Vaine agitation... |
Non, ce n'est pas de Francesca da Rimini dont je veux vous parler : j'entends bien que Roberto Alagna y est paraît-il remarquable, mais quand la probabilité que le spectacle (l'œuvre et la mise en scène) soit bon est aussi faible, il vaut mieux s'offrir le plaisir d'une bonne dose de musique de chambre ou autres choses un peu moins fruste (MacDo une fois de temps en temps, c'est supportable, mais on a quand même vite envie de se préparer un bon petit plat en sortant !). Non, c'est du bon vieux Jules, Giulio Cesare in Egitto, revenu sur la scène de Garnier et sur vos écrans 8 ans après la précédente série et un peu plus de 4 ans avant la production d'Irina Brook au Théâtre des Champs-Élysées. Une nouvelle production d'un opéra baroque, ces temps-ci, c'est devenu un événement, entre importations pas toujours très inspirées (Zoroastre de Rameau à l'Opéra-Comique) et reprises infinies de productions du 3e âge (Platée, Atys bientôt), et on pouvait penser - moi le premier - que le choix de Laurent Pelly, hôte permanent des scènes parisiennes, avait de quoi créer un consensus sinon enthousiaste, du moins solide.
Las, tous les critiques l'ont dit avant moi : Pelly essaie visiblement d'animer la scène, mais ses efforts ne construisent rien, ne donnent pas du sens et encore moins de l'émotion, qui plus est dans des costumes et des lumières particulièrement malhabiles (rarement vu des costumes aussi laids : où a-t-il trouvé l'étoffe du costume de Cornelia ???!!). Il ne pouvait évidemment pas le prévoir, mais on regarde cette production aujourd'hui avec les événements égyptiens récents dans le coin de l'œil : ce qui n'était sans doute que vain le jour de la première devient particulièrement offensant quand on voit la production ce samedi 12 janvier. Sans compter qu'on ne peut qu'admirer la facilité avec laquelle l'équipe technique du musée où Pelly a situé l'action déplace des statues censées peser plusieurs tonnes, qui plus est en parvenant à glisser les pointes du transpalette sous la palette, alors que le principe de cet appareil est précisément d'empaler les palettes autour de ces pointes...
Au fond, Laurent Pelly reste sur un succès initial qui a fait démarrer sa carrière sur les chapeaux de roue avec cette trilogie Offenbach d'une corrosive vivacité - et depuis ? La production d'Irina Brook, qui ne se privait pas d'une bonne dose de vulgarité, avait à mon sens beaucoup mieux compris les rythmes propres de l'œuvre, n'en déplaisent aux auteurs des huées colossales qui avaient accueilli sa première. Ici, l'absence totale de direction d'acteurs, que la photo ci-dessous, avec ses poses surannées, illustre parfaitement, s'accompagne du renoncement total à l'humour qui est pourtant inhérent à cet opéra.
Mais ce n'est pas à lui que je ferais porter le chapeau de l'ennui pesant de cette soirée : la principale responsable, c'est Emmanuelle Haïm, excellente continuiste autrefois pour Christie ou Christophe Rousset (écoutez-la dans leur enregistrement de Mitridate de Mozart [Decca], un vrai régal !), mais piètre chef d'orchestre : la manière dont elle laisse s'étirer le beau Cara speme de Sesto, accompagné par la seule basse continue, incarne mieux que tout autre passage la manière dont elle échoue à faire naître la moindre tension théâtrale, de même qu'elle ne parvient pas à faire sortir la moindre couleur des passages où l'orchestre est mis à contribution.
Ce n'est pas un hasard si je mets en avant un air de Sesto : Isabel Leonard, c'est évident, est un grand espoir du chant pour ces prochaines années ; mais Haïm l'abandonne tellement à elle-même qu'elle en est réduite à se réfugier dans un chant propre et bien mené, mais sans grande émotion : quel gâchis. C'est pire encore pour Jane Archibald, qui tente d'animer son rôle mais ne parvient pas à trouver une cohérence et sacrifie du coup trop souvent sa ligne de chant. On accuse trop souvent les chanteurs : ici, une écoute distraite pourrait laisser penser à une distribution de second ordre, alors que c'est l'absence de direction d'orchestre qui les fragilise. Lawrence Zazzo est certainement un des contre-ténors, sinon un des chanteurs, les plus intéressants d'aujourd'hui, et il domine sans peine la distribution de ce soir, quand Andreas Scholl se noyait corps et biens avenue Montaigne, mais la comparaison avec ce qu'il faisait il y a deux ou trois ans sous René Jacobs dans l'acoustique pourtant hostile de la Salle Pleyel ne fait que confirmer la responsabilité de Mme Haïm dans ce manque de brillant.
Pour la petite histoire, Emmanuelle Haïm est une artiste Virgin Classics, tout comme Natalie Dessay qui alternait - ou du moins essayait de le faire - en Cléopâtre avec Mlle Archibald ; hier soir avait lieu un concert tout autant Virgin Classics : Nicholas Angelich (Virgin Classics) remplaçait David Fray (Virgin Classics) dans le 5e concerto de Beethoven sous la direction de Tugan Sokhiev (lequel, pour changer, est chez Naïve). Eh bien, là où chacun s'attendait à ce que M. Angelich soit un soulagement par rapport à M. Fray, on a eu droit à une des pires interprétations de concerto qu'on ait pu voir ces dernières années, entre brutalité pure et simple et renonciation au rythme et aux contrastes.
Décidément, tous les talents d'aujourd'hui sont chez Virgin Classics !
(en fait, c'est un peu dur, ce que je dis là : Virgin, c'est aussi l'excellent Quatuor Artemis, qui est en train de faire une grande intégrale des quatuors de Beethoven au Théâtre des Champs-Élysées. Même avec la meilleure volonté du monde, c'est difficile de tout rater !)
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