mercredi 9 février 2011

C'est aujourd'hui que Figaro se marie !

Le saviez-vous ? Les noces de Figaro, comme un certain nombre d'opéras de Mozart, est un opéra comique, je veux dire par là : vraiment drôle. Vous allez croire que je veux encore vous parler des Noces pseudo-strehleriennes qu'a commis récemment Nicolas Joel : bien sûr, on n'a jamais tout à fait tort de me prêter des arrières-pensées, mais dans le cas présent ce n'est rien qu'une arrière-pensée, pas plus criminelle qu'une autre après tout (par exemple une arrière-pensée qui serait "voyez un peu comment les villes de province à l'étranger peuvent faire du travail intelligent et stimulant plutôt que de recourir sans arrêt à des vieux réacs comme Paul-Émile Fourny"). Donc je veux bel et bien vous parler des Noces de Figaro, mais de Noces vivantes, celles signées par un jeune metteur en scène de 29 ans à Augsbourg, 3e ville de Bavière (250 000 habitants), dont le théâtre n'est pas certes dans le circuit des grandes scènes mondiales mais n'en est pas moins cher à mon cœur.
"Pas de harcèlement sur le lieu de travail" : le Comte vacille

Le jeune homme s'appelle donc Jan Philipp Gloger, qui faisait là ses débuts à l'opéra après quelques mises en scène théâtrales très prometteuses. Il ne se laisse pourtant pas enfermer dans la case des metteurs en scène de théâtre qui se disent que l'opéra est un bon moyen pour arrondir ses fins de mois : pour lui, la musique (classique) a été la forme qu'a pris sa crise d'adolescence, et j'avoue que cette idée de la musique classique comme forme de révolte, tant qu'elle ne verse pas dans le conservatisme, me va particulièrement bien (il est beaucoup plus radical, a fortiori à l'adolescence, d'écouter Brahms que d'écouter le gangsta rap cher au Ministère de la Culture et de la Communication).

Ses Noces se déroulent donc dans le sous-sol du château, en quelque sorte dans son ventre, là où aboutit le linge sale collecté plus haut, là où va et vient le petit peuple des cuisines, de la buanderie, du ménage, là où se perdent aussi parfois Leurs Excellences, à la recherche de leurs inférieurs -quelle qu'en soit la raison-, sous le coup de l'angoisse qui les fait partir à la dérive, ou simplement par ennui : un lieu froid, fonctionnel, ni beau ni laid, un entre-deux par excellence. Peut-être que Leurs Excellences sont les maîtres, mais dans cet autre monde, ils ne sont plus tout à fait chez eux : quand ils se donnent en spectacle au prix du ridicule, la lingère ou le cuistot qui passe, au goût de chacun, les observe interloqué, les zieute sans gêne ou passe sans y prêter la moindre intention.
Tout n'est pas parfait dans ce décor unique, sans doute : l'acte II aurait gagné à être plus étroitement inscrit dans son cadre, ce qui ne me paraissait pas du tout impossible ; en échange, le banquet de noces qui clôt l'acte III est un vrai morceau de bravoure, de vie scénique et d'humour. C'est pour moi un des moments les plus réjouissants de toutes les représentations des Noces que j'ai pu voir : après la bénédiction nuptiale des deux couples formés quelques scènes plus tôt, un troisième couple se glisse en douce pour essayer de prendre en défaut la vigilance du comte et de s'unir eux aussi, autrement dit de devenir des grands : Chérubin et Barbarina. C'est drôle, c'est touchant, c'est irrésistible de timing et de pertinence.
Tout n'est pas parfait, c'est sûr, mais voilà : quelqu'un qui essaie, qui bidouille un peu, mais qui sait exactement ce qu'il veut dire à quel moment et comment il peut le dire, qui ose et qui ne se dit pas que ces crétins de provinciaux ne peuvent comprendre que quand on leur explique par le menu. C'est ça, le respect du public : penser qu'il est intelligent et comprendra un peu plus que Oui-Oui...
Le théâtre d'Augsbourg est dirigé par une femme formidable, je le dis d'autant plus volontiers que - comme pour tous les artistes et administrateurs dont je parle ici - je ne la connais pas du tout : Juliane Votteler est en poste depuis 2007, elle a à faire face à une montagne de problèmes relatifs à l'état déplorable des lieux dans lesquels joue ce théâtre, et à son arrivée il y a eu des vagues pas vraiment douces. Quatre ans plus tard, elle a réussi remarquablement à fédérer le public autour de son projet, qui accorde une part essentielle au bouillonnement créatif de la république de Weimar et des années précédant la première guerre mondiale, au théâtre aussi bien qu'à l'opéra. Munich est à trois pas, mais très franchement, je suis tellement souvent plus heureux dans ma Thébaïde augsbourgeoise que dans le grand monde munichois...

Prochains spectacles lyriques à Augsbourg (* : chanteurs de la troupe) :
Tristan und Isolde (mise en scène Rosamund Gilmore), avec Christiane Libor/Sally du Randt* (Isolde), Gerhard Siegel/Wolfgang Schwaninger (Tristan), Guido Jentjens (Marke), Kerstin Descher* (Brangäne), direction musicale Dirk Kaftan* [ancien assistant de Philippe Jordan à Graz, beaucoup plus inspiré que son ancien patron...]
King Arthur (mise en scène Sigrid Herzog), direction musicale Carolin Nordmeyer, distribution à venir.

Les Noces de Figaro se jouent jusqu'au jusqu'au 17 avril, avec notamment Seung-Gi Jung*, Sophia Brommer*, Jan Friedrich Eggers*, Katherina Persicke, Stephanie Hampl* (excellent Chérubin !).

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