vendredi 2 avril 2010

Regietheater et Eurotrash : Anatomie des fantasmes lyricomanes (2)

Retour, donc, au Regietheater, suite et non fin d'un message précédent que je vous invite à lire avant toute chose. J'étais donc en train de parler des décors : j'y insiste, parce que ça me paraît vraiment crucial dans la réception des mises en scène d'opéra, a fortiori par cette partie du public lyrique qui vient essentiellement pour le plaisir (honorable certes) de la voix et attend de pouvoir juger de la mise en scène d'un coup d'œil pour se concentrer sur leur vice particulier. Et dès qu'on parle de décors, on parle forcément, très vite, de ce qui fâche : la transposition.


La transposition est souvent un point de fixation dans les conflits autour du Regietheater, et de manière générale un angle d’analyse des mises en scène lyriques prisé par les lyricomanes – j’avais lu sur un forum une remarque sur La Bohème ultra-classique de Jonathan Miller (Opéra de Paris 1995), disant que le spectacle transpose l’histoire dans les années 20/30 (pour une histoire qui se déroule aux environs de 1900), mais que ce n’était pas gênant : belle magnanimité. Dans les débats sur la mise en scène d’opéra, la transposition n’est pas évoquée également par les partisans et par les adversaires de ce qu’on regroupe sous le terme de Regietheater : c’est une obsession chez les adversaires, un thème un peu secondaire chez les partisans. Là où les premiers  en font un élément déterminant du spectacle qu’ils analysent, les seconds, tout en affirmant la légitimité du procédé, n’en font précisément qu’un procédé, qu’un outil au service des praticiens du théâtre.
On comprend que le procédé ait pu surprendre au début, par exemple avec les mises en scène mozartiennes de Peter Sellars dès les années 80 ; aujourd’hui, la surprise n’est plus de mise, mais cela ne remet pas en cause la pertinence d’un choix qui a permis à la mise en scène d’opéra de s’échapper du piège de l’abstraction élégante qui a pu sembler à une époque la seule alternative au réalisme reconstitutif.
Il y a des médiocres partout, y compris chez les partisans d’un travail scénique moderne et exigeants : hormis ces médiocres, je n’ai guère l’impression que les metteurs en scène mettent très souvent en avant le choix qu’ils ont fait en ce domaine. La transposition est un point de départ, un outil, le cadre dans lequel va être créée la mise en scène : l’essentiel est ailleurs, et j’imagine fort bien, du point de vue théorique, qu’on pourrait envisager ce travail en profondeur sur l’œuvre sans le recours à la transposition. Simplement, concrètement, et à de très rares exceptions, ça ne marche pas, par manque de savoir-faire élémentaire (Nicolas Joel), parce que ceux qui font ce choix manquent souvent du sens du théâtre vivant (pléonasme), et surtout pour des questions fondamentales de philosophie du regard théâtral.

Safety Curtain, Royal Opera House : N'y a-t-il pas mieux à attendre d'un spectacle d'opéra que la sécurité à tout prix d'un bon chic bon genre formaté ?

Le vaste champ des mises en scène modernes n’est pas fait pour plaire à tous. Ceux qui ne voient dans l’opéra qu’un divertissement aimable en seront pour leurs frais ; ce qui me frappe dans les mises en scène des grands metteurs en scène d’aujourd’hui, c’est le sérieux avec lequel ils abordent les œuvres. Le meilleur exemple, ici, c’est peut-être la déchirante Traviata de Christoph Marthaler à l’Opéra de Paris (je parle souvent de ce spectacle, mais il y a tellement à en apprendre que je n'en parlerai jamais assez) : on croyait aller voir un mélo convenu, on s’est retrouvé avec une tragédie d’une intensité inattendue. Pour cela, il fallait revoir entièrement le parcours du spectateur dans l’œuvre. Prenons le chœur des toréadors au 2e acte : mascarade mondaine, prise souvent au premier degré par les tradis, comme si de vrais toréadors venaient de leur Andalousie amuser les oisifs parisiens ; mais « N'è duce il viscontino », « c’est le petit vicomte qui les conduit » : on est entre soi, on se déguise avec ce qu’on trouve – et, disons-le, on est toujours un peu ridicule, dans une soirée du XIXe siècle pas moins qu’aujourd’hui. C’est ce ridicule de la soirée mondaine que Marthaler met en avant, d'abord parce que la scène le réclame, mais aussi parce qu’elle crée le contraste entre le monde réel – émotionnel – de Violetta et le monde extérieur dont elle connaît plus que personne les coulisses.
Certains se sont moqués de la tondeuse à gazon que répare Alfredo au début du même acte : c’est par ce genre d’idées simples, facilement lisible pour peu qu'on ne soit pas aveuglé par des pétitions de principe, qui permet au metteur en scène de faire comprendre au spectateur l'organisation de l'œuvre. Christoph Marthaler avait ainsi mis en évidence le caractère artificiel, naïf, de ce bonheur en dehors du monde. Il y avait là une forme d'ironie tendre à l'égard du personnage, ironie qui est tout sauf destructrice : par elle s'approfondit le portrait du personnage, au-delà de l'archétype. Aurait-on pu le faire en costume de soirée XIXe, dans le cadre d'un salon bourgeois ? On a le droit d'essayer, mais je ne le crois pas.

à suivre...

lundi 29 mars 2010

Un tramway signé Warlikowski

Il n'y a pas tromperie sur la marchandise : il était certes écrit "Isabelle Huppert", "Tennessee Williams", mais il était aussi écrit "Mise en scène : Krzysztof Warlikowski" : les hordes de spectateurs mécontents qui, dit-on, délaissaient le théâtre de l'Odéon tout au long des premières représentations avaient toutes les clefs en main pour s'informer de ce qu'ils allaient voir.
C'est intéressant : ce spectacle a été au centre de l'attention de toute la critique théâtrale européenne (oui, car les journaux étrangers, eux, parlent aussi de théâtre étranger), et il a été massacré, sauvagement, par une partie de la critique, et notamment - ô surprise - la critique française (Armelle Héliot, sur France Inter, était en transe, c'est très drôle à écouter). Je ne vais pas faire le procès systématique de la critique, je me contenterai donc d'une phrase : là où il y a de la haine, il n'y a pas de critique. Mais il est important de remarquer qu'à la tardive représentation à laquelle j'ai assisté (14 mars), de telles marques de mécontentement sont restées totalement absentes : j'ai déjà senti des publics plus impliqués dans ce qu'ils voient, mais l'atmosphère était tout sauf hostile.
Avouons-le : j'avais deux avantages pour aller voir ce spectacle. Tout d'abord, la pièce de Tennessee Williams ne m'intéresse guère. Ensuite, je ne suis pas un très grand admirateur de l'art de Mademoiselle Isabelle Huppert. J'étais donc en quelque sorte vacant, ouvert, réceptif à ce que pouvait proposer le grand artiste qu'est Krzysztof Warlikowski, qui, tout metteur en scène qu'il est, vaut bien un littérateur secondaire comme Williams.
Aucune surprise visuelle dans le travail de Malgorzata Szczesniak : on retrouve en fond de scène une galerie vitrée, à la fois espace vierge, espace intermédiaire entre la fausse paix des espaces intérieurs et le dangereux vaste monde. Sur le reste de la scène, plusieurs pistes de bowling, une table et un canapé comme présupposés ou substituts de convivialité et de chaleur humaine ; la galerie vitrée, où sont fréquemment projetés des gros plans des personnage, s'avance ou recule selon les besoins du spectacle, pour donner du rythme au spectacle en séparant les scènes, pour donner une illusion d'intimité à certaines scènes, pour illustrer le monde intérieur mouvant de Blanche (tout est toujours polysémique, chez Warlikowski).
Cette mise en scène est centrée sur le personnage de Blanche, incarné par Isabelle Huppert : grande actrice, certainement ; mais on voit ici toute la sottise de la critique, qui a massivement loué Mlle Huppert aux dépens de son metteur en scène, comme si elle avait joué contre la mise en scène. L'actrice est respectée ici, dans le sens où Warlikowski ne se contente pas de la mettre au centre de la scène en la laissant faire son récital : il la dirige, il la défie, il la met en concurrence avec toute la palette de son art scénique. Ce que fait Isabelle Huppert est magnifique, mais ce que font les autres acteurs, en particulier Andrzej Chyra, est tout aussi admirable : celui-ci est dirigé à l'inverse exact du numéro d'acteur de Marlon Brando, stupide et vulgaire, dans le trop célèbre film d'Elia Kazan, comme une surface de projection neutre pour la tourmente intérieure de Blanche. Ce n'est pas spectaculaire, sans doute, mais l'acteur est au service d'une conception d'ensemble, et il faut plus de talent pour cela que pour jouer la sensualité brute.
Une caractéristique du travail de Warlikowski, peu visible à l'opéra mais toujours marquante au théâtre, est l'usage de textes externes pour diffracter le propos du spectacle : quand on a le nez dans son petit classique, dans "les mots de l'écrivain, ses didascalies si précises, l'atmosphère de la pièce, la vérité de Blanche DuBois" (Armelle Héliot encore, version blog), c'est sûr, on ne peut rien y comprendre. Sur le papier, ces "mots de l'écrivain" ne sont pas grand-chose de plus qu'une pièce de boulevard poisseuse ; en allant chercher au-delà des mots, dans un imaginaire occidental ancien ou récent, Warlikowski parvient à sauver la pièce d'elle-même.
L'usage du Combat de Tancrède et de Clorinde de Monteverdi, dans une étrange version rock (mais on imagine mal un instrumentarium baroque dans ce spectacle) au moment de la scène du viol de Blanche par Stanley est un de ces moments heureux au théâtre où la perception, au-delà de la narration, s'ouvre à tout un monde inconnu - qu'on ne fait qu'entrevoir, parce que chez Warlikowski rien n'est jamais durable. C'est un véritable coup de génie, que ne comprendront que ceux qui comprennent la violence stylisée du texte du Tasse (pas Mlle Héliot, donc).
On n'aura donc pas de grandes révélations psychologiques dans un tel spectacle ; c'est sans doute perturbant, parce que le texte de Williams est platement appuyé sur la mode psy de son temps, mais c'est beaucoup mieux ainsi.
La France est un pays où, tout en se drapant dans un prestige culturel d'avant-hier, on aime frapper les grands artistes. Johan Simons, Krzysztof Warlikowski, et tant d'autres. Mais oui, c'est vrai, ce sont des étrangers.

jeudi 25 mars 2010

2010/2011 : De Madrid à Bruxelles (et puis Vienne aussi...)

Quelques commentaires sur les saisons de quelques-unes des saisons européennes les plus importantes - pour diverses raisons :


À Vienne, l'arrivée de Dominique Meyer ne rend pas l'attractivité de la Staatsoper beaucoup plus puissante, en tout cas sur moi (le site est en outre très mal organisé ; il faut successivement aller voir les Premieren, puis le Repertoire, et à chaque fois descendre tout en bas de page). Parmi les nouvelles productions, seule celle d'Alcina retient plus ou moins mon attention : j'espère pour les Viennois qu'Anja Harteros, qui avait abordé le rôle titre à Munich il y a quelques années, aura cette fois apprivoisé le rôle où elle a tout ce qu'il faut pour briller, et la direction musicale de Marc Minkowski est un grand classique. Pour le reste, il faut fuir les deux productions mozartiennes confiées à Jean-Louis Martinoty : on connaît plus que de raison ses Noces de Figaro données trois ou quatre fois au Théâtre des Champs-Élysées, et ça ne donne pas envie de découvrir le futur Don Giovanni du même ; les deux autres nouvelles productions scéniques ne suscitent guère plus d'intérêt : Cardillac est une gentille œuvrette justement oubliée jusqu'à peu, et on a aucun espoir en André Engel pour monter Katia Kabanova de Janacek. Pour le répertoire, il y a souvent des distributions qui ne sont pas sans intérêt, mais il y a tellement de choses plus intéressantes à voir ailleurs, les productions ne semblant souvent pas très excitantes...
Du coup, le regard est inévitablement attiré vers la concurrence, le Theater an der Wien, dont la salle est certes un peu (beaucoup) étouffante, mais dont le programme n'est pas sans charme. Plutôt que les deux productions à stars (Madame Bartoli dans la reprise de la médiocre production zurichoise de Semele de Haendel [DVD], Môssieur Domingo, micros compris, dans une création sur mesure dont on sent d'avance qu'elle va bouleverser la musique contemporaine telle qu'on la connaît aujourd'hui), mon choix se porterait volontiers sur deux productions plus originales. Tout d'abord La Finta Giardiniera de Mozart, une comédie trop négligée qui, confiée à René Jacobs et au remarquable David Alden (encore un artiste négligé en France), devrait réveiller les spectateurs endormis par la Staatsoper. Ensuite (plus pour l'œuvre que pour la production, Keith Warner n'ayant guère marqué les esprits récemment) The Rape of Lucretia de Britten, une œuvre extraordinaire trop rare ; qui sait, peut-être parviendra-t-elle à réveiller Angelika Kirchschlager, chanteuse si autrichiennement ennuyeuse... Pour le reste, on peut éventuellement faire un tour côté Rameau, avec Castor et Pollux - pour une fois qu'une tragédie lyrique a les honneurs d'un pays germanique - ; ou côté Haendel, avec une Rodelinda qui risque d'être plus intéressant depuis une place aveugle (la distribution est intéressante, avec notamment Christine Schäfer dans le rôle titre et Malena Ernman en Eduige).

La Monnaie à Bruxelles, c'est un cas vraiment exceptionnel en Europe : depuis désormais plus de 25 ans, sous trois directeurs successifs (Gerard Mortier, Bernard Foccroule, Peter de Caluwe), la Monnaie a habitué le public européen à proposer avec des moyens qui n'ont rien à voir avec ceux de Paris, Londres ou Vienne une programmation à la fois très variée et d'une inventivité sans limites. Une maison qui a accueilli pendant longtemps Anne Teresa de Keersmaeker (et qui l'invite encore massivement la saison prochaine) mérite par ce seul fait toute mon estime. Du côté lyrique, la saison commence par une reprise d'Yvonne princesse de Bourgogne de Philippe Boesmans, que j'avais vu avec grand plaisir lors de sa création à Paris.
A l'autre bout de la saison, la nouvelle production des Huguenots de Meyerbeer sera sans doute un des événements principaux de la saison européenne : je suis assez sceptique par habitude face à ce répertoire que je connais mal, mais c'est entre autres à cause d'une tradition interprétative qui l'adosse aux pires traditions du gros répertoire (bel canto - Verdi - Puccini) - c'était le cas pour La Juive de Halévy que Gerard Mortier avait montée à Bastille avec une équipe (Pierre Audi/Daniel Oren/Neil Shicoff) totalement inadaptée. Si une production d'une telle œuvre est capable de me séduire, ce pourrait bien être celle-là : Olivier Py n'est pas, loin de là, mon metteur en scène préféré, mais on est sûr au moins de ne pas tomber dans le poussiéreux cher aux lyricomanes qui se croient propriétaires de ce répertoire ; et Marc Minkowski, lui, est clairement l'homme de la situation, et il a réuni une distribution sans poids lourds qui devrait apporter la sensibilité nécessaire au détriment des excès expressionnistes qu'on y a trop souvent plaqués.


Pour le reste, on peut aller jeter un coup d'œil sur...
  • une nouvelle Katia Kabanova mise en scène par Andrea Breth (sans doute pas très moderne, mais très sensible, délicat, intelligent -anti-André Engel) ; 
  • un Parsifal confié au metteur en scène de théâtre Romeo Castellucci, dont j'avoue ne pas connaître le travail, mais qui possède une solide réputation de provocateur : décidément, après Krzysztof Warlikowski (Paris) et Calixto Bieito (Stuttgart) et en même temps qu'Hans Neuenfels (Bâle), voilà une œuvre qui attire les expérimentations théâtrales - c'est passionnant, dommage qu'on ne puisse pas tout aller voir... Je suis quand même un peu surpris qu'on puisse encore afficher Jan Hendrik Rootering en Gurnemanz.
  • deux opéras du compositeur japonais Toshio Hosokawa (que je connais mal, mais qui est toujours plus intéressant que le convenu Bruno Mantovani qu'on nous impose tout le temps en France), tous deux confiés à des chorégraphes : reprise de la production initiale de Hanjo pour Anne Teresa de Keersmaeker, création de Matsukaze par Sasha Waltz - je verrais volontiers le premier des deux...
Enfin, la transition via Gerard Mortier est toute trouvée vers Madrid, dont on connaissait l'essentiel, mais dont les détails ont été récemment publiés (PDF) : quelques reprises imposées par l'équipe précédente et pas mal d'importations venues un peu de toute l'Europe, pour une saison peu dense (je ne sais pas si c'est habituel à Madrid). Mortier fait ainsi venir le décevant Eugène Onéguine de Dmitri Tcherniakov (prometteur, mais ici trop peu ambitieux par rapport à une œuvre qui a besoin d'un traitement beaucoup plus audacieux) interprété par le Bolchoi, mais aussi Le Roi Roger de Szymanowski, créé à Bastille par Krzysztof Warlikowski, une remarquable production d'un opéra pas franchement passionnant. Autre importation importante, Saint François d'Assise de Messiaen dans une production créée à la Triennale de la Ruhr époque Mortier : apparemment une production remarquable des artistes Ilya et Emilia Kabakov, donnée dans une grande salle en dehors du Teatro Real pour accueillir un plus large public. Une curiosité importante est une production de Montezuma de Graun, dirigée par l'excellent Gabriel Garrido et confiée à un metteur en scène espagnol que je ne connais pas.
On peut donc difficilement dire que cette première saison mortiérienne au sud des Pyrénées est totalement passionnante, mais le temps a sans doute manqué ; la suite sera certainement passionnante...


Pour le reste, quelques informations sur...

Munich suite : pas plus de détails sur le programme de l'Opéra de Bavière, mais l'Orchestre philharmonique de Munich (PDF) a quant à lui publié sa saison, toujours confiée à Christian Thielemann : ce n'est pas passionnant, mais on a appris que ce sera l'antique Lorin Maazel, aujourd'hui un des meilleurs représentants de l'espèce des jet conductors sans idées ni audace, qui prendra la tête de l'orchestre à partir de 2012 : dommage pour ce renouvellement raté.

Bielefeld (mais oui, pourquoi pas Bielefeld ? D'autant plus que ce théâtre provincial joue Alice in Wonderland, une création récente de l'Opéra de Munich dont j'ai dû déjà parler)
Cologne
Leipzig : prochaine saison de l'Orchestre du Gewandhaus
Lyon
Münster
Nuremberg  
Ratisbonne

dimanche 21 mars 2010

2010/2011 : l'Opéra de Munich toujours à la recherche de lui-même

C'est un paradoxe commun : l'Opéra de Munich, sous la direction de Sir Peter Jonas (1993-2006), a été l'une des maisons d'opéra les plus passionnantes du monde, à tant d'égards que je renonce à détailler ; on a fini par le savoir même en France où tout ce qui est germain est suspect. Depuis son départ, tout n'a pas été rose : les deux années de transition assurées par Ulrike Hessler ont été épouvantables, les plus intéressantes des productions de l'époque Jonas allant à la benne en masse pour être remplacées par des choses aussi indispensables qu'un Nabucco mis en scène par Iannis Kokkos ou un éprouvant Tamerlano dû à Pierre Audi.
Le nouveau directeur, Nikolaus Bachler, en poste depuis 2008, est arrivé plein de bonnes et moins bonnes intentions : en apparence, il voulait continuer la veine dynamique, alliant impeccables réalisations musicales à des conceptions scéniques exigeantes, de son prédécesseur. On lui a donné le temps de s'installer, mais maintenant qu'on a entre les mains l'essentiel de ce qui sera sa 3e saison, je peine à masquer ma déception : il avait annoncé que l'Opéra de Munich, sous sa direction, serait "plus méditerranéen", ce qui a hélas signifié la disparition du baroque (Monteverdi, apparemment, n'est pas assez italien) au profit d'œuvrettes dispensables comme Aida (ce n'est pas parce que c'est du grand-guignol tragique que ce n'est pas Guignol), L'elisir d'amore ou la saison prochaine I Capuleti e i Montecchi.
Surtout, la maison devient maintenant ce qu'elle s'était bien gardée d'être : une maison de répertoire, au sens routinier du terme, où on aligne sans réfléchir les œuvres populaires quelle que soit la qualité de la production maison avec des distributions interchangeables. Il faut le dire maintenant, alors que la maison reste au sommet de sa réputation européenne : sauf retournement de situation improbable maintenant, Munich n'est plus la maison passionnante qu'elle a été et que j'ai eu la chance de fréquenter intensément depuis 2003. Évidemment, il y a encore de la marge par rapport à l'imbécillité triomphante de Nicolas Joel à l'Opéra de Paris. Mais allez donc plutôt à Bâle, à Francfort, à Stuttgart, ou encore et toujours à Londres...


Voici donc tout d'abord les dates d'abonnement de la saison prochaine (NB : il manque les dates hors abonnement, souvent situées pendant les week-ends, qui représentent environ 1/4 des dates d'opéra et la moitié des dates de ballet ; ainsi que les dates des premières de chaque nouvelle production) :

vendredi 19 mars 2010

2010/2011 : Cité de la Musique

Pas de préliminaires ici : la Cité, c'est toujours passionnant, et on ne discute pas. Découverte rapide et spontanée d'une année de concerts, moins dense sans doute que par le passé :

  • Inutile de détailler : les concerts de l'Ensemble Intercontemporain, en résidence à la Cité, valent toujours le détour, et même souvent le voyage...
  • 2-3 octobre : un week-end consacré aux Ballets Russes par l'excellent orchestre Les siècles dirigé par l'excellent François-Xavier Roth, avec grands classiques et découvertes.
  • 7-17 octobre, 5-9 janvier : un cycle au titre un peu bêta, mais au contenu passionnant (restons chez les Russes...) : Lénine, Staline et la musique, ou la modernité musicale en Russie dans la première moitié du XXe siècle.
  • 5-14 novembre : un week-end autour de Brecht et ses musiciens, avec notamment le très beau et trop méconnu Berliner Requiem de Weill.
  • 4-5 décembre : on serait intéressé par le cycle Bach-Gardiner, mais on se méfie trop du médiocre niveau de ses solistes vocaux pour s'y risquer.
  • 16 décembre : retour des opéras baroques en version de concert avec Bellérophon de Lully sous la direction de Christophe Rousset.
  • 12 janvier : beau programme de l'Intercontemporain avec sa chef Susanna Mälki (remarquable) et les jeunes de l'Orchestre du Conservatoire.
  • 15-16 janvier, le retour d'Alfred : Alfred Brendel ne vient pas jouer du piano (ça, c'est fini), mais il vient faire le pédagogue.
  • 11 février : autre jeune homme, Elliott Carter (né en 1908) compose toujours : l'Intercontemporain jouera une oeuvre de 2009, complétée notamment par une des oeuvres les plus connues de Kaija Saariaho.
  • 5-12 mars : un cycle Liszt/Nono, dans la grande tradition des cycles à deux compositeurs de la Cité.
  • 24 mars, sans doute un de mes grands coups de coeur de la saison : la magnifique Cleofide de Hasse par Gérard Lesne et les siens dont Vivica Genaux et Mireille Delunsch.
  • Le lendemain, étonnant concert pour deux clavecins autour des Indes galantes, par Skip Sempé et Pierre Hantaï.
  • 6 avril : suite du feu d'artifice baroque avec Naïs de Rameau par Hugo Reyne.
  • 18 juin : un Liederabend de la rare Nathalie Stutzmann.
Aucun concert de Pierre Boulez en tant que chef d'orchestre : une page se tourne...

En passant, une mini-critique sur After life de Michel van der Aa, dans une mise en scène du même, que l'Opéra de Lyon a importé d'Amsterdam (lequel en échange récupère ces jours-ci Émilie de Saariaho) : échange on ne peut plus inégal. On peut comprendre qu'on se trompe quand on coproduit, parce qu'on n'a alors pas encore vu le produit fini ; mais quelle excuse trouver quand on importe un produit déjà créé ailleurs ? 
Michel van der Aa compositeur crée une musique sans contours, plate, d'une écriture vocale épouvantablement convenue, et ce n'est pas l'électronique, qui était moderne il y a cinquante ans, qui va faire oublier ce chant digne d'un opéra américain. Michel van der Aa metteur en scène use et abuse de la vidéo, autre procédé qui fut moderne, mais n'a aucune idée de ce qu'est la direction d'acteurs, si bien qu'on croit regarder une série télé à petit budget. Quant au thème de l'opéra, il tombe dans le travers de bien des créations d'aujourd'hui qui se croient obligées de traiter systématiquement des fins dernières : ici, c'est un angle platement sentimentaliste qui est choisi (quel souvenir choisirez-vous, une fois mort, pour le garder avec vous pour l'éternité ?). 
Vraiment, un naufrage, pourtant accueilli assez chaleureusement : il est vrai que l'Opéra de Lyon abuse une fois encore de la stratégie consistant à bourrer la salle de groupes scolaires pour tenter de faire le plein, et ce public, soulagé quand le pensum s'arrête, ne ménage pas ses applaudissements libératoires...

mercredi 17 mars 2010

A Bastille, l'Or du Rhin carbure au petit suisse

Le petit Suisse, c'est Philippe Jordan : le jeune Helvète, tout frais directeur musical de l'Opéra de Paris, avait fait une impression mitigée lors de son concert d'investiture en début de saison. Pour sa première nouvelle production lyrique, l'impression est différente, mais le bilan est un peu le même, surtout si on oublie un prélude cafouilleux où les cuivres semblent refuser jusqu'à l'idée même de nuances dynamiques : à son crédit, une grande clarté et une mise en place à peu près impeccable (ce qui n'est pas mince, quand on songe à ce qu'avait été le précédent Ring parisien sous Christoph Eschenbach, ou au naufrage de ce même orchestre dans une sinistre Femme sans ombre assassinée par Gustav Kuhn). En échange, Philippe Jordan ne sait pas faire vivre cette musique, engluée dans une littéralité qui fait mourir toute tentative de théâtre : la mollesse du discours est sans doute une conséquence de cette louable volonté de clarté, mais une telle œuvre y perd une bonne partie de sa force - à commencer par sa force théâtrale.

L'Or du Rhin à l'Opéra Bastille (Günter Krämer, Philippe Jordan)
Les Nibelungen face à l'or - oui, c'est pour cette hideuse boule de polystyrène que tout ce petit monde se bat...
La distribution est un peu du même niveau que la direction d'orchestre : là encore, on est bien au-dessus de l'épouvantable pensum du Ring du Châtelet de 2005/2006, mais il n'y a pas grand-chose pour susciter l'enthousiasme. Le Wotan de Falk Struckmann est plutôt une bonne surprise, non que tout coule de source, mais la voix est solide et assez percutante, à défaut d'offrir beaucoup de place à une interprétation très riches (on est prié d'oublier ce que pouvait faire un John Tomlinson dans ce rôle). La déception, en échange, vient des femmes, et notamment de Sophie Koch (Fricka), complètement perdue dans un rôle dont elle ne fait que cracher les consonnes ; quant à Qiu Lin Zhang, elle promène comme au Châtelet son timbre somptueux en toute indifférence au texte, à la musique, à la situation dramatique.
Chez les autres messieurs, ça va un peu mieux : Kim Begley (Loge) et Peter Sidhom (Alberich) manquent résolument de puissance et d'engagement, le premier étant en outre un peu aigre (et tellement mal dirigé), mais les deux géants, Iain Paterson et l'inévitable Günter Groissböck, sont excellents, de même que le Mime très mobile de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke.

Là où les choses se gâtent sérieusement, c'est tout ce qui concerne l'aspect visuel du spectacle.

Nicolas Joel, en fin tacticien, s'est dit qu'il ne pouvait décemment pas proposer pour ce Ring un spectacle aussi poussiéreux que ceux qui déshonorent l'Opéra de Paris depuis le début de la saison. Il a donc décidé de pêcher parmi les metteurs en scène classés Regietheater, mais attention : surtout pas un jeune*, un dynamique, un qui aurait des idées, non, non, on a de la morale, chez ces gens-là ; il a donc pris un vieux routier du Regietheater, un de ces grands noms dont on suppose qu'ils ont fait chavirer le cœur du public dans les années 60 ou 70 et qui ne font que survivre sur leurs succès passés (on connaît des chefs d'orchestre qui font la même chose, mais c'est une autre histoire). Il paraît, à lire les critiques, qu'il y a là une analyse politique de l'opéra : ma première réaction est de me dire que ça paraît un peu une évidence, ma seconde de me demander avec anxiété où donc mes maîtres en critique ont bien pu voir une analyse dans ce fatras.

Le politique, on le voit sans problème : les Dieux rêvent d'une improbable Germania qui serait le Walhall, et les géants surgissent drapeaux rouges à la main - les nains, quant à eux, n'ont apparemment pas le droit à la politique, et on regrette que Loge, le supplétif râleur mais malgré tout à peu près fidèle, ne soit pas affublé du sigle du Nouveau Centre. Le politique est donc affiché, brandi, revendiqué : mais ses éléments ne sont pas mis en rapport, n'entrent pas dans une histoire, dans un parcours. L'opposition entre Dieux nazis et Géants communistes sert à illustrer, à remplir leur première confrontation ; déjà à la seconde, quand les Dieux paient leur lourd tribut, tout ceci est déjà oublié. Ce qui en reste : une surprise très efficace quand des figurants déboulent au parterre de l'Opéra avec leur drapeau, tandis qu'une pluie de tracts rouges envahit bruyamment la salle depuis le plafond ; mais la surprise que provoque l'invasion est moins grande, et surtout moins durable, que l'incrédulité que suscite l'utilisation, en 2010, d'un procédé aussi éculé, aussi creux, aussi artificiel. Les figurants, engagés par dizaines, sont un des plus gros points noirs de ce spectacle qu'ils plombent au lieu de le dynamiser comme l'espérait le metteur en scène - il aurait suffi de supprimer cette figuration pléthorique, et on aurait pu faire l'économie de la massive augmentation des places les moins chères qui est le cadeau empoisonné d'un directeur honni pour sa prochaine saison...

Inutile, je crois, de décrire plus en détail un pensum sans projet, sans idées et tellement loin de tout ce que la mise en scène wagnérienne a offert au public depuis trente ans ; ceux que la mise en scène n'intéresse pas plus que cela n'en sont au moins pas trop gênés, quelques réacs étant même séduits par cette régression paresseuse. On peut se contenter du fait que le spectacle reste relativement vivant et que la direction d'acteurs est correcte, ou qu'en comparaison de quelques niaiseries impitoyables programmées par Nicolas Joel le bilan reste à peu près présentable : maigre consolation qui aurait besoin d'une réalisation musicale un peu plus vive pour se remplumer un peu

*Où "jeune" n'est pas à comprendre strictement en termes d'âge :  Nicolas Joel (né en 1953) est évidemment plus vieux que Gerard Mortier (né en 1943)... Günter Krämer, lui, a 70 ans.

Wagner
L'Or du Rhin
Philippe Jordan Direction musicale
Günter Krämer Mise en scène
Jürgen Bäckmann Décors
Falk Bauer Costumes

Falk Struckmann Wotan
Samuel Youn Donner
Marcel Reijans Froh
Kim Begley Loge
Peter Sidhom Alberich
Wolfgang Ablinger-Sperrhacke Mime
Iain Paterson Fasolt
Günther Groissböck Fafner
Sophie Koch Fricka
Ann Petersen Freia
Qiu Lin Zhang Erda
Caroline Stein Woglinde
Daniela Sindram Wellgunde
Nicole Piccolomini Flosshilde

Orchestre de l’Opéra national de Paris

dimanche 14 mars 2010

Émilie de Kaija Saariaho ou le triomphe de la voix

Petite pause dans les annonces de saison pour un retour sur la création lyrique contemporaine : après la défaite en rase campagne de la très ambitieuse Tragédie du diable de Peter Eötvös (même pas un scandale, même pas de huées : un simple flop), c'était au tour d'Émilie de Kaija Saariaho d'étrenner ses atours XVIIIe sur la scène de l'Opéra de Lyon.
Kaija Saariaho à l'opéra, on connaît, depuis le premier succès (L'amour de loin), avec son immobilité et son livret d'une lourde poésie aux ambitions mal taillées ; ensuite, ce fut Adriana Mater, sur un livret plus pesant encore, plein de bons sentiments stéréotypés comme une caricature de livret d'opéra. Dans les deux cas, ce qui faisait le prix de l'entreprise était la musique de Saariaho, qui faisait oublier le texte par la délicatesse de ses textures, à défaut de théâtralité.
Cette fois, la forme et le livret de l'opéra sont d'une simplicité absolue : en une heure vingt de monologue, la compositrice finlandaise et son librettiste libanais Amin Maalouf racontent les derniers jours de la Marquise du Châtelet, femme de science et de cœur, à quelques jours d'un accouchement dont elle ne se relèvera pas. Pour une fois, le livret d'Amin Maalouf - largement puisé aux textes d'Émilie et de ses contemporains - ne verse pas dans la platitude poétique qui avait plombé (en tout cas scéniquement) d'autres opéras de Saariaho : sans qu'il y ait forcément une logique très contraignante dans la succession des moments, on s'intéresse du moins au parcours de cette femme entre bonheur et tristesse, chez qui la correspondance devient une sorte de Voix humaine façon Poulenc. Le tout dans une mise en scène qui, à défaut d'offrir une perspective quelconque sur le personnage, est correctement décorative.
La partition de Kaija Saariaho a été écrite pour son interprète, l'immense Karita Mattila. Qu'on ne compte pas sur moi pour distinguer, surtout à la suite d'une unique écoute, ce qui relève du talent de l'interprète des qualités propres à la partition. On entend une heure vingt de Karita Mattila en qualité maximale, grâce à une écriture vocale qui saisit à merveille ce qui fait tout le prix de cette interprète unique : pas tant la sûreté de la technique ou la beauté de la voix que ses déchirures, ses caprices, ces moments entre ciel et terre où la chair de la voix dit ce qu'aucune volonté expressive de la chanteuse ne saurait atteindre.

Kaija Saariaho
Émilie

Direction musicale Kazushi Ono
Mise en scène François Girard

Karita Mattila (Émilie)

Orchestre de l’Opéra national de Lyon
 In memoriam
Il y a quelques jours est décédé le ténor Philip Langridge, un des chanteurs les plus exceptionnels qu'il m'ait été donné de voir. La poésie et l'intelligence faite chanteur.
Sa carrière était évidemment largement derrière lui, mais je n'avais pas encore tout à fait renoncé à le revoir un jour. Espoir perdu.
http://www.bayerische.staatsoper.de/upload/media/200609/16/15/rsys_20617_450bf5ef0f6ea.jpg
Ci-dessus : Philip Langridge dans le rôle de Loge de l'Or du Rhin à l'Opéra de Munich, un des rôles où j'ai eu le grand plaisir de pouvoir l'admirer, dans une mise en scène qui lui convenait à merveille (Herbert Wernicke).
Pour l'écouter au disque : très vaste discographie, évidemment. Un disque que j'aime particulièrement :

vendredi 12 mars 2010

2010/2011 : Le TCE est en ligne

Comme chaque année, l'adresse du site en développement du Théâtre des Champs-Elysées a filtré, et voilà ma sélection de quelques soirées qu'il serait intéressant de passer Avenue Montaigne...

Opéra
On le sait, ce n'est pas au TCE (ni maintenant nulle part à Paris, c'est vrai) qu'on va trouver des productions innovantes, stimulantes, étonnantes. Ce n'est pas une raison pour bouder un Idoménée en fin de saison : confié à Jérémie Rhorer (dont j'ai déjà pu vérifier les affinités avec cette musique) et Stéphane Braunschweig, il devrait ne pas avoir de mal à être un des spectacles les plus intéressants de la saison parisienne. [JUIN]
On saluerait aussi volontiers le fait qu'un opéra de Vivaldi, Orlando Furioso, ait pour une fois droit à un traitement scénique, si celui-ci n'était confié au terrible Pierre Audi qui avait monté pour Tamerlano de Haendel ou Zoroastre de Rameau d'ennuyeuses versions de concert en costumes XVIIIe. [MARS]
Toujours pour le baroque, c'est David McVicar qui montera un opéra fragile et passionnant de Haendel, Orlando, sorte d'adieu mélancolique au monde de Roland et d'Angélique : son Agrippina était passionnante, d'autres de ses productions sont au choix d'un ennui pesant (la Semele reprise en ces lieux en fin de saison) ou d'une vulgarité confondante (Le couronnement de Poppée il y a quelques saisons, toujours au TCE). Avec Emmanuelle Haïm à la direction, on est à vrai dire protégés de tout risque d'émotion forte.
La saison est complétée par deux productions post-1800 : Jean-Claude Malgoire et Christian Schiaretti importent de Tourcoing une Scala di seta de Rossini, et Sasha Waltz, remarquable chorégraphe, s'attaque à un opéra de Pascal Dusapin, fort médiocre compositeur hélas fort bien en cour.

Côté versions de concert, il y a pléthore : outre l'habituelle cohorte des opéras baroques (à noter une intéressante Alcina par Marc Minkowski et Le Carnaval de Venise de Campra), on aura intérêt à musarder du côté de Rossini (Otello dirigé comme c'est inévitable par Evelino Pidò), de Mozart (La finta giardiniera mérite vraiment qu'on s'y arrête) ou de Wagner (un Parsifal dirigé par Kent Nagano, avec une belle distribution autour de Nikolai Shukoff et Angela Denoke). Je pourrais aussi signaler Lodoïska de Cherubini, qu'avait massacré Riccardo Muti il y a de nombreuses années, et qui a une chance de se refaire sous les doigts de Jérémie Rhorer.
Par contre, on ne voit vraiment pas l'intérêt de deux versions de concert verdiennes (I due Foscari et Il trovatore), sans parler d'un Fidelio confié à Kurt Masur avec une distribution sans charme : on sait Masur depuis longtemps incapable de diriger correctement quelque partition que ce soit ; il serait temps que Radio France parvienne enfin à se débarrasser de ce boulet.

Orchestres
Les invités habituels sont là : on laissera le Philharmonique de Vienne nager dans sa graisse pour une intégrale des symphonies de Beethoven sous le pesant Christian Thielemann ; si on veut du Beethoven, il y aura toujours le Mahler Chamber Orchestra avec le jeune chef Tugan Sokhiev (13/2), ou les concerts du London Philharmonic avec Vladimir Jurowski. Ce dernier dirige aussi l'un des deux concerts de l'Orchestra of the Age of Enlightenment, l'autre (Haydn/Mozart, 18/6) étant confié à Simon Rattle.
Moins jeune, Seiji Ozawa vient à deux reprises, pour un concert symphonique et des Noces de Figaro en version de concert.
La Radio Bavaroise ne manque pas son étape parisienne : toujours sous la direction de Mariss Jansons, elle vient avec un programme qui joint la 9e symphonie de Chostakovitch à la trop courante 4e de Mahler (18/12).
Parmi les orchestres plus rares, il faut signaler une mini-résidence (3 dates) de l'Orchestre Philharmonique de Rotterdam sous la direction de deux chefs prometteurs, Juka Pekka Saraste et Yannick Nézet-Séguin. Quant à la Staatskapelle de Dresde, elle vient pour deux concerts, mais se cherche un chef après la démission surprise, avec pertes et fracas, de son (médiocre) directeur musical Fabio Luisi.
Et ainsi de suite...

Piano, musique de chambre
L'événement, c'est évidemment l'intégrale des quatuors de Beethoven par le Quatuor Artemis, dans le cadre des (trop chers) Concerts du dimanche matin revenus au TCE : les Artemis sont un ensemble extraordinaire, on aurait tort de s'en priver...
Pour le reste, on retrouve les habitués du Théâtre, ces Sokolov, Lugansky, Aimard, Pires dont on ne saurait se lasser, et on remarque avec plaisir la présence du Quatuor Hagen. En revanche, il y a dommageable abondance de Capuçons et de Fazil Say, qui ne témoigne pas vraiment d'une haute exigence musicale de la part de la nouvelle équipe de direction, qui semble vouloir dans ce domaine clairement privilégier la jeunesse, avec pas mal de nouvelles têtes dans le casting.

Chant
Il n'y a pas de type de concert moins intéressant que le récital de chanteur. Ces grandes robes et smoking tout sourire dehors, "tellement spontané(e), tellement simple" (traduisez : tellement bien formaté(e) par le marketing), ça n'a rien à voir avec la musique. Les simagrées de la Bartoli ayant été transférées à l'autre bout du VIIIe arrondissement - autant dire à l'autre bout du monde -, il reste Rolando Villazon pour remporter le prix du concert le plus bête, avec un programme de chansons mexicaines donné deux fois (!), mais les deux récitals (seul et avec Andreas Scholl) de Philippe Jaroussky sont de sérieux outsiders.
Mais tous les chanteurs, heureusement, ne tombent pas dans ce travers : Jonas Kaufmann fait l'exact inverse, avec un pur Liederabend consacré à la Belle meunière de Schubert (14/10), Thomas Hampson idem avec Le voyage d'hiver (16/1). Stéphane Degout se livre aussi aux délices de la mélodie avec des compositeurs à vrai dire moins soigneusement sélectionnés (28/1). Côté baroque, on notera avec intérêt le concert de Ian Bostridge consacré à de la musique rare du XVIIIe siècle ; Magdalena Kozena et Anne-Sofie von Otter livrent quant à elles un duel à distance (7/2, 27/4) autour de Monteverdi et de son temps (complété jusqu'à Haendel pour la seconde).

Danse
La danse avenue Montaigne, c'est toujours du sûr, du solide : risque artistique nul, il faut pouvoir plaire aux mécènes. On retrouve donc les habituels Gala des étoiles du XXIe siècle, Grupo Corpo, Saint-Pétersbourg Ballet Théâtre (comme on dit en bon français) et Saisons russes (cette série commencée l'an passé - la représentation que j'en ai vu cette année me laisse penser que si ce n'est pas inintéressant, ce n'est pas non plus indispensable). Sylvie Guillem revient avec son complice en médiocrité virtuose Russell Maliphant : significativement, on la place au moment des fêtes, parce que ça se vend bien, il y a une star, ça ne pose pas de problème de digestion. Enfin, seule originalité de la saison, la troupe russe de Boris Eifman, chorégraphe un peu oublié aujourd'hui, vient présenter son Anna Karénine [DÉCEMBRE] : pourquoi pas, après tout ?

Pour plus de détails : Site (en cours de développement) du Théâtre des Champs-Elysées
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