Pourquoi deux messages de suite sur la danse classique? Peut-être à cause de la frustration causée par La Belle de Jean-Christophe Maillot au Châtelet la semaine dernière, mélange aussi malhonnête qu'habile d'emballage classique pour appâter les foules et de contenu "contemporain mou" pour se donner une légitimité culturelle et créatrice sans faire trop peur auxdites foules. On ne travaille pas à Monaco sans que cela ait des effets...
Parlons donc encore un peu de danse classique, en prenant ce terme dans son sens le plus étroit, c'est-à-dire le répertoire hérité de l'école romantique française (de Giselle à La Sylphide) et de ses branches russe (Petipa) et danoise (Bournonville)*.
Il est de bon ton de se moquer du ballet classique: élitiste, enfermé dans son passé, artificiel. Il est vrai que son propre public n'aide pas à en assurer l'éloge: quand on voit un public applaudir à la moindre performance athlétique au détriment de l'émotion, quand on voit ce public mi-parti danseuses frustrées, mi-parti grand-mères et petites-filles, souvent privé de toute curiosité en direction d'autres formes de danse, applaudir à la moindre prouesse physique, on peut parfois se poser des questions; mais ma longue fréquentation du Théâtre de la Ville m'a convaincu que l'opposition entre les deux publics de la danse est sans doute moins forte qu'on ne le croit: les spectateurs de la danse contemporaine consomment leur Bausch, leur Preljocaj, leur Forsythe, et même leur petit scandale périodique avec autant de passivité et de conformisme que les spectateurs du Ballet de l'Opéra devant leur Petipa.
Partagé que je suis entre classique et contemporain, je n'ai pas l'impression, en allant voir un Lac des Cygnes, une Sylphide, voire un Corsaire, de m'abêtir, de diminuer mon niveau d'exigence intellectuelle, de me laisser aller à la facilité.
Prenons l'exemple le plus basique, le plus connu, le plus rabâché: Le Lac des Cygnes. Un conte de fées qui tient en cinq lignes : un magicien a transformé une princesse et sa suite en cygnes qu'il tient en son pouvoir. Un prince épris d'absolu tombe amoureux de la princesse, lui promet fidélité, ce qui assurerait le salut des cygnes. A la suite d'une méprise manigancée par le magicien, il trahit sa promesse et les cygnes sont condamné(e)s à rester sous l'emprise du magicien (ou pas, selon les versions).
On peut, bien sûr, ne voir là que les figures géométriques des actes blancs, que la grâce des cygnes grands et petits, que les acrobaties des solistes. Ce n'est d'ailleurs pas négligeable : il y a là une authentique beauté, un art classique à qui on peut difficilement dénier une grande noblesse: qui dira l'émotion du début du quatrième acte, quand la troupe des cygnes déplore l'échec du prince? La géométrie, ici, comme la technique, sont au service de l'émotion.
Mais il y a plus. A lire mon petit résumé, on aura déjà perçu quelques thèmes: réalité/illusion/image, humain/animal, tous thèmes profondément actuels parce que profondéments humains. C'est cela qui fascine inconsciemment les spectateurs du Lac depuis un siècle: les petits mouvements des bras par lesquels les danseuses imitent les mouvements des cygnes nous émeuvent parce qu'ils sont beaux, mais aussi parce qu'ils sont porteurs d'une souffrance, celle de l'humain soumis à une puissance extérieure et y perdant sa propre humanité, la nostalgie de la déchéance.
Je ne prétends pas avoir convaincu les exclusifs de la danse contemporaine. Mais j'ai envie de leur dire que, s'ils n'ont pas envie du ballet classique, le ballet classique n'a pas non plus besoin d'eux. J'ai dit du mal, de façon évidemment caricaturale, du public de la danse classique; mais il faut dire aussi qu'il y a là, au moins chez ses piliers, une accumulation d'amour, de passion, d'enthousiasme, d'exigence, qui ne font pas taire les critiques précédemment formulées, mais méritent aussi un grand respect, une grande tendresse. Et surtout, ce public, contrairement aux idées reçues, n'a pas vraiment besoin de renforts en nombre: en partie à cause des limites de la diffusion de la danse classique évoquées dans le message précédent, les spectacles sont de toute façon pris d'assaut au-delà du raisonnable.
Il est plus facile de railler le conformisme de la danse classique que de résister à ses séductions, quand elles sont accompagnées de sous-textes aussi riches et bouleversants que celles des plus beaux classiques...
*C'est évidemment une définition trop restrictive, mais elle est au moins pratique pour mon propos du jour. La question de la définition du ballet classique (entre vocabulaire chorégraphique, technique de la danse, répertoire, contexte intellectuel et artistique) est aussi complexe qu'intéressante, et j'ai bien l'intention à terme de lui consacrer un message à part entière.
jeudi 14 juin 2007
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