vendredi 24 juin 2011

Fin de saison lyrique à Paris : un bilan ?

Faut-il vraiment que je fasse un bilan sur cette saison lyrique parisienne ? Ou alors, peut-être, un non-bilan ? Voilà, jusqu'à la saison dernière encore, je voyais la quasi-totalité des nouvelles productions de l'Opéra de Paris ainsi qu'une honorable sélection de reprises, à la fois pour l'intérêt propre des différents spectacles et par attachement à cette institution, dont je suis les destinées depuis plus de 15 ans maintenant. Cette saison, le bilan est bien plus maigre : j'ai été absent de Paris pendant tout l'automne, à vrai dire, alors que je n'aurais pas méprisé Il Trittico, qui est sans doute ce qui est le plus supportable dans l’œuvre de Puccini (j'ai un bon souvenir du Tabarro vu à Lyon il y a quelques années), ou encore Mathis le peintre, pour découvrir l'œuvre malgré toutes mes réserves face à la musique de Hindemith (une écoute de la retransmission me laisse entendre que je n'ai de fait pas manqué grand-chose).
Angela Denoke ou ce que devrait être une diva

Parmi les nouvelles productions, je n'ai donc vu que Giulio Cesare, une œuvre dont la qualité musicale ne laissait au moins pas de doute : l'échec patent de la mise en scène de Laurent Pelly joint à une direction musicale incompétente a encore douché le peu d'optimisme que j'avais face à la maison (critique ici). Je n'ai pas insisté sur le Ring après l'énorme déception des deux précédents volets la saison dernière ; je n'ai pas été voir Francesca da Rimini après avoir subi Andrea Chénier la saison dernière ; et les critiques meurtrières qui ont accueilli la création d'Akhmatova de l'apparatchik n° 2 de la musique contemporaine française*, Bruno Mantovani, m'ont convaincu d'aller voir plutôt Un conte d'hiver de Shakespeare dans le magnifique Théâtre des Abbesses, ce pour quoi je ne peux que remercier les critiques (le spectacle de Lilo Baur était remarquable).


Côté reprises, je dois avouer un plaisir coupable avec le vieil Eugène Onéguine monté par Willy Decker il y a des lustres : le spectacle n'apportait rien, mais on a bien le droit de temps en temps de remonter le temps, et Vassily Petrenko dans la fosse était remarquable. Même chose, en quelque sorte, avec le Vaisseau fantôme du même metteur en scène, dont Nicolas Joel semble prendre un malin plaisir à massacrer les productions en les remontant à la va-vite (souvenez-vous de la désolante Ville morte de Korngold la saison précédente) : le spectacle scénique était presque aussi indigent qu'une mise en scène de Nicolas Joel, mais la présence dans la fosse du grand wagnérien Peter Schneider faisait oublier pas mal de choses.
La situation fut différente pour Ariane à Naxos, reprise d'un spectacle à peine plus récent, pas vraiment mauvais : la direction d'orchestre n'a pas racheté les faiblesses scéniques, au contraire, et c'est d'autant plus embêtant que le chef s'appelait Philippe Jordan et occupe la fonction de directeur musical de l'Opéra de Paris. Le seul spectacle dont je suis sorti pleinement satisfait, finalement, c'était Katia Kabanova, et ce n'est pas très étonnant :
  • Enfin un compositeur de génie au programme de l'Opéra, plutôt que ces stupides Puccini, Verdi, Massenet, Giordano, Zandonai éternels ;
  • Une production ambitieuse, intelligente et diaboliquement pertinente (Christoph Marthaler) ;
  • Une chanteuse d'un inépuisable génie dans le rôle titre entouré d'une distribution de qualité (Angela Denoke) ;
  •  Et un jeune chef qui n'est pas qu'une baudruche sans inspiration (Tomáš Netopil).
Et voilà. Ce n'est pas rien, sans doute, mais ce n'est pas grand chose. C'est d'autant plus désolant que les autres institutions parisiennes n'ont pas vraiment fait mieux : j'aurai presque entièrement déserté aussi bien le Théâtre des Champs-Élysées que l'Opéra-Comique. Dans le premier cas, l'exception est le récent Idoménée dont vous avez pu lire une critique sur ce blog : le reste n'était certainement pas sans intérêt (encore qu'on sait bien que le TCE n'est pas un haut lieu de la mise en scène lyrique), mais de là à justifier des efforts particuliers quand tant de tentations culturelles de toute nature viennent faire obstacle... Pour l'Opéra-Comique, les billets d'Atys que je détenais ont changé de main suite à une telle tentation, qui m'a en l'occurrence conduit au Festival de Schwetzingen (mes critiques) qui rendait hommage à György Kurtag et présentait un Gluck rare ; finalement, je me contenterai des Brigands d'Offenbach, un spectacle lui aussi âgé de plusieurs lustres et que j'avais déjà vu à Nancy il y a au moins 10 ans - j'espère qu'il parviendra au moins à me rappeler que Jérôme Deschamps, autrefois, a pu être drôle...
Ce que je retiendrai sans doute, outre évidemment l'apothéose de Janacek et d'Angela Denoke, de cette saison parisienne, c'est sans doute l'explosion en vol de Philippe Jordan, qui suscitait tous les espoirs dont les miens et n'aura pas mis longtemps à tuer tous les espoirs qu'on pouvait avoir en lui : le jeune chef prometteur est devenu un petit Kapellmeister étriqué et sans grâce.
Parsifal à Munich (Photo W. Hösl)

Tout cela n'est pas beaucoup, et on pourrait croire à lire ce bilan que le genre opéra finit par ne plus m'intéresser beaucoup à force de m'embarquer de déception en abstention, mais le fait est que Paris, au cours de cette saison, est simplement devenu secondaire dans mes loisirs lyriques : là où être provincial avait pu être autrefois un handicap du fait de l'éloignement de Paris finit par être presque un avantage, dans la mesure où je peux ainsi céder à des tentations autrement appétissantes : sans compter les nombreux spectacles que je verrai cet été à Munich et Salzbourg, Paris finit par ne plus représenter qu'un petit quart des représentations d'opéra de ma saison.
Et ce n'est pas ma faute si ce sont les spectacles vus hors de Paris qui m'auront le plus enthousiasmé : des remarquables Noces de Figaro vus hors des grands circuits à Augsbourg (mise en scène Jan Philipp Gloger, sans doute la meilleure que j'aie vu de cette œuvre) jusqu'à un Parsifal munichois en tout point remarquable, en passant par un Enlèvement au Sérail d'une remarquable sobriété à Berlin (mise en scène Michael Thalheimer), ou par un insolite Lully en terre germanique (Phaéton mis en scène par Christopher Alden). Vive l'opéra, donc, mais pas à Paris. Vive Paris, donc, mais pas pour l'opéra : demain soir, LE concert de la saison, avec les immenses Gurre-Lieder de Schoenberg !

*L'apparatchik n° 1 étant Pascal Dusapin, bien sûr.

3 commentaires:

  1. Vs êtes sévère avec Manto et Dusapin. Certes, ils occupent une position dominante, mais le méritent-ils : pour moi la réponse est OUI. Certes Dusapin parle de lui tt le temps et Manto parle tt le temps et souvent de lui, mais bon, la reconnaissance de leur talent est établie même au delà des frontières françaises; Le HF 2010 avait rendu un bel hommage à Dusapin en forme de portrait. Certes le cumul de commandes dont bénéficie Manto alliée à sa nomination au CNSM a fait grincer des dents. Mais bon au dela de Manto et Dusapin qui sont les grands compositeurs français ? Bedrossian, Strasnoy, Tanguy ? Oui ils sont doués mais pas autant que ces deux là. Le reste c'est de la soupe avec en porte drapeau le nasissime Karol Beffa

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  2. En fait ça ne m'intéresse pas beaucoup de savoir qui est le meilleur compositeur français (en tout cas chez les moins de 80 ans dont nous parlons ici). Simplement, si on resitue ces deux messieurs dans le monde musical actuel, aux côtés de Sciarrino, Furrer, Widmann, Rihm, Fedele, Chin et bien d'autres, là ils se dégonflent comme des gentils produits de conservatoire qu'ils sont. Meilleurs Français peut-être, mais à quoi bon?

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  3. Bien sur que je ne suis pas d'accord sur Giulio Cesare, mais je suis évidemment très d'accord sur la Kabanova.

    Siegfried n'était pas mal non plus.

    En vue de ce qui est annoncé pour la saison prochaine, je pense qu'on regrettera même la saison 2010-2011. C'est pour cela que je disais qu'il faut peut-être souligner plus fort ce qui n'était pas vraiment mauvais...

    Étonnant comment en 2-3 ans tout art est démoli.

    J'ai aussi lu tes commentaires sur la qualité d'accueil et des services à l'ONP, le manque des carafes d'eau etc. (cf. la comparaison Paris - Londres) Honnêtement, on s'en fiche -- à coté des problèmes liés à ce que l'ONP propose comme contenu (anti)artistique...

    Et si, Strasnoy est bien.

    Sinon je plussois le reste, avec une mention spéciale pour le bide absolu : 40 ans des Noces de Figaro.

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