Traviata (Silvia Sass, Mireille Delunsch, Natalie Dessay) et une fois Luisa Miller sous la direction d'Alain Lombard.
    Dernier point, vous écrivez "et par Carsen, quelle imagination". Je vous croyait pourtant admirateur de son travail.
    Petite remarque subsidiaire, vous qualifiez Elektra de "fausse modernité", pouvez vous me donner une définition de ce concept.

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  2. J'imagine que les lecteurs de Resmusica seraient très intéressés de lire le revers fielleux et négatif publié ici. Que ne ferait-on pas pour obtenir des invitations...
    J.S.

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  3. Pascal, il faut distinguer. Il y a des Verdi que j'aime, à commencer par Boccanegra et Don Carlo, d'autres que je n'aime guère ou pas du tout. Quant à Carsen, oui, bien sûr, j'aime en général son travail, mais je pense qu'il vaut mieux le confronter à des œuvres plus exigeantes, a fortiori dans un festival qui a l'ambition de proposer des choses nouvelles. Puisqu'on prenait un opéra connu, ça aurait été l'occasion de proposer quelque chose de plus audacieux, comme Mortier l'avait fait à Paris avec Tcherniakov pour Macbeth : le résultat était certes inabouti, mais au moins on n'avait pas l'impression de savoir d'avance à quoi ça ressemblerait...
    Quant à la (non-)modernité d'Elektra, ce n'est pas de la Max-Reinhardt-Platz à Salzbourg une demi-heure avant un concert que je vais pouvoir vous répondre...

    J.S., les lecteurs de Resmusica ont sans doute pu constater par eux-mêmes que, même avec place de presse (ce n'est pas la même chose qu'une invitation, parce qu'il y a un travail en échange...), je n'ai pas laissé grand-chose debout de La Finta Giardiniera... Ensuite, vous avez raison, j'aurais pu et dû dire tout le bien que je pense, de manière générale, du travail de Bernard Foccroule, même si cette édition-là ne me passionne pas plus que ça !

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