Si Ariane à Naxos
aura été une cruelle déception, La flûte
enchantée du Festival de Salzbourg aura été, dans l’ensemble, plutôt une
bonne surprise – je n’en attendais, je l’avoue, pas grand-chose – j’avais,
d’ailleurs tout comme pour Ariane, eu
la prudence de me munir d’une place debout.
Alexander Pereira a manœuvré habilement en choisissant de
confier la mise en scène du spectacle à Jens Daniel Herzog, qui comme la
plupart des artistes qu’il engage a déjà travaillé pour lui à Zurich. Herzog
n’est pas de ces metteurs en scène qui n’ont d’autre salut que dans le passé,
et sans nul doute il fait le travail nécessaire d’analyse de l’œuvre qui lui
est confié. J’avais déjà vu de lui, à Zurich, une mise en scène moyennement
inspirée du chef d’œuvre Königskinder
de Humperdinck (j’en avais parlé ici), et surtout une très sympathique et
vivante réalisation de la Turandot de
Schiller (car oui, entre Gozzi et Puccini, il y a Schiller). Herzog, c’était
donc le moyen efficace de ne pas trop effrayer les traditionnalistes tout en
s’assurant la magnanimité des amateurs d’un théâtre musical plus vivant, et ce
sans voler la vedette aux raisons d’être de ce spectacle.
Ces raisons d’être, il y en avait deux : l’une est un
monument vivant, l’autre est un monument tout court. Commençons par le monument
de pierre : depuis longtemps, des spectateurs se plaignent que les
spectacles organisés à la Felsenreitschule, autrement dit au Manège équestre
dans la roche, prennent un malin plaisir à masquer les trois séries d’arcades
de roche qui constituent le fond de scène et qui étaient destinées à accueillir
les spectateurs des démonstrations équestres qui y étaient organisées. C’est
d’ailleurs incontestable : aussi bien Katie Mitchell (Al gran sole carico d’amore de Nono) que Vera Nemirova (Lulu) n’avaient rien voulu faire de
l’esprit du lieu, et pour un profit théâtral d’ailleurs très mince. Avec
Herzog, hourra, on voit les arcades, et même quelques effets pyrotechniques y
sont produits. De là à dire qu’il s’empare véritablement du lieu… En utilisant
un décor peu haut, il se contente en fait pour l’essentiel de ne pas masquer
les arcades : c’est sans doute suffisant pour beaucoup, mais pas pour tout
le monde puisque, à ce que j’ai compris, la mise en scène n’a pas été très bien
accueillie. Pour ma part, convaincu dès les premières notes de l’ouverture de
laisser mon oreille s’emparer de toute mon attention, j’ai suivi avec quelque
distraction ce qui se passait devant mes yeux ; l’idée de faire de
Sarastro et de son monde une sorte de société scientifique n’est pas mauvaise,
elle n’est cependant pas exploitée bien profondément, et on se contente pour
l’essentiel de suivre tranquillement les évolutions des blocs de décor qui
ménagent des espaces scéniques variés et assez efficaces. Bon, vous avez
compris, même si je m’astreins à faire semblant d’avoir un avis : le
spectacle n’est pas désagréable, mais mon indifférence bienveillante devra
tenir lieu ici d’argumentation.
Le second monument, vivant celui-là, c’est bien sûr Nikolaus
Harnoncourt, l’ex-proscrit devenu Messie en son pays. C’est très
autrichien : l’Orchestre Philharmonique de Vienne a lutté tant qu’il a pu
contre son influence ; maintenant, non seulement il en est un des chefs
les plus fréquents, mais on peut même l’inviter à Salzbourg avec tous les
honneurs, et même avec son Concentus Musicus, sur ces instruments anciens qui
ne sont pourtant qu’une vile production malsonnante de l’esprit moderne.
Pour une perversion malsonnante, il faut bien reconnaître
que ces gens-là sonnaient terriblement bien, même dans l’acoustique un peu
étrange, mais cette fois pas désagréable, de la Felsenreitschule. Ils sonnaient
même tellement bien que j’en ai été enivré pratiquement dès la première
seconde. Il y avait bien de quoi réfuter tous les procès en bizarrerie, en
brutalité qu’on a pu mener, pas toujours à tort, contre Harnoncourt : la
douceur du grand âge peut-être, mais une douceur qui ne se perdait jamais en
mollesse. Qu’il y avait plus de science mozartienne, en cette fluidité
naturelle, que dans les « traits de génie » d’un René Jacobs dans
cette même œuvre !
C’est mon péché mignon, je le confie volontiers : quand
l’orchestre va, tout va. Pour un peu, je ne vous aurais même pas parlé de la
distribution, parce que, eût-elle été moins bonne – dans les limites du
raisonnable ! – elle n’aurait pas franchement gâché mon plaisir. Mais
comme elle était pour le moins agréable, ce ne serait tout de même pas très
poli : la jolie Pamina de Julia Kleiter n’est pas une surprise (même si
elle ne me fait pas oublier la sublime Sandrine Piau cette saison au Théâtre
des Champs-Élysées) ; le bon Tamino de Bernard Richter est plutôt une
confirmation ; et si les trois enfants ont fait frémir à plusieurs
reprises les oreilles éprises de justesse, on a trouvé avec Mandy Fredrich une
Reine de la Nuit qui devrait rendre longtemps de bons et loyaux services ;
certes, son premier air était le 4 août beaucoup trop pâle, mais j’ai rarement
entendu le second air chanté avec une telle efficacité et avec un tel esprit
mozartien jusque dans la pyrotechnie. Une distribution équilibrée certes
entièrement mise au service du maître Harnoncourt : mais encore une fois,
qu’importe ?
"Al gran sole carico d’amore" de Nono…
RépondreSupprimer"le spectacle n’est pas désagréable, mais mon indifférence bienveillante devra tenir lieu ici d’argumentation"... avez-vous vraiment conscience de ce que vous écrivez ?
RépondreSupprimerQuelle ringardise généralisée cette production... À vous observer applaudir hier soir devant Les Soldats, j'imagine avec quelle béatitude vous avez accueilli cette partition amputée de son électronique et des intentions (très explicites) de B.A.Zimmermann
RépondreSupprimer@Rafsan : toutes mes excuses, ça fait partie de mes coquilles préférées...
RépondreSupprimer@Anonyme 1 : oui, merci, je comprends encore le français, même quand c'est moi qui écris... Si vous voulez, j'explicite : cette production, je m'en fiche, elle ne m'a pas dérangé, je ne vais pas perdre mon temps avec ça...
@Anonyme 2 : Ringardise généralisée... tout dépend d'où on se place. Comparez avec ce qu'on voit à Paris, côté ONP ou côté Opéra-Comique (ou côté Châtelet, à sa façon) : la production de Herzog en devient presque un chef-d'oeuvre. Presque, j'ai dit !
En ce qui concerne Les soldats, je vous ai en quelque sorte répondu sur le fond hier soir ; sur la forme, je ne sais pas si vous vous rendez compte de l'extrême impolitesse de votre seconde phrase et de votre attitude...