On m'a volé l'Opéra de Paris. L'Opéra, c'est, ou c'était, un peu ma seconde maison : il m'est arrivé, il y a quelques années, d'y voir cinquante représentations en une saison, ballets comme opéras, quand j'étais parisien. C'est dire qu'il ne m'est pas agréable d'en dire du mal, et que je tente, avec un succès variable selon les moments, de bien faire la distinction entre l'évolution récente de la maison, que j'abhorre, et l'institution elle-même, qui transcende les époques et les hommes et que j'aime toujours autant (c'est un peu la même chose pour le festival de Salzbourg, pour ceux qui n'auraient pas compris).
(oui, ce message a un caractère personnel (pour le journalisme objectif, il y a la presse officielle pour ça. (ou pas, mais je n'y peux rien (et je m'en passe)))).
Rassurez-vous, cette situation ne m'empêche pas de dormir, et elle m'est même moins désagréable qu'il n'y paraît, parce que le monde est vaste, parce que les pays germaniques ne sont pas loin de chez moi, et parce que les concerts et spectacles de danse qui me sont accessibles à Metz ont déjà de quoi m'occuper sérieusement, et je n'ai vraiment pas le temps de m'ennuyer. La constance qu'a eu l'Opéra à me repousser a même eu bien des effets positifs : plus le temps passe, plus je prends conscience des désagréments qu'il y a à aller voir de l'opéra dans des grandes salles, comme Bastille, comme Garnier, où on paie très cher le droit de voir de loin, où les chanteurs sont obligés de pousser pour se faire entendre : quel bonheur d'entendre Mozart, Haendel, Berg et les autres dans une salle comme le Théâtre de Bâle et tant d'autres !
N'empêche qu'on m'a volé l'Opéra. Et on ne sait même pas trop pour qui. Ce qui me fait penser à ces œuvres d'art célèbres qui disparaissent un jour ou l'autre d'un musée : c'est dommage pour les visiteurs, mais elles ne profitent à personne, puisque le voleur ne peut ni la vendre (il se ferait vite repérer), ni l'accrocher tranquillement chez lui, sauf à ne la montrer à personne. L'Opéra tel qu'il fonctionne aujourd'hui, sous Christophe Tardieu et Christophe Ghristi (et accessoirement Nicolas Joel), ne fait pas vraiment plaisir à grand-monde, pas beaucoup plus aux tradis qu'aux suppôts du Regietheater, et le seul discours audible qu'on en tire décrit une mécanique qui fonctionne, qui perfectionne ses rouages, mais qui tourne parfaitement à vide (voyez l'hallucinant article de propagande récent dans Le Nouvel Économiste) : pas d'innovation, pas de soutien à la création, pas de politique sociale... mais la mécanique, elle, fonctionne. Si c'est tout ce qui compte...
Bref, j'ai un peu dérivé, mais je voulais évidemment, comme tout le monde, parler de ce qui devrait se passer cet automne : la nomination du successeur de Nicolas Joel. Car successeur il y aura, et ce au plus tard à la fin de son mandat en 2015 (eh oui, nous n'en sommes qu'à mi-parcours, hélas !) : la probabilité pour que ce directeur très marqué à droite, ayant tout joué sur ses amitiés politiques et celle de son adjoint Tardieu, soit maintenu en poste au-delà de 2015 est extrêmement faible ; la seule chose qui pourrait le sauver étant l'hypothèse d'un retard dans le choix de son successeur.
Du coup, la presse bruisse d'articles, Le Figaro, Libération, Diapason, pour commenter la situation, ressortir les trois ou quatre même noms, et ne pas nous en apprendre beaucoup plus que ce qu'on savait déjà.
La première information que je tire de ces articles, c'est que, si les noms évoqués sont les bons, les autorités compétentes n'ont pas beaucoup d'imagination et ne voient pas plus loin que le bout de leur nez - ce qui n'est pas une surprise. Serge Dorny, Dominique Meyer, Stéphane Lissner : le premier est le directeur de l'opéra de la 3e ville de France (la 2e n'ayant pas le bon goût d'avoir à proprement parler un opéra, ou si peu que ça ne vaut pas la peine d'en parler), les deux autres ont été directeurs de maisons d'opéra à Paris même il y a plus ou moins longtemps. Cela dit, bien sûr, il y a des différences entre les trois : Serge Dorny aura 53 ans en 2015, ce qui lui laissera le temps de mener une programmation sur la longue durée, tandis que Meyer aura 60 ans et Lissner 62 : je ne sais pas si la règle (pas forcément respectée par le passé) imposant une limite d'âge à 65 ans pour le directeur d'un EPIC est toujours en vigueur, mais tout de même : un peu de jeunesse, non ?
Du point de vue artistique, le plus important, je n'ai pas vraiment de préférence entre Lissner et Dorny. Le premier a un peu pâti ces dernières années du climat impossible de la Scala, mais il n'empêche que les grandes coproductions internationales internationales, De la maison des morts mis en scène par Chéreau, Les soldats salzbourgeois et d'autres, c'est lui qui les a eues : ce n'est peut-être pas un visionnaire, un créateur de possibles comme Mortier, mais c'est quelqu'un qui sait faciliter, mettre en lumière, transmettre avec une grande exigence sur la qualité. Dorny, à Lyon, a parfois d'étranges accès de conservatisme, que traduit par exemple sa fidélité à Peter Stein, qui y a signé quelques productions navrantes, mais les saisons lyonnaises restent exceptionnelles pour la province française - et donc, ces dernières années, pour la France tout entière, avec la capacité à faire venir des artistes de la stature de Karita Mattila ou de Kirill Petrenko.
Meyer, lui, c'est différent : on ne peut pas dire qu'il triomphe à Vienne, où il occupe à vrai dire un poste assez ingrat tant le répertoire est saturé de vieilleries intouchables ; ses amitiés artistiques sont plutôt André Engel ou Jean-Louis Martinoty, ce qui ne nous rajeunit pas. Je lui reconnais cependant une qualité que n'a pas Nicolas Joel : ce n'est pas un idéologue, et je le crois assez pragmatique pour comprendre qu'il est suicidaire à Paris de se couper des grandes tendances de la mise en scène moderne.
Il reste à espérer que le Ministère de la Culture aura été voir un peu plus loin que ces trois noms et qu'il saura découvrir la perle rare, dont nous n'avons jamais entendu parler peut-être mais qui saura nous séduire. Rêvons, ça ne peut pas nuire...
samedi 8 septembre 2012
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Tant que la ministre de la Culture ne vient pas nous enlever notre Peter de Caluwe, qui effectue un remarquable travail à la Monnaie…
RépondreSupprimerAh bon ? c'est marqué où qu'il faut à Paris obligatoirement des mises en scène "modernes" pour le grand répertoire ??
RépondreSupprimerJe ne suis pas aussi enthousiaste que toi sur Lissner. Son mandat à La Scala, à l'exception de quelques coups d'éclats dans Wagner et Strauss est assez décevant. J'y ai entendu des naufrages indignes d'une scène aussi prestigieuse, sans même parler de ses choix des nouvelles productions (les jeunes metteurs en scène italiens post zeffirelli pour son cycle des opéras de jeunesse de Verdi ou la Trilogie de Monteverdi confiée à Boby Wilson...A un moment donné ses lacunes en matière de connaissances musicales se payent cash. Parfois qd c'est Baremboim pour Wagner, le cast est soigné car Baremboim est assez scrupuleux et ne s'entoure pas de chanteurs médiocres, mais dans les reprises et dans le répertoire Italien c'est entre le juste passable et le décevant.
RépondreSupprimer@Rafsan: pas de panique, une ville de province comme Paris ne peut pas s'attaquer à une grande ville comme Bruxelles...
RépondreSupprimer@Anonyme: Nulle part. Mais ce n'est pas grave, puisque ce n'est pas ce que j'ai dit.
@Pierre-Jean: Oui, j'aurais pu être encore plus net. Je ne considère pas non plus son mandat à la Scala comme un triomphe : l'ensemble a l'air très moyen et l'apport de Lissner semble se limiter aux coups d'éclat dont je parle ; simplement, je pense que c'est vraiment une malédiction liée à la maison et à la politique culturelle en Italie. Du point de vue musical, le choix de Barenboim n'est sans doute pas le bon : ce n'est pas lui qui va mener un travail en profondeur avec l'orchestre, à force de courir partout, et il est parfois très médiocre, quand il n'a pas fait son travail de préparation...
tu écris quand même rien moins que "il est suicidaire à Paris de se couper des grandes tendances de la mise en scène moderne." !!! lol
RépondreSupprimerC'est bien ça, en effet. Ce n'est pas obligatoire de monter des mises en scène modernes, mais c'est suicidaire de ne pas le faire. On en ressent déjà les conséquences aujourd'hui...
RépondreSupprimerah oui ? Comment se fait-il alors que toutes les reprises de spectacles à mise en scène traditionnelle fassent l'archi-plein à chaque représentation ??
RépondreSupprimerA la vérité, il faudrait revenir à une programmation et à des mises en scène du style de celles que l'Opéra de Paris a eues sous l'ère de Massimo Bogianckino.
Dommage, mais c'est faux. Les Noces de Figaro en 2010 ont été remplies à 90 % seulement (chiffre officiel Opéra), ce qui est sans doute un des pires scores pour un opéra de Mozart à Paris depuis 20 ans, tandis que le Don Giovanni de Michael Haneke a fait beaucoup mieux. Et cette année, ça n'a pas l'air d'aller beaucoup mieux. Cela dit, ce n'est de toute façon pas le nom du metteur en scène qui fait vendre. Et ça n'excuse pas le fait que beaucoup de nouvelles productions, elles, ne fassent pas le plein.
RépondreSupprimerEt vous pensez vraiment que se tourner vers le passé peut être une solution? Puis-je vous rappeler que la mise en scène (ou du moins le ballet) de Robert le Diable avait été puissamment huée? De même que le Faust de Lavelli sous Liebermann?
Je ne suis pas convaincu de tout de Lissner c'est un homme de dossiers, très habile pour trouver des mécènes mais pas convaincant dans la tache de gestion quotidienne d'une telle maison. Il a aussi laissé la poussière sous le tapis en faisant glisser de manière "habile" la question de la nomination d'un directeur musical, il n'a pas osé aller contre un orchestre rétif aux Chailly et Gatti. Le choix de Baremboim c du réchauffé, un bon moyen en botter en touche en attendant 2015....
RépondreSupprimerL'habilité pour trouver des mécènes, ça peut être utile par les temps qui courent...
RépondreSupprimerJe n'ai aucun avis artistique sur ces différents directeurs, en revanche Serge Dorny me parait plutôt prometteur en ce qui concerne l'accès à l'Opéra (et son expérience anglo-saxonne est un plus, comme on dit).
Reste ce dernier paragraphe un peu décevant : si un mélomane voyageur n'a pas été en mesure de nous dégoter cette perle rare, ce visionnaire qui lui fait tant défaut, et se contente de rêver qu'un notable le fasse à sa place, on n'est pas sorti de l'auberge ;-) "La critique est facile..."
Oui, enfin, l'habileté à trouver des mécènes, ça peut donner Pereira, le grand méchant de Salzbourg...
RépondreSupprimerMélomane voyageur, sans doute, mais avec mes limites : est-il interdit de rêver, sinon d'espérer, que des professionnels feront leur travail ?
Je trouve seulement que tu leur fais bien confiance, tout d'un coup, et j'aurais bien aimé te voir suggérer au moins quelques noms (soyons constructifs !)
RépondreSupprimerVous critiquez le travail Lyonnais de Dorny en disant que bien qu'il invite les metteurs en scène les plus inventifs, il invite aussi les plus traditionnels. Mais n'est ce pas le succès d'une saison équilibrée et réussie que de faire cohabiter tous les styles musicaux et scéniques y compris en faisant appel à des metteurs en scène inattendus dans ce type d'oeuvre. Le mélange et l'entente entre le modernisme imaginatif et le conservatisme cultivé pourrait bien être la clef du succès d und saison opératique.
RépondreSupprimer@Pink Lady : Désolé, mais c'est vraiment plus compliqué que ça. Je n'ai pas accès aux comptes des maisons, je n'ai pas la possibilité d'auditionner des candidats potentiels, etc. Est-ce que Caroline Sonrier, par exemple, qui semble mener un travail intéressant à Lille (malgré Emmanuelle Haïm...) serait capable de passer de la mini-saison lilloise à la grande machine Opéra ? Il me faudrait beaucoup plus d'informations pour le savoir que ce qui m'est accessible ! Au contraire, j'aurais vraiment envie de souligner à quel point nous autres amateurs devons bien nous garder de nous substituer à des professionnels, qu'ils soient journalistes ou décideurs politiques, quitte à soumettre à une critique impitoyable les journalistes et les décideurs qui existent du seul point de vue légitime qui soit pour nous, celui du spectateur !
RépondreSupprimer@Pascal Gottesmann : le problème, en effet, n'est pas que les mises en scène de Stein, par exemple, sont traditionnelles ; le problème, c'est qu'elles sont mauvaises ! Cet Eugène Onéguine au ras des pâquerettes, avec ses changements de décors intempestifs qui prenaient à chaque fois plusieurs minutes et cassaient tout sans rien apporter qu'une illustration inutile...
Après réflexion, je viens de supprimer un commentaire, bien entendu anonyme, qui relevait du trollisme caractérisé. Je veux bien le débat, même très vif, mais, mon cher troll, vous pourrez aller vous faire voir ailleurs.
RépondreSupprimerComme on le sait bien, qui que ce soit le nouveau directeur il y aura toujours des gens qui vont raler, qui vont detester les choix du nouveau directeur...
RépondreSupprimerLissner n'est pas jeune mais c'est un autre monde par rapport a ceux qui ont mene depuis quelques annees l'ONP la ou il est malheureusement maintenant. A La Scala toutes les creations qu'il a reussi a monter et les faire passer aupres du public en moyenne tres conservateur, c'est completement impressionnant (la FrOSch par Guth la saison passee en est un tres bon exemple!)
Barenboim est fantastique pour 1001 raisons. Il ne s'obstine plus de tout diriger. Il est conscient de ses limites, son age lui pese de plus en plus lourd, et il freine la frenesie dans son calendrier. Il laisse souvent sa place aux jeunes (Meir Welber pour Puccini, Salemcour pour Mozart -- hormis Le Nozze...) et il adore ses chanteurs aussi (et quels chanteurs! --> l'equipe permanente avec Roschmann, Prohaska, Pape, Youn, Samuil, Trekel, Priante... et maintenant aussi Gubanova, Rucinski, Schaffer, Denoke, Meier, Harteros de plus en plus aussi...)
Qqn plus haut n'aime pas son execution du repertoire italien. A mon humble avis, Boccanegra et Don Carlo a Berlin (sous Barenboim) sont toujours mieux executes/distribues qu'a Paris (en parlant du repertoire italien)... Et puis Wagner, Berg (!!!)...
OUI, j'aurais prefere voir Olivier Py prendre la tete de l'ONP, mais Lissner a une grande experience qui est necessaire pour pouvoir gerer une aussi grande maison (ce que manque a O.Py, par exemple), et il a confirme son ouverture d'esprit et il sait s'entourer par des gens jeunes, dynamiques et competents.
Bref, pour moi c'est une tres bonne nouvelle! Esperons qu'a la fin ce sera bien Lissner le gagnant! Personnellement j'espere que ca ressuscitera mon interet pour l'ONP ;)
http://www.diapasonmag.fr/news.php?id=1476
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